Tolérance : vertu chrétienne ?

Pasteur Charles NICOLAS

 

En appuyant sa réflexion sur quelques citations, Charles Nicolas nous rappelle les exigences d’une "haute idée de la vérité". A méditer, en cette année de commémoration de l’Edit de Nantes.

 

Hier et aujourd’hui.

"L’homme contemporain est un "bricoleur" individualiste qui n’hésite pas à chercher son bonheur dans différentes traditions religieuses, en quête d’une cohérence...", pouvait-on lire dans la revue Evangile et Liberté, récemment.

On est loin de la situation austère de la fin du 16° siècle, pour laquelle le mot tolérance est encore porteur de bien peu de promesses. D’ailleurs cet édit, signé le 13 avril 1598 à Nantes par Henri IV, n’a jamais été intitulé "Edit de tolérance" mais plutôt "Edit de pacification".

 

"La tolérance à l’époque, précise Jean Beaubérot (président de l’association "Foi et Tolérance-Edit de Nantes 98"), ce n’est pas l’interdiction de porter un jugement sur autrui, c’est le fait de penser qu’on a la vérité, que l’autre est dans l’erreur, et qu’on tolère l’erreur... La conception moderne a trop tendance à mettre entre parenthèses le rapport à la vérité."

Le contexte dans lequel nous vivons a en effet énormment changé en 4 siècles, au point où certains seraient tentés de dire avec Chesterton "La tolérance, c’est la vertu de ceux qui ne croient en rien !".

"La tolérance, dit Daniel Bergèse, c’est alors la règle du jeu qui découle de la pluralité des opinions... Ainsi, d’un point de vue humaniste, la tolérance n’est pas nécessairement une démarche altruiste, mais plutôt une simple règle de survie, un code de tranquilité je te respecte pour que tu me respectes" (1).

 

Une haute idée de la vérité.

Le protestantisme devrait retrouver aujourd’hui la haute idée de la vérité développée à la Réforme. Une double exigence en découle, qui trace un chemin de responsabilité et de respect

- La vérité en effet, est trop vitale pour être relativisée ou mise de côté, par accommodement.

- La vérité d’autre part, est trop importante pour être imposée c’est Dieu seul qui convainc !

Dans les Ecritures, la tolérance (le mot ne s’y trouve cependant pas) s’inscrit dans le cadre de la patience de Dieu. Si Dieu prend patience et "tolère" le mal, l’injustice, l’erreur, ne dois-je pas les tolérer moi-même ? Mais la patience de Dieu ne signifie pas que tout est indifférent il y aura une rétribution ; il est donc juste et salutaire que des signes clairs soient donnés, signes qui annoncent le jugement qui vient ; mais jugemant qui appartient... à Dieu seul ! Ils serait possible de trouver maints exemples bibliques qui témoignent de cette double mesure "Où sont ceux qui te condamnaient ?" demande Jésus à la femme adultère mesure de tolérance. "Va et ne pèche plus !" mesure d’avertissement.

 

Il n’y a pas qu’une seule règle...

Tout en donnant des principes universels et absolus, la Bible établit des distinctions qui permettent une application adaptée. Deux de ces distinctions sont particulièrement importantes

a. Suis-je seul en cause ? Mon engagement pour défendre une cause ne sera pas le même selon que mon intérêt seul est en jeu ou selon que les répercutions touchent aussi d’autres personnes ou sont tout simplement plus générales. Contrairement à ce qui arrive le plus souvent, c’est quand mon intérêt est en jeu que je dois être le plus tolérant ! C’est ainsi qu’il faut comprendre l’amour des ennemis (Matth.5) et les exhortations de Paul à la fin de Rom. 12 "Autant que cela dépend de vous, soyez en paix avec tous les hommes ; ne vous vengez pas bien aimés, ... mais si ton ennemi a soif, donne-lui à boire...". Le chrétien offensé personnellement ne se défend pas, car Dieu le défend (lire 1 Pierre 219-23) "Il s’en remet à Celui qui juge justement".

Ainsi en est-il du débonnaire des béatitudes il ne fait pas justice lui-même. Il est doux, patient. Il héritera la terre !

Toute autre est la situation si d’autres personnes sont en cause, des faibles en particulier, ou des personnes qui sont placées sous ma responsabilité. Il ne s’agit plus de se défendre soi-même, ou de rechercher son propre intérêt ; il s’agit d’une fonction, d’une vocation à remplir, d’un combat à mener. L‘apôtre Paul donne un bon exemple de cela il regrette seulement que certains annoncent l’Evangile pour des motifs impurs, "avec la pensée de lui susciter quelques tribulations" (Phil 117) ; mais dans la même lettre, il traite avec une grande rigueur "les mauvais ouvriers, les faux circoncis, les ennemis de la croix de Christ" (Phil. 32, 18), c’est à dire ceux qui mettent en péril l’Eglise et l’intégrité de l’Evangile!

 

b. Dans ou hors de L’Eglise. C’est une grande erreur de vouloir appliquer telles quelles à l’ensemble de la société les règles de conduite qui appartiennent à la communauté des croyants. Il est facile d’observer que la Bible demande aux chrétiens plus d’égards mais aussi plus d’exigences vis à vis de leurs frères en la foi que vis à vis de l’ensemble des hommes. A la fin de I Cor. 5, par exemple, Paul recommande de s’écarter de toute personne qui, se disant chrétienne, vit dans le désordre. Il précise qu’il ne s’agit pas d’agir ainsi vis à vis "de ceux du dehors ; autrement il faudrait sortir du monde !".

N’est-ce pas aussi ce que dit Jésus quand il commande (Matth. 1815) " Si ton frère a péché, va et reprend-le?" (il s’agit du frère en la foi). Ainsi, les errements ou les fautes des inconvertis n’ont-ils pas le même poids, la même gravité que celles des chrétiens. Il en découle que la mesure de la tolérance sera plus grande vis à vis de la société qui vit dans les ténèbres (Actes 240; Phil. 215) qu’au sein du peuple de Dieu qui a reçu la révélation !

 

Moi aussi je vous envoie

Cela ne signifie cependant pas qu’il n’y ait rien à dire dans le monde ! L’envoi de Jonas à Ninive, ou l’apostrophe de Jean-Baptiste à l’égard d’Hérode (Matth. 144) suffisent à ôter toutes les excuses paresseuses ou craintives que nous pourrions avoir. Notons simplement qu’il ne s’agit pas là d’imposer, mais d’adresser appel, de la part de Dieu.

Ne serait-ce pas cela aussi être le sel ou la lumière du monde?

Il n’est pas juste que la peur de "passer pour une secte", ou tout simpement le refus de l’opprobre du Christ nous empêche de rendre témoignage à la vérité que nous avons reçue de Dieu (à ne pas confondre avec nos opinions personnelles).

"Convenablement comprise, la tolérance ne conduit pas au relativisme... Les chrétiens de ce temps sont malades de relativisme, de tolérance mal entendue. Ils se taisent et ne savent plus que dire par peur qu’on les suspecte d’inquisition. Ils n’osent plus protester de leur foi, car ils tremblent de proposer des réponses quand le goût du jour veut seulement que l’on se pose des questions." (2).

"Pour l’humanisme, la tolérance est la conséquence logique d’une pensée où l’homme, en tant qu’individu, consitue le seul absolu. Elle est donc l’aveu d’un doute quand à la vérité. Pour la foi chrétienne, la tolérance est l’expression d’une volonté qui utilise le temps comme "un lieu d’appel", comme une possibilité offerte à l’homme pour qu’il entende la vérité et qu’il réforme ses voies." (3).

Sommes-nous prêts à convenir que nous sommes guettés, les uns et les autres, par une forme d’intolérance et par une forme de tolérance qui reflètent davantage notre tempérament que la vérité dont l’Evangile est porteur ? Jésus-Christ n’a-t-il pas été à la fois plus large et plus précis que nous le sommes ? Le même Esprit que nos avons reçu plaide pour cette patience et pour cette exigence.

Il y a des situations où il faut se taire, même si on a envie de parler. Il y a des situations où il faut parler même si on préfèrerait se taire... Puissions-nous entendre, pendant notre marche comme à la fin de notre vie, ces deux appels qui sont aussi deux promesses

Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde.

Heureux ceux qui ont fain et soif de la justice (c’est dire de la vérité juste de Dieu), car ils seront rassasiés ! Charles Nicolas

EREI - Vauvert (19. 01.98)

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(1) Daniel Bergèse "Christianisme et tolérance" (1992)- Kérygma)- Aix en Provence.

(2) P.A Sturki "Tolérance et doctrine" (Edition l’âge d’homme, Lausanne 1973), cité dans Christianisme et tolérance.

(3) D. Bergèse. "Conviction chrétienne et tolérance." Revue Réformée n° 174, p. 19.