Quel avenir pour nos enfants ?1

Réflexions sur le passé et le présent de l'école vaudoise

Jean-Marc BERTHOUD

 

Introduction

Répondre à pareille question implique tout d'abord que l'on essaie de poser le problème scolaire dans une juste perspective. Pour ce faire deux démarches s'imposent.

La première est historique : quel est donc le passé de notre école ? Quelles sont nos origines sur le plan scolaire ? Quelle était l'école de nos ancêtres ? Ainsi nous chercherons d'abord à voir ce qu'était l'école vaudoise sous le régime bernois et ce que fut son évolution depuis l'indépendance du canton et surtout sous le régime démocratique que nous avons depuis le milieu du XIXe siècle. Nous verrons que notre école a connu un enseignement foncièrement chrétien jusque vers 1830 environ et que depuis elle a été graduellement, puis de plus en plus complètement, soustraite à toute finalité chrétienne. Pour finir nous verrons l'école vaudoise astreinte à poursuivre un but purement utilitaire : former les enfants afin qu'ils puissent, avec la plus grande efficacité possible, affronter les problèmes pratiques et professionnels que leur pose la vie en société. Cette dernière période a duré jusque vers la fin des années soixante. Dès lors l'école vaudoise est soumise aux pressions idéologiques d'une pédagogie utopique qui n'a plus pour premier objectif de préparer les enfants à affronter la vie réelle. Car depuis plusieurs années et par divers moyens, sous le couvert de réforme, on cherche à assigner à l'école deux buts nouveaux et complémentaires : d'une part, préparer les enfants pour ce qu'on appelle la société de l'avenir et, de l'autre, utiliser l'école en vue de transformer la société dans une perspective à la fois utopique et socialisante.

Tout au long de ce rapide survol historique nous entreprendrons une seconde démarche, elle aussi bien nécessaire si nous voulons y voir clair dans la question qui nous préoccupe. Il nous faudra, dans une perspective philosophique et pédagogique chrétienne, examiner la signification véritable de cette évolution qu'a subie notre école. Ce faisant nous espérons pouvoir découvrir quelques-uns des fondements véritables qui doivent nécessairement être ceux d'une école fidèle tant à la nature de l'enfant – créé à l'image de Dieu mais depuis la Chute réellement pécheur – qu'à la vision chrétienne vraie de la réalité créée. L'avenir de nos propres enfants dépendra en très grande partie des réponses, tant théoriques que pratiques, que nous apporterons à ces questions.

 

1. L'héritage chrétien de l'école vaudoise2

Les débuts de l'éducation dans le Pays de Vaud datent de bien avant le XVIe siècle, ainsi qu'en témoigne l'excellente formation élémentaire donnée au réformateur Pierre Viret dans l'école paroissiale d'Orbe. Les Bernois ont simplement systématiquement développé et organisé les écoles dans la perspective éducative qui était celle de la Réforme. Une étude historique de l'école vaudoise au Moyen Âge serait bienvenue. Mais on peut dater au XVIe siècle le véritable essor de l'instruction publique dans le pays de Vaud. Elle doit son origine aux efforts des communes consacrés à l'établissement d'une éducation véritablement populaire. D'une part, les Bernois cherchaient à assurer l'instruction élémentaire des enfants de leurs nouveaux sujets, car ils partageaient pleinement l'attitude éminemment favorable des Réformateurs à l'égard de l'éducation. Mais, d'autre part, ils désiraient aussi par ce moyen donner une assise plus solide à la Réforme dans leurs territoires. Ils cherchaient également par ce moyen à affermir leur autorité politique nouvellement acquise sur ces territoires. Rappelons que pendant tout le Moyen Âge l'enseignement reposait à tous les niveaux sur des bases essentiellement chrétiennes. Dans une telle perpective les Bernois n'ont ainsi guère innové en maintenant l'orientation chrétienne des écoles qu'ils soutenaient.

L'influence de la Réforme s'est traduite par un souci plus poussé de l'instruction du peuple.

Un synode général de l'Église du Pays de Vaud fut convoqué en mars 1538. Il donna l'occasion aux ministres – parmi lesquels le célèbre Pierre Viret – d'exprimer ce qui, à leur avis, représentait une des nécessités les plus urgentes devant lesquelles se trouvait le pays. Notons la portée polémique de ces affirmations à l'égard des écoles du passé :

 

Comme toutes les sciences étaient méprisées et que personne ne s'appliquait à bien élever ses enfants, il était nécessaire de donner à la jeunesse de bons régents et d'ordonner aux pères d'envoyer soigneusement leurs enfants aux catéchismes des ministres3.

A partir de cette date les autorités bernoises promulguèrent de nombreuses ordonnances qui cherchaient à obtenir des parents qu'ils envoient régulièrement leurs enfants à l'école et au catéchisme. Interdiction était également faite aux parents d'envoyer leurs enfants aux écoles catholiques. Ainsi le but confessionnel de l'école vaudoise apparaît d'emblée très clairement. S'il fallait apprendre à lire aux enfants des villes et des campagnes, c'était afin de leur apprendre à connaître leur catéchisme et surtout pour les rendre capables de lire la Bible. Dans une missive datant de cette époque, adressée aux baillis des villes vaudoises, les autorités bernoises demandaient aux communes qu'elles établissent des écoles latines, c'est-à-dire des écoles secondaires, dans les villes les plus importantes du pays. Le but de l'éducation de la jeunesse est ici défini dans ces termes : il fallait des écoles latines,

 

Afin d'élever la jeunesse dans les bonnes moeurs et de lui enseigner l'Écriture Sainte…4

Si l'initiative pour l'établissement des écoles dans les communes et les villes venait de Berne, la direction de ces écoles était aux mains des pasteurs et leur financement dépendait des communes.

Le 3 janvier 1676 le Conseil de Berne édicte le "Mandat souverain concernant les régents d'école", mandat qui peut être considéré comme la première loi scolaire vaudoise. Comme cette loi avec quelques modifications mineures a défini l'orientation et la structure de l'école du pays de Vaud jusqu'à la révolution de 1798 (et même dans une grande mesure bien au-delà), il est nécessaire que nous nous penchions plus longuement sur ses dispositions.

Elle proclame, fait bien rare à l'époque, le principe de la scolarité obligatoire, et, de ce fait, elle amènera l'établissement d'écoles élémentaires dans toutes les communes du canton. Les régents devaient être des personnes :

 

… pieuses et vertueuses, enclines et propres de nature à bien instruire la jeunesse.

Ils étaient autorisés à châtier les enfants par la verge "autant qu'il sera nécessaire". Tout le programme était d'orientation chrétienne. Les petits devaient apprendre à lire :

 

… les Psaumes, la Bible et le Nouveau Testament afin qu'ils apprennent à entendre les prédications, et les plus grands apprendront par coeur les catéchismes et seront instruits à écrire.

Aucun élève ne pouvait quitter l'école

 

… avant qu'avoir appris et être suffisamment instruit des fondements de la religion chrétienne qui sont proposés et compris dans les catéchismes, excepté ceux qui n'auront pas les dons à ce requis5.

L'admission à la Sainte-Cène, accordée uniquement à ceux qui savaient leur catéchisme, tenait lieu de certificat de fin d'études. La finalité chrétienne de l'école vaudoise pendant toute cette époque est fort bien exprimée par ces mots qui constituent la conclusion du mandat bernois de 1676 :

 

Espérant en tout ceci que, si l'on suivra ces ordres et commandements en général, cela réussira à l'augmentation de la louange et gloire du Tout Puissant, et au salut des enfants ainsi instruits, comme aussi à la destruction des abominations de superstitions6 dont plusieurs se trouvent affectés par leurs ignorances et l'empêchement des doctrines erronées…7

La grande faiblesse de tout ce système provenait du fait que si les régents étaient nommés par les baillis représentants de Berne, en accord avec les pasteurs qui étaient les véritables directeurs des écoles, en revanche tous les frais qu'entraînaient les écoles étaient à la charge des seules communes. N'ayant le droit ni de nommer ni de révoquer les régents, les communes – c'est-à-dire les parents – n'ont (cela se comprend) montré que peu de zèle pour une école dont le contrôle leur échappait totalement. Cette situation, à laquelle il faut ajouter l'entière absence de formation pour les régents, n'eut que trop souvent pour résultat une qualité d'enseignement fort médiocre dispensé par les maîtres mal formés, méprisés des parents et recevant des communes un salaire de misère qui les obligeait souvent à prendre un second métier afin de pouvoir nourrir leur famille.

En 1773 les autorités bernoises promulguèrent de nouvelles Ordonnances Ecclésiastiques qui dans leur septième chapitre traitaient des écoles. Ces nouveaux articles ne changeaient en fait en rien l'organisation traditionnelle de l'école vaudoise. L'article 5 qui traite des programmes est rédigé en ces termes :

 

Les régents commenceront à apprendre aux enfants à lire et à prier Dieu. Ensuite ils leur feront apprendre par coeur quelque catéchisme approuvé, le catéchisme de Heidelberg, et des passages choisis du Nouveau Testament. Quant à ceux qui auront assez de talent et de loisir pour s'avancer davantage, ils les formeront à l'écriture et leur feront apprendre les Psaumes et les Cantiques. Enfin ils donneront à leurs écoliers les principes du plain chant ou de la musique des Psaumes8.

Ce système scolaire dura, non seulement jusqu'à la Révolution de 1798, mais encore jusqu'à l'adoption par le Grand Conseil vaudois, le 28 mai 1806, d'une loi nouvelle, la loi sur l'Instruction publique.

Nous avons vu que le pasteur était le véritable directeur de l'école. Voici ce qu'en dit l'historien des écoles vaudoises de cette époque, Georges Panchaud :

 

Le rôle prépondérant joué par les ministres dans la surveillance des écoles venait de ce qu'ils étaient chargés de l'instruction religieuse et morale de la jeunesse. Or, selon la conception de l'époque, les autres parties de l'instruction ne pouvaient être séparées de celle-ci9. Tout ce qui concernait l'éducation devait être réuni entre les mêmes mains. De plus, la sortie de l'école dépendait uniquement du bon vouloir du pasteur, puisque c'était lui qui jugeait si un élève était suffisamment instruit pour être admis à la Sainte-Cène10.

Dans l'enquête Stapfer de 1798 portant sur les écoles de la République helvétique, à la question "Qu'enseigne-t-on dans chaque école ?", question concernant le contenu et la finalité de l'enseignement, on peut lire les réponses suivantes :

 

La parole de Dieu, régent d'Ogens.

 

On enseigne à prier Dieu, à lire sa parole et chanter ses louanges, de plus à écrire, et des règles d'arithmétique, régent du Sépey.

 

Épeler, lire, réciter, prier, chanter, écrire, chiffrer, régent de Chavannes-sur-Moudon11.

Partout l'enseignement de la foi chrétienne tient la première place. S'y ajoute l'étude de l'orthographe et de l'arithmétique, mais très nettement au second plan.

Nous avons beaucoup de peine à comprendre une telle attitude, parce que nous ne partageons plus guère, même en tant que chrétiens, la mentalité systématiquement chrétienne qui orientait toute l'école vaudoise de cette époque, qui aujourd'hui nous paraît si lointaine. C'est-à-dire que nous ne comprenons plus comme nos ancêtres le but essentiel de cette vie éphémère : qu'elle doit nous préparer à parvenir sans faute à la vie bienheureuse et éternelle auprès de Dieu. Et nous ne comprenons plus le rôle capital que nos devanciers donnaient à l'école dans la préparation des enfants à cette fin. Pour nos ancêtres, l'important n'était pas d'abord de "réussir sa vie", de "bien gagner sa croûte" ou de "s'épanouir" au maximum, mais d'être sauvés par la grâce de Dieu d'une perdition éternelle et parvenir ainsi à la vie éternelle. Ils étaient persuadés que cette vie, dans tout ce qu'elle apporte, n'était que peu de chose au regard de l'éternité et que le devoir premier des parents et de l'école était d'amener les enfants à connaître Dieu et à le glorifier. Les remarques d'une chrétienne russe, Lioubova Kosatschevich, âgée de 29 ans, et condamnée en août 1980 à trois ans de camp pour avoir travaillé clandestinement à l'impression de littérature chrétienne, expriment les mêmes priorités que le faisait l'enseignement chrétien donné aux enfants vaudois jusqu'au début du XIXe siècle :

 

J'aime la vie, le ciel bleu, les montagnes, les arbres et les fleurs, j'aime mes amis de l'Église et j'aimerais bien être à nouveau libre. Mais par-dessus tout j'aime mon Dieu… Un vieux poème russe nous dit : "Je chante ma patrie actuelle, mais trois fois plus ma patrie à venir"12.

Dans le "Grand catéchisme de Berne" de 1773, texte de pédagogie chrétienne largement employé dans les écoles vaudoises, nous lisons cette "Prière après l'école", qui résume de manière admirable l'esprit chrétien qui, malgré toutes ses imperfections, inspirait l'école de nos pères :

 

Seigneur, notre bon Dieu et Père, source de lumière et de toute connaissance, nous nous prosternons encore devant le trône de Ta souveraine majesté, avec toute l'humilité dont nous sommes capables pour Te remercier de la grâce inestimable que Tu viens de nous accorder, en nous faisant instruire de Ta Volonté, et aussi des autres sciences nécessaires pour cette vie, grâce que Tu nous accordes, préférablement à tant d'autres jeunes gens qui peut-être n'en sont pas plus indignes que nous. Veuille donc, Seigneur, par Ta grâce, bénir toutes les instructions qui nous ont été données, et que l'on nous donnera à l'avenir, et qu'elles soient pour nous une semence qui produise en toute abondance, pendant tout le temps que tu nous laisseras vivre ici-bas, des fruits de justice et d'innocence qui contribuent puissamment à l'avènement de Ta gloire, du règne de Ton cher Fils, de notre Salut et de l'édification de nos prochains, par Jésus-Christ,… Amen13.

Avec une telle perspective il est évident que les manuels ne pouvaient que refléter entièrement l'orientation chrétienne donnée à l'enseignement. Même les abécédaires contenaient de nombreuses exhortations et instructions chrétiennes. Dans un abécédaire publié en 1817 nous trouvons encore le poème classique de Mathurin Cordier – l'illustre principal du Collège de Lausanne à l'époque où Pierre Viret prêchait à la Cathédrale – "Le Miroir de Jeunesse", résumé admirable de toute la pédagogie chrétienne de ces trois siècles d'histoire vaudoise. Le manuel de lecture n'était évidemment autre que la Bible elle-même, et plus particulièrement les Évangiles et les Psaumes. Mais c'était avant tout le catéchisme qui servait de véritable manuel de base de l'école d'autrefois. Il était à la fois livre de lecture, livre de religion et manuel de mémorisation. Au début du XIXe siècle on y trouvait même une table de multiplication en appendice. Un livre que l'on trouvait parfois dans les écoles comme manuel de lecture était le recueil admirable de "Sonnets Chrétiens" de Laurent Drelincourt, publié pour la première fois en 1670 et réédité tout au long du XVIIIe siècle14. Les écoles des bailliages catholiques, d'orientation confessionnelle différente, étaient elles aussi animées d'un esprit chrétien très semblable. Tous les manuels y étaient également des ouvrages religieux. Comme le dit fort bien Georges Panchaud :

 

La fin dernière de l'enseignement était à cette époque la formation du chrétien et non celle du citoyen éclairé15.

Nous ne voulons pas idéaliser le passé mais nous devons constater que l'un des fruits de cette éducation chrétienne fut ce qu'on appelle communément "le bon sens vaudois". C'est ce trait de caractère qu'exprime si bien ce témoignage datant des toutes dernières années du XVIIIe siècle :

 

Il n'y a pas longtemps que deux étrangères, suivies de leurs domestiques, rencontrèrent près de Clarens un paysan d'un âge moyen, auquel elles demandèrent si ce village était encore bien éloigné : – Le voilà à cent pas d'ici – Y avez-vous vu J.-J. Rousseau ? – Non, mais je l'ai lu, et vous chercheriez en vain ici les ruines du château de Wolmar. – N'auriez-vous pas lu aussi Voltaire ? – Oui. – Et peut-on vous demander ce que vous pensez de ces deux auteurs ? – Mais je pense que Voltaire a fait bien du mal à son siècle et que Rousseau en fera à la postérité16.

Comme quoi une éducation en vue des fins dernières, de la destinée éternelle des hommes, accorde des lumières certaines sur la réalité présente.

 

2. L'époque humaniste de l'école vaudoise

Nous quittons la période chrétienne de notre école, période quasiment préhistorique tant elle est méconnue et surtout tant elle est devenue incompréhensible pour la plupart, pour une époque qui nous est plus familière, plus accessible et beaucoup mieux connue. Voici comment Antoine Favre, ancien Juge fédéral et historien du droit constitutionnel suisse, résume les rapports de l'école et des Églises au XIXe siècle dans notre pays :

 

Historiquement, l'école est issue de l'Église et jusque dans les temps contemporains elle est demeurée en étroite liaison avec elle. Il en fut ainsi en particulier en Suisse où, dans l'Ancienne Confédération, l'instruction fut considérée comme une mission de l'Église.

L'Helvétique introduisit un système scolaire centralisé et hostile à l'Église. Après la chute de l'Helvétique, on en revint à la souveraineté des cantons, pratiquement à l'école confessionnelle. Dès 1830, l'influence libérale, puis radicale, s'exerça dans le sens de l'émancipation de l'école à l'égard de l'autorité religieuse ; en vue de restreindre l'action de l'Église, on s'efforça d'obtenir que l'instruction religieuse ne pût être donnée, à l'école publique, qu'au cours spécialement consacré à cet effet17.

Voyons les choses d'un peu plus près.

La Constitution Vaudoise de 1845, issue de la révolution radicale menée par Henri Druey, et sa révision de 1861 marquèrent un moment intermédiaire dans le processus de déchristianisation de notre école. Un partage théorique fut temporairement établi entre le christianisme et la démocratie comme principes directeurs de l'enseignement public. Ces textes constitutionnels sont des plus clairs. La Constitution vaudoise de 1845 déclarait :

 

L'enseignement dans les écoles publiques sera conforme aux principes du Christianisme et de la Démocratie18.

Ce que confirmait la Constitution vaudoise de 1861 :

 

L'enseignement sera conforme aux principes du christianisme et à ceux de la démocratie19.

Cela permettait encore une présence effective du Christianisme dans les écoles publiques. La loi scolaire de 1865, élaborée lors du bref passage des radicaux à l'opposition, affirmait :

 

Obligation pour les maîtres de fournir une déclaration d'appartenance à l'une des deux confessions reconnues (Église nationale pour l'ensemble du canton, Église catholique romaine pour certaines paroisses du district d'Échallens) (Article 18)20.

— Enseignement religieux placé sous la surveillance du pasteur ou du curé de la paroisse, et, par là même, de l'autorité ecclésiastique (Article 19).

— Interdiction d'enseigner d'autres doctrines que celles des Églises mentionnées ci-dessus (Article 39).

— Obligation pour les maîtres de veiller à ce que les enfants recevant l'enseignement religieux fréquentent assidûment le culte public (Article 93)21.

Mais la Constitution fédérale de 1874, elle résolument laïque, exigeait que l'instruction publique soit :

 

… placée exclusivement sous la direction de l'autorité civile22.

La Constitution vaudoise devait en conséquence être modifiée pour se conformer à ces nouvelles dispositions de la Constitution fédérale. C'est ainsi que la Constitution vaudoise de 1885 opta résolument pour le principe démocratique comme inspiration religieuse fondamentale de l'école publique du canton de Vaud. Louis Ruchonnet fut l'instrument principal de cette laïcisation de l'école vaudoise23. Examinons la portée précise de ces articles constitutionnels.

La Constitution vaudoise de 1885 définit l'optique nouvelle de cette école dans les deux articles suivants :

 

— Article premier : Le peuple est souverain24.

 

— Article dix-sept : L'enseignement doit être conforme aux principes de la démocratie25.

Le premier article, qui est le principe de la Révolution française et de toute l'apostasie moderne (tant économique et politique que religieuse), nie expressément la souveraineté de Dieu et de sa Loi (celle-ci n'étant à sa base rien d'autre que l'amour de Dieu et du prochain), pour lui subsister la souveraineté du "peuple" et de ses lois, c'est-à-dire la divinisation de l'homme. Dans la perspective idéologique de son principal inspirateur, Jean-Jacques Rousseau, cet article affirme la souveraineté absolue – norme à elle-même, au-delà du bien et du mal tels que les définit la Loi divine – de la volonté générale exprimée par la majorité des citoyens. L'article 17 ne fait qu'appliquer à l'école l'affirmation de la souveraineté du peuple contenue dans le premier article. Ainsi, dorénavant, ce que le peuple décide de manière souveraine est bon pour l'école. La volonté populaire décide souverainement de ce qui est bien et de ce qui est mal. "Vox populi, vox Dei", la voix du peuple est la voix de Dieu.

Pour un chrétien, de tels principes sont totalement inacceptables. Le bien et le mal sont établis par Dieu. Ils ont une réalité objective hors de nous-mêmes. Ils sont immuables, fixes, et notre avis, même notre avis démocratique à leur sujet ne peut en rien les changer. Le bien est le bien, le mal est le mal, un point c'est tout. C'est la Loi de Dieu, à laquelle notre conscience donne un écho imparfait. Car cette loi est aussi la loi de la création de Dieu et le fondement divin de l'ordre social, dont elle nous révèle les structures fondamentales.

Pour le chrétien, c'est uniquement à l'intérieur du cadre de cette loi divine que peut fonctionner n'importe quel régime politique. Ainsi nous voyons que la base constitutionnelle de l'école vaudoise n'est rien d'autre que l'idéologie démocratique et que le moteur de cette démocratie est la théorie de la souveraineté du peuple. Il en résulte que l'humanisme profane, ou la doctrine de la souveraineté de l'homme, indépendant de Dieu et de sa loi, est à la base de notre école cantonale depuis plus d'un siècle.

Les dispositions de l'article 18 découlent nécessairement des bases que nous venons d'analyser.

 

— L'instruction primaire est obligatoire et, dans les écoles publiques, gratuite.

— Elle doit être suffisante et placée exclusivement sous la direction de l'autorité civile.

— Les écoles publiques doivent pouvoir être fréquentées par les adhérents de toutes les confessions, sans qu'ils aient à souffrir dans leur liberté de conscience ou de croyance.

— Dans les écoles publiques, l'enseignement religieux doit être conforme aux principes du christianisme et distinct des autres branches de l'enseignement26.

Comme le peuple – en fait la majorité numérique des votants – est le souverain et que c'est le souverain qui paie les impôts, il est normal que l'éducation des enfants du peuple soit gratuite. Seuls ceux qui refusent l'éducation du peuple, c'est-à-dire celle adoptée par la majorité des citoyens, sont pénalisés en ayant à payer et leurs impôts (qui couvrent les frais de l'éducation publique) et les frais occasionnés par l'enseignement privé de leurs enfants.

Comme le peuple est souverain – et non Dieu – et comme le peuple est défini comme étant laïc, c'est-à-dire séparé de toute religion, il est en conséquence parfaitement normal que l'enseignement soit placé exclusivement sous la direction de l'autorité civile. Dieu n'a en fait plus rien à dire dans la direction de l'école et ses représentants, les pasteurs ou les curés, encore moins !

La contrepartie de ce laïcisme est la prétendue neutralité idéologique de l'école publique, qui doit pourvoir aux besoins éducatifs de tous les éléments d'une société pluraliste. Cette prétendue neutralité de l'enseignement public n'est cependant qu'une illusion. Le fondement de cette école est l'humanisme démocratique qui est une véritable religion. Celui qui n'est pas pour le Christ ne peut être que contre Lui.

Mais il faut quand même accorder un palliatif aux chrétiens ainsi privés de tous leurs droits les plus anciens, et la possibilité même d'accomplir leurs devoirs éducatifs de chrétiens envers leurs propres enfants, (car ils étaient encore bien nombreux en 1885). Ce palliatif va d'ailleurs être à la mesure du christianisme de l'époque. Comme le christianisme issu du Réveil était caractérisé par un piétisme qui, dans une large mesure, effectuait une dissociation entre la foi chrétienne toute personnelle et intérieure, et la vie publique, intellectuelle et professionnelle, il était aisé pour l'autorité laïque de réserver une place (modeste) à l'enseignement de la foi chrétienne dans l'école publique, cela pour autant qu'il n'empiétât pas sur les autres branches de l'enseignement, eux coupés par la loi elle-même de tout rapport avec la vision du monde inhérente au Christianisme. C'est ce que certains théologiens contemporains nomment un cas de schizophrénie intellectuelle.

Mais quel est le but, la finalité, de cette école ? La loi du 25 mai 1960 sur l'instruction publique primaire nous l'indique des plus clairement :

Article premier : L'école primaire a pour but la préparation des enfants à la vie. Elle voue tous ses soins à leur éducation morale, intellectuelle et physique27.

Il est évident que l'école primaire ne s'occupe plus du tout de la préparation des enfants à la vie éternelle. "Tous ses soins", notez-le bien, sont voués aux besoins de la vie présente, et l'enfant est considéré uniquement comme un être "moral, intellectuel et physique". Il est évident que dans une telle perspective scolaire qui exclut le domaine à proprement parler spirituel, l'enfant n'a plus d'âme, qu'il n'est plus considéré comme un être créé à l'image de Dieu qui, blessé et faussé par la Chute, a besoin de recevoir son salut et de l'accomplir, et dont la destinée est de rendre éternellement gloire à son Créateur.

La loi du 25 février 1908 sur l'instruction publique secondaire ne fait que confirmer cette orientation profane de l'instruction primaire de notre canton. Dans son article premier, remanié le 15 septembre 1944, nous lisons :

Article premier : L'enseignement secondaire a pour but de donner aux élèves une culture générale par le développement harmonieux de l'intelligence, du caractère et du corps et de les préparer aux carrières spéciales et aux études supérieures28.

Nous voyons ici encore comment la perspective qu'exprime la loi scolaire ne dépasse pas le niveau des "carrières spéciales" et des "études supérieures". Il ne s'agit évidemment pas de la carrière chrétienne dans laquelle l'apôtre Paul nous exhorte à courir, ni des études supérieures nous conduisant à la cité céleste ! Le collégien ou le gymnasien est encore une fois conçu comme n'ayant plus aucun rapport avec son Créateur, aucune nature proprement spirituelle. Nous sommes en plein humanisme profane. Seul compte le développement harmonieux d'un homme coupé de sa nature spirituelle. Son salut et la gloire de Dieu n'ont plus, depuis plus d'un siècle, droit de cité dans l'école moderne. Et nous nous étonnons de la déchristianisation de notre société et de la démoralisation de la jeunesse ! Quelle distance sépare cette conception des considérations éducatives chrétiennes qu'exprimait en 1864 le pasteur Louis Burnier, ami de Vinet et l'un des piliers de l'Église Libre d'alors :

 

Mais des parents pieux ne sauraient voir le but définitif et suprême de l'éducation, ni dans l'intérêt personnel et terrestre de leurs enfants, comme Montaigne, ni même dans l'intérêt général, comme Plutarque. Ils aspirent à mieux que cela. Ils veulent pour leurs enfants, non moins que pour eux la vie éternelle … Il faut donc à l'éducation un but hors de l'enfant, un but en dehors même de l'humanité, un but digne d'un être qui fut créé à l'image du Très-Haut. "Soit que vous mangiez, ou que vous buviez, ou que vous fassiez quelque autre chose, dit Saint Paul, faites tout pour la gloire de Dieu". Or, qui dit tout, dit sans doute aussi l'éducation de la famille. Ah ! si les parents chrétiens avaient plus sérieusement en vue de glorifier Dieu dans leurs enfants ! 29

Le professeur Ernest Giddey, dans son étude sur l'école vaudoise de 1803 à 1953, résume très justement les implications religieuses et philosophiques de cette transformation :

 

Nous touchons là un mouvement général qui dépasse les cadres du canton ; il s'agit d'un phénomène de civilisation qui affecta l'Europe entière et dont l'histoire de l'instruction permet de saisir certains aspects avec une netteté remarquable. Convaincu que le progrès des connaissances humaines assurera à l'individu un bonheur plus grand, l'homme du XIXe siècle a cru avec ferveur en l'instruction des masses populaires. Sa foi en l'éducation fut une partie intégrante de la foi en la science qui l'animait. En développant les écoles, il permettait le triomphe de cette "science large et libre, sans autre chaîne que celle de la raison" dont Renan disait qu'elle était la forme des croyances qui seules désormais devaient entraîner l'humanité.

A ce mouvement général, le canton de Vaud participa. Mais avec la prudence qui le caractérise, le Vaudois écarta les solutions radicales, préférant à la rapidité des révolutions, la lente sagesse des évolutions. Nulle trace, par suite de conflits scolaires profonds. (…). L'Église, de son côté, accepta de bonne grâce de perdre progressivement le contrôle des institutions scolaires30.

Ainsi peut-on lentement, mais d'autant plus sûrement, se laisser aller à l'incrédulité, à l'apostasie. Malgré ce vice fondamental, l'école vaudoise jusqu'au début des années soixante avait encore le grand avantage de donner une formation relativement solide et différenciée aux enfants de notre pays. Car, si elle s'était résolument détournée du Créateur et de ses bonnes lois, elle prêtait encore sérieusement attention à la réalité créée. Mais tout ce qui s'oppose au Créateur, tout ce qui prétend ignorer sa loi bienfaisante ne peut durer.

 

Si l'Éternel ne bâtit la maison, ceux qui la bâtissent travaillent en vain.

Si l'Éternel ne garde la ville, celui qui la garde veille en vain.

Psaume 127 : 1

Construire hors de Dieu et contre Dieu ne conduit qu'à la ruine. Et ceci est avant tout vrai dans le domaine de la pensée. Ceux qui refusent la Vérité, Dieu les livre à un esprit d'égarement qui les fait croire au mensonge (2 Thessaloniciens 2 : 11-12) et ceux qui ne veulent pas mettre Dieu dans leurs pensées, Dieu les livre à toutes sortes de passions abominables (Romains 1 : 21-26).

C'est ce qui est pour finir arrivé à l'instruction publique de notre canton depuis une vingtaine d'années.

 

3. Une école pour l'avenir : le rêve des pédagogues qui devient le cauchemar des enfants, des parents et des enseignants

Ce que nous appelons par une formule lapidaire la "réforme scolaire" est un courant idéologique qui travaille et agite nos pédagogues responsables de la formation des maîtres depuis bien plus longtemps qu'il ne prive nos politiciens de leur sommeil. C'est pour cela que les effets pédagogiques de cette idéologie réformiste se sont fait sentir dans les écoles bien avant que l'autorité politique n'ait pris des mesures précises pour introduire légalement les changements que subissent aujourd'hui nos enfants. Nous allons brièvement voir ce que représente cette nouvelle étape dans l'histoire de l'instruction publique du Pays de Vaud, en examinant quelques points contenus dans les fiches techniques pédagogiques officiellement émises il y a quelques années par l'École Normale de Lausanne. Nos citations n'auront guère besoin de commentaires. Venons-en directement aux buts que s'assigne notre éducation nouvelle mode :

 

— On ne peut plus éduquer comme il y a trente ans … ou même à notre image. Nous devons préparer des élites pour l'an 2000.

— Des parents trop autoritaires "fabriquent" des adultes désadaptés à la vie sociale future, car leurs enfants n'auront pas d'initiative et ne sauront pas s'adapter.

— La société de 1970 n'est pas celle qui accueillera nos adolescents comme adultes. Préparer les jeunes à la vie, c'est les préparer à la vie de demain. Former des êtres semblables à nous-mêmes, c'est limiter l'objectif éducationnel, c'est mettre un terme au développement31.

Nous avons tout d'abord examiné une école vaudoise orientée vers les fins dernières de l'homme, occupée essentiellement par la nécessité pour l'homme de connaître Dieu et de Lui rendre la gloire qui lui est due. Puis, nous avons vu que l'école, ayant renoncé à cette fin divine, ayant oublié l'ordre de Dieu et la destinée véritable de l'homme, mettant cet homme devenu autonome à la place de Dieu, en était venue à fixer le but unique de l'éducation de la génération montante dans sa formation pour le seul monde présent. Une telle évolution de l'école coupait les élèves de l'essence même de leur nature d'êtres à l'image de Dieu, créés pour le connaître, le servir et l'adorer.

Nous voyons maintenant un peu mieux quelles furent les conséquences d'un tel abandon de Dieu et de ses lois : nos pédagogues, nos psychologues, nos sociologues, faute d'avoir honoré le Dieu créateur dont ils pouvaient contempler la gloire proclamée par toute la création, se sont

 

… égarés dans leurs vains raisonnements, et leur coeur sans intelligence a été rempli de ténèbres. Se disant sages, ils sont devenus fous.

Romains 1 : 21-22

Écoutons une fois encore les paroles de "sagesse" par lesquelles nos pédagogues forment les instituteurs de ce canton depuis plus de dix ans :

 

Éduquer, c'est connaître ce que la société attend de l'enfant comme futur adulte. (…) Or la société est en pleine évolution. Accélération de l'histoire. En conclusion, nous sommes obligés d'éduquer l'enfant pour qu'il puisse survivre et atteindre l'âge adulte ; (…) il faut porter l'accent sur l'éveil et le développement des potentalités humaines chez l'enfant pour développer son ouverture d'esprit. Le jeune doit pouvoir innover et franchir les limites jusque-là usuelles. (…) Une révolution doit se faire à l'école32.

Ces pédagogues nous disent encore :

 

Éduquer, c'est conduire l'enfant vers l'état adulte en tenant compte du fait qu'il sera adulte demain dans un monde nouveau et non hier dans un monde traditionnel33.

Nous avons vu une éducation pour glorifier Dieu remplacée par une éducation à la gloire de l'homme, axée entièrement sur la vie présente. Maintenant on cherche à transformer l'école – une véritable révolution ! – dans le but de fabriquer aujourd'hui la société de demain. Mais qui aujourd'hui peut savoir de quoi la société de demain sera faite ? L'"éducation pour l'avenir" est le moyen rêvé pour détruire tout ce qui reste de solide dans l'école présente et pour y introduire n'importe quelle visée utopique afin de concrétiser, aux dépens des enfants de ce pays, le rêve particulier dont on est aujourd'hui agité. Nous comprenons que les socialistes vaudois – et plus particulièrement leur section marxiste si agissante de la région d'Yverdon – aient cherché à utiliser cette fameuse "pédagogie de l'avenir" pour faire avancer leurs propres desseins politiques. Dans un rapport pédagogique interne au parti, rapport qui est comme l'armature de la réforme qu'on cherche à imposer au système scolaire vaudois, ne disaient-ils pas de notre école :

 

Elle perpétue les inégalités sociales, favorise l'apprentissage de la soumission à l'autorité, néglige d'apprendre aux jeunes à être responsables, les préparant à être docilement absorbés dans le circuit économique34.

Comme si les inégalités intellectuelles (qui ont un caractère génétique) pouvaient être abolies par l'école ; comme si le respect dû aux aînés était un crime ; comme si les jeunes ne devaient être responsables qu'envers eux-mêmes ; comme s'il n'était pas plus souhaitable de trouver un emploi plutôt que d'être au chômage ! De maîtres ayant fait leurs preuves dans un enseignement mené avec succès pendant de longues années, il était péremptoirement déclaré :

 

Bien des maîtres, conditionnés par des modèles scolaires périmés et une formation pédagogique conventionnelle et insuffisante, restent attachés à un système de valeurs qui est le fondement même de la société capitaliste35.

C'est pour cela, conclut le rapport du parti socialiste vaudois, que

 

L'école telle que nous l'envisageons pour l'avenir doit être l'instrument qui permettra de transformer la société capitaliste actuelle en une société socialiste, démocratique et égalitaire36.

Dans un livre où il est question des théories pédagogiques de John Dewey, maître à penser de la pédagogie marxiste américaine, dont les écrits ont joué un si grand rôle dans l'essor des réformes scolaires, nous trouvons les remarques suivantes :

 

Mais le véritable but de la pédagogie et de l'école nouvelle nous est donné par J. Dewey, marxiste convaincu, qui dans les années 1900 devait devenir président de la "British Fabian Society" et rêvait de conduire son pays au socialisme par l'école:

"Le véritable centre d'intérêt de l'école n'est pas la science, la littérature, l'histoire ou la géographie, mais la propre activité des enfants eux-mêmes." L'objet de la nouvelle pédagogie est donc "l'activité sociale de l'enfant". Le reste n'est qu'accessoire et, si l'on en croit J. Dewey, le fameux "nouvel esprit" de la pédagogie dont on nous parle tant, c'est la socialisation de l'enfant et, à travers lui, de la société tout entière.

Il s'agit, par l'éducation scolaire, "d'amener l'individu à partager les intérêts, les objectifs et les idées communément admis par le groupe social" et d'accéder ainsi à ce que J. Dewey appelle "une purification et une idéalisation des coutumes sociales existantes."

 

Il faut socialiser l'enfant. Il s'agit de le destiner et de l'ordonner à une fin sociale, uniquement ; de le fondre dans la multitude, de le contraindre à n'exister que comme une cellule du groupe, de l'habituer à n'avoir aucune volonté distincte de celle du groupe, de la société dans laquelle il vit37.

En 1846 Alexandre Vinet prévoyant déjà cet immense danger, n'écrivait-il pas :

 

L'essentiel, le but (…) c'est que l'homme individuel, seul en rapport direct avec Dieu (…) accomplisse sa destination : la société y contribue en le portant, mais il est distinct de la société, il ne saurait se confondre avec elle ; et malheur à elle, autant qu'à lui, si elle vient à l'engloutir38.

Mais le grand malheur de tous ces projets pédagogiques qui se couvrent du masque aimable des intentions les plus généreuses est que, malgré les rêves les plus mirifiques de nos pédagogues, la nature de l'enfant et ses besoins essentiels ne changent pas, ne peuvent changer. Quels que puissent être les idéaux politiques des pédagogues utopistes – idéaux d'autant plus dangereux qu'ils paraissent plus sympathiques – qui cherchent à faire entrer leurs rêves dans la réalité, il n'en reste pas moins qu'à travers tous les âges la réalité de l'enfant demeure la même39. Son besoin d'instruction, de formation, d'éducation, de discipline et, à travers tout cela, l'épanouissement de ses dons et de ses qualités, toutes ces choses ne se modifient pas. Et si l'on n'entreprend pas aujourd'hui l'éducation et la formation de sa nature présente, le résultat en sera que son avenir sera, lui, immanquablement compromis. Dans ce domaine, les lacunes et les erreurs ne se rattrapent guère. C'est un tel avenir manqué que l'on prépare à nos enfants. Voilà une des raisons capitales qui font que tant de jeunes vies sombrent dans l'anarchie morale, dans la drogue, dans le désespoir et le suicide. Et qui pourrait prétendre qu'une telle impréparation des jeunes aux difficultés de la vie ne favorise pas leur mise sur la touche ? Un jour certains comptes se régleront, et la facture qu'auront à payer nos pédagogues utopistes devant le tribunal de Dieu, sera, je le crains, bien lourde.

Pour conclure ce chapitre, je m'en voudrais de ne pas vous indiquer l'un des buts cachés que recouvrent certains changements survenus depuis quelques années dans l'enseignement donné dans les écoles vaudoises. Lors des conférences données à Lausanne et à Aigle par René Berthod dans le cadre de la campagne menée par notre Association contre le Projet de Loi scolaire de 1981, nous avons pu entendre des remarques fort intéressantes de la part de deux éminents pédagogues vaudois. À Lausanne M. Savary, ancien directeur du Centre Vaudois de Perfectionnement pour les Enseignants Primaires, et à Aigle, Jean-Pierre Rochat, ancien directeur de l'École normale de Montreux, ont clairement laissé apparaître l'importance capitale que revêt à leurs yeux l'adaptation des élèves à la société informatique de demain.

La pensée pédagogique et philosophique de celui que l'on considère comme le "prophète" de l'éducation moderne, Jean Piaget, se fonde sur la soi-disant ressemblance entre la structure de l'intelligence de l'enfant et celle que l'on prétend attribuer à l'ordinateur. Piaget serait, paraît-il, le principal responsable de l'élaboration et de l'introduction des mathématiques dites modernes en Europe – avec l'aide, pour la France, du célèbre mathématicien Lichnerowicz – et, pour les États-Unis, du physicien mondialement connu Léo Szilard. Les mathématiques modernes, fondées comme elles le sont sur le modèle binaire qui est à la base du fonctionnement des ordinateurs, constituent par ce fait même la négation la plus radicale de toute pensée intuitive chez l'enfant. En conséquence imposer une telle discipline mathématique aux jeunes enfants ne peut qu'aller à l'encontre du développement de leur intelligence créatrice40. La nouvelle finalité qu'on cherche à imposer à l'école aurait-elle comme but de chercher à adapter l'homme de l'avenir au modèle informatique ? Le slogan de plus en plus répandu selon lequel il nous faut "alphabétiser" l'élève au monde de l'informatique le laisserait soupçonner.

L'introduction massive des mathématiques dites modernes dans la plupart des écoles du monde occidental, associée aux simplifications abusives de la langue auxquelles on travaille dans de nombreux pays nous fournissent d'autres indices allant dans le même sens. La réforme du français, par exemple, devrait permettre à notre langue (et il en est de même pour l'anglais, l'allemand, l'italien, etc.) dûment purifiée de toutes ses aspérités, de ses complexités gênantes – originalités qui par ailleurs constituent le caractère même d'une langue – de rentrer dans ces machines à traduire, machines qui ne peuvent absorber que du raisonnable binaire simpliste, réducteur définitif de tout sens véritable. Dans un premier temps on sapera les structures de la grammaire et de l'orthographe traditionnelles. Dans un deuxième, on imposera les simplifications nécessaires à l'introduction de la langue ainsi abâtardie dans la machine. Le résultat final d'un tel structuralisme mathématique et linguistique est d'évacuer de tout langage, tout son contenu spécifique, pour n'aboutir qu'à la manipulation de structures dépourvues de tout contenu de sens. Ainsi se consomme l'abrutissement programmé des peuples41.

 

4. L'avenir est à nos enfants !

De divers côtés nous pouvons constater un intérêt grandissant pour des projets d'écoles chrétiennes. Sous le titre Éducation chrétienne, l'Association de Chrétiens Réformés Confessants de France affirmait récemment :

 

En outre, et quoique cela puisse sembler de nos jours inconcevable, nous estimons que la nécessité d'une école chrétienne se fait sentir, avec la plus grande urgence. La sécularisation de la société rend une telle école plus indispensable que jamais. Les fidèles – et ceci ne sera que l'affaire des parents chrétiens et non pas de l'Église-Institution – devraient agir dans ce sens et chercher des solutions. Une telle école sera chrétienne, non pas du fait que son directeur sera pasteur, ou qu'il y aura une heure de catéchisme par semaine, ou qu'elle aura été fondée autrefois par des protestants. Mais parce qu'elle aura un programme scolaire entièrement inspiré de la Révélation et approprié pour les temps modernes. Une école chrétienne de la maternelle à la Faculté nous épargnera l'hécatombe que nous connaissons actuellement, par l'éducation sécularisée, véritable anti-catéchisme destructeur42.

De son coté le pasteur A. R. Kayayan n'écrivait-il pas :

 

À l'origine, l'Église fut la mère de tout enseignement ; mais à partir du siècle dit des Lumières et déjà à la Renaissance, l'éducation sécularisée en a – hélas ! – pris la relève. À certains endroits, des Églises furent obligées de fonder leurs propres écoles pour éviter que leurs jeunes soient emportés par la vague antichrétienne qui prévalait dans l'école dite publique. Que convient-il de faire à notre époque ? Aurions-nous les moyens de le faire? Pourquoi pas ? En tout cas, il faut résister avec la dernière énergie à tout système d'éducation qui s'oppose ouvertement ou de façon larvée, à la manière chrétienne de vivre et de professer la foi43.

Nous ne sommes donc pas seuls à nous préoccuper de ces choses. Mais mieux encore qu'une simple réaction de défense à l'égard de l'entreprise de plus en plus envahissante de l'école profane sur nos enfants, il nous faudrait prendre à nouveau conscience des exigences et des promesses de Dieu à l'égard de ceux qui écoutent ses enseignements, les mettent en pratique et les enseignent à leur tour à leurs enfants. Quelles sont ces promesses et ces exigences de la Parole de Dieu pour les parents qui assument pleinement les responsabilités éducatives dont Dieu les a chargés à l'égard de leurs enfants ?

 

Gravez donc les paroles que je vous dis dans votre coeur et dans votre âme; liez-les comme un signe sur vos mains, et qu'elles soient comme des frontaux entre vos yeux. Enseignez-les à vos enfants, faites-les leur connaître, que vous restiez à la maison ou que vous soyez en voyage, quand vous vous coucherez et quand vous vous lèverez. Tu les écriras aussi sur les poteaux de ta maison et sur tes portes, afin que vous et vos enfants demeuriez dans ce pays, que l'Éternel a juré à vos pères de leur donner, aussi longtemps que les cieux subsisteront au-dessus de la terre. En effet, si vous observez avec soin tous ces commandements que je vous ordonne de mettre en pratique, en aimant l'Éternel votre Dieu, en marchant dans toutes ses voies et en vous attachant à lui, l'Éternel chassera devant vous toutes ces nations et vous vous rendrez maîtres de nations plus grandes et plus puissantes que vous. Tout lieu que foulera la plante de votre pied vous appartiendra. Votre frontière s'étendra du désert jusqu'au Liban, et du fleuve jusqu'à la mer occidentale. Nul ne pourra subsister devant vous ; l'Éternel, votre Dieu, répandra devant vous la terreur et l'effroi dans tout le pays où vous porterez vos pas, ainsi qu'il vous l'a déclaré.

Voici que je mets aujourd'hui devant vous la bénédiction et la malédiction: la bénédiction si vous obéissez aux commandements de l'Éternel, votre Dieu, que je vous prescris aujourd'hui ; la malédiction si vous n'obéissez pas aux commandements de l'Éternel, votre Dieu, et si vous vous détournez de la voie que je vous prescris aujourd'hui de suivre pour aller auprès d'autres dieux que vous ne connaissez pas.

Deutéronome 11 : 18-28

La sécularisation d'abord graduelle, puis de plus en plus rapide, de l'école vaudoise sommairement décrite ci-dessus et sa conséquence, la déchristianisation progressive du Pays de Vaud, ne sont pas des phénomènes fortuits. Nous pouvons chaque jour davantage constater cette athéisation pratique de la société avec tous les malheurs qu'elle entraîne tant pour les individus que pour les familles. Un tel désastre provient du fait que l'Église de Dieu, les chrétiens, nous tous, d'une manière ou d'une autre, avons depuis de nombreuses générations failli à notre devoir. Nous avons quitté la voie que l'Éternel avait tracée pour ceux qui désiraient lui demeurer fidèles. Nous avons suivi d'autres dieux, abandonnant l'éducation de nos enfants à des maîtres imbus d'idéologies étrangères à la foi chrétienne. Ainsi sommes-nous venus à encourir les malédictions promises par Dieu dans sa Parole à ceux qui abandonnent son alliance. Mais, à l'encontre du fatalisme marxiste qui prétend détenir le secret du "sens de l'histoire", il nous faut avec force affirmer que rien n'est inéluctable dans le cours de ces événements. Si nos désobéissances ont attiré sur nous et sur notre pays les malédictions divines que nous constatons, le retour à Dieu, le retour de son peuple à l'obéissance aux ordres divins entraînera, lui aussi des conséquences promises par la Parole de Dieu : des bénédictions pour le pays, des bienfaits sans nombre de la part de Dieu. Les paroles de l'Ancienne Alliance citées ci-dessus étaient valables pour l'ancien Israël. Elles le sont plus encore aujourd'hui encore pour cet Israël de Dieu qu'est l'Église et dont la tâche, définie par son Seigneur et Roi, Jésus-Christ, se résume dans ces consignes si précises :

 

Toute puissance m'a été donnée dans le ciel et sur la terre. Allez donc, enseignez toutes les nations, baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et apprenez-leur à garder tout ce que je vous ai commandé. Et voici que je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde.

Matthieu 28 : 18 - 20

Si Dieu est avec nous, qui donc sera contre nous ? Si nous obéissons à Dieu, et, en particulier, si nous obéissons à cet ordre de Dieu d'enseigner nos enfants selon la Parole divine, selon la loi de Dieu, et cela, dans tous les domaines de l'instruction, et de la façon que prévoit l'Écriture, les promesses de Notre Seigneur ne manqueront pas de s'accomplir et ce pays reviendra certainement de son péché pour à nouveau assumer la vocation divine qui est la sienne.

 

5. Le méchant tombe dans la fosse qu'il creuse pour le juste

Comment cela se fera-t-il ? C'est bien simple. La Bible nous dit souvent que le méchant consomme sa propre ruine. Celui qui méprise ces règles du bon usage de la création que sont les lois bibliques ruine immanquablement cette création. Il en va de même pour la santé de notre corps et de notre âme, pour nos familles, pour la vie de la société tout entière.

Prenons pour exemples quelques-unes de ces nouveautés qui nous sont proposées par nos pédagogues novateurs :

— Psychologiquement le principe de non-directivité et celui qui lui est très proche celui de l'auto-créativité de l'enfant – l'enfant étant à la fois bon naturellement et d'une nature quasi divine – produisent, ou bien de ces mauviettes qui sont incapables de résister aux dures exigences de la vie, ou bien de ces franches canailles dont on n'a jamais réprimé les mauvais instincts et qui ne cessent de casser, de souiller et de détruire tout ce qui croise leur chemin.

— Ne pas donner un enseignement bien structuré, que ce soit en français, en mathématique ou en histoire, a parmi bien d'autres effets celui de priver les enfants de cette structure de caractère que donne l'effort surmonté, effort si essentiel à la formation de personnalités solides et bien équilibrées.

— Priver l'enseignement du sens et de cette base de certitude ferme que donnent la connaissance de Dieu et de sa Parole, la Bible, ne peut que livrer la jeunesse ainsi appauvrie au doute, à l'incertitude, à l'angoisse. En fin de compte c'est ainsi qu'on lui ouvre toutes grandes les portes illusoires de la drogue, de l'occultisme et de toutes les fausses religions humaines, qu'elles soient politiques ou spiritualistes. Avec quel résultat ? Une radicale inaptitude à la vie en société et, bien souvent, hélas ! le suicide. Là où il faudrait en effet former des jeunes résolus et capables de devenir de véritables adultes aptes à affronter un monde devenu de plus en plus difficile à maîtriser, on se contente de fabriquer une jeunesse sans force et sans caractère, disponibles à toutes les manipulations.

— L'enseignement renouvelé du français, pour prendre une autre nouveauté, ne donne plus à l'élève cette formation orthographique et grammaticale qui lui fournirait ce cadre solide dans lequel il pourrait s'exprimer. Ne pas pouvoir s'exprimer avec des réflexes grammaticaux et orthographiques exacts est un moyen certain de freiner, souvent même de paralyser, une pensée claire et cohérente. C'est rendre l'élève incapable de s'exprimer avec aisance et d'agir de manière conséquente. Un slogan badigeonné sur les murs de la gare de Lausanne exprime de manière pathétique cette impuissance navrante : "Nous n'avons pas d'autre moyen de nous exprimer".

— Commencer à l'école primaire par cette méta-mathématique (c'est-à-dire par les principes mathématiques à la base de toutes les diverses formes de mathématiques) qu'est la théorie des ensembles – les fameuses maths modernes – revient carrément à mettre la charrue devant les boeufs. Les enfants qui subissent cet enseignement perdent tout le bénéfice d'un enseignement moins abstrait qui progresserait petit à petit au rythme de la croissance graduelle de la capacité d'abstraction des enfants. La progression normale va de la découverte des nombres à l'arithmétique ; de la géométrie euclidienne à l'analyse algébrique. Uniquement une fois ce chemin parcouru peut-on utilement en venir à des formes de mathématiques plus abstraites. Pour ceux qui ont des aptitudes d'abstraction remarquables, ce cheminement aboutira au niveau universitaire à la méta-mathématique de la théorie des ensembles de Boole et aux principes de la logique mathématique. Que faudrait-il penser d'une mère qui commencerait à alimenter son nourrisson avec du bifteck ou des mets raffinés ? Ou d'un pasteur qui inaugurerait son catéchisme par des analyses subtiles sur le mode de la procession du Saint-Esprit, ou de la nature de l'Incarnation, ou des problèmes que pose à la raison humaine le mystère de la Trinité ? Ou d'un instituteur qui prendrait comme manuel de lecture la Critique de la raison pure de Kant ? Ces quelques exemples – et ils pourraient sans doute être multipliés – montrent bien à quelle ruine sont voués, tant sur les plans intellectuel que moral et spirituel, les enfants qui sont livrés à cette nouvelle pédagogie.

Évoquons parmi bien d'autres encore un exemple des effets désastreux de ce merveilleux renouvellement de l'école. Depuis plus de dix ans, de telles réformes sont appliquées systématiquement aux écoles publiques belges. Voici ce qu'en écrit Paul Charlier, ingénieur retraité et membre depuis de nombreuses années du jury aux examens de maturité d'un Athénée de la ville de Liège :

 

Le comportement des jeunes gens à l'université et dans les écoles supérieures représente le meilleur test permettant de juger le rénové au pied du mur.

L'École Militaire, seule école imposant un examen-concours (c'est-à-dire accompagné d'un nombre fixe et connu de candidats admissibles), a été obligée d'abaisser les normes d'appréciation des candidats ; autrement il ne lui serait plus possible d'inscrire un nombre suffisant d'élèves en première année.

Dans les universités le nombre des échecs est effroyable : 80 % des étudiants inscrits en première année sont éliminés et ne termineront pas leurs études. (Et je connais des cas où ce nombre est dépassé). Seules les "Facultés de Sciences appliquées" échappent à cette hécatombe, car les étudiants doivent passer un examen d'entrée en mathématiques avant de s'inscrire… Il n'y a malheureusement pas à sortir de là : l'instruction du "rénové" s'accompagne d'un recul des connaissances et d'un recul de la culture générale des jeunes gens44.

Nous ne sommes cependant pas nécessairement condamnés à suivre d'aussi malheureux exemples.

 

6. Des écoles chrétiennes

Toute l'action de l'Association Vaudoise de Parents Chrétiens est axée sur l'éclaircissement de ces questions si importantes et sur l'information de nos autorités du point de vue chrétien au sujet de ces problèmes. Nous savons qu'un effort persévérant pour diffuser la vérité dans ce domaine portera à la longue ses fruits. Si le mensonge pédagogique de la neutralité et les erreurs innombrables qu'il entraîne sont en effet des maladies mentales aussi contagieuses que la peste d'antan, la Vérité est, elle, aussi irrésistible que l'est Dieu lui-même. La vérité est aussi invincible que cette Parole divine qui ne retourne jamais à Dieu sans avoir accompli son effet. Il nous est possible de nous engager dans une autre voie. Cette orientation nouvelle a été exprimée publiquement par Pierre de Mestral45 lors du débat qui suivit la conférence que donna le Conseiller d'État Raymond Junod à Vevey le mercredi 22 septembre 1981 pour soutenir le projet de réforme des structures de l'école. Il demanda au Chef du Département de l'Instruction Publique et des Cultes pourquoi l'État ne subventionnerait pas les écoles privées de toutes tendances constituées par des associations de parents, comme cela se fait aux Pays-Bas. Après l'abrogation demandée et obtenue, du monopole de fait de la SSR, voici que l'on réclame l'abrogation du monopole de l'État sur l'instruction publique. Cette idée a été reprise par le pasteur Roger Barilier dans sa chronique hebdomadaire du samedi dans la Nouvelle Revue de Lausanne :

 

Ne serait-il pas dès lors plus démocratique de faire place, à côté de l'école officielle, à d'autres institutions scolaires usant d'autres structures et d'autres méthodes ? Mais, non seulement de leur faire place, mais de les financer aussi largement que l'école officielle46.

C'est l'établissement d'une telle école confessionnelle que prévoit le projet élaboré par un groupe vaudois d'enseignants et d'hommes d'affaires chrétiens. Voici de quelle manière s'exprime ce projet au sujet des principes qui devraient inspirer une telle école chrétienne:

 

Le but de l'école sera de fournir aux élèves une formation chrétienne fondée sur les principes de l'Ancien et du Nouveau Testament.

L'autorité suprême de notre pédagogie est la Bible, Parole de Dieu. Nous soulignons par conséquent les principes suivants:

a) une saine doctrine de la création…

b) une saine doctrine de l'homme…

c) une saine doctrine de la loi…

d) une saine doctrine de la discipline…

e) une saine doctrine de la grâce de Dieu…47

Loin de concevoir une telle école comme une sorte de ghetto chrétien, ce projet explique clairement que les matières au programme aborderont des courants de pensée non chrétiens, et même franchement opposés au christianisme, les traitant cependant toujours dans une perspective biblique et ne laissant pas de doute aux enfants sur la vérité chrétienne relative à de telles questions. Les chrétiens plus âgés, plus mûrs et aguerris au combat spirituel et intellectuel se trouvent souvent dans des situations dans lesquelles les attaques d'un monde hostile à Dieu leur sont épargnées, tandis que les enfants, nullement préparés à affronter de tels combats, sont jetés dès leur tendre enfance dans un milieu scolaire hostile aux convictions et à la foi de leurs parents. C'est le contraire même de ce qui devrait normalement arriver. Car nous autres adultes nous devrions quitter le cocon de notre situation protégée pour affronter courageusement le monde. Tandis que les enfants et les adolescents devraient eux être pour un temps soustraits aux pensées et aux pressions d'un monde hostile au christianisme afin d'être fortifiés et préparés au combat que plus tard ils devront affronter dans un monde sans Dieu. Sur ce point précis voici ce qu'affirmait ce projet :

 

Toute instruction est une découverte du monde de Dieu. Ce point de vue, implicite plutôt qu'explicite dans l'enseignement, ne protégera pas les élèves d'idées et d'influences anti-chrétiennes, mais leur donnera la possibilité de les dominer plus facilement lorsqu'ils devront y faire face plus tard. On cherchera plutôt à mettre les élèves en contact avec de telles idées, dans la mesure où ils pourront les comprendre. Les élèves seront toutefois conscients du point de vue chrétien du professeur, car il sera impossible à ce dernier de rester sans parti pris. Un éducateur chrétien respectera cependant la recherche de ses étudiants48.

Dans une perspective très semblable, Jean de Siebenthal, à l'époque professeur de géométrie à l'École Polytechnique Fédérale de Lausanne, écrivait en 1973 les ligne suivantes :

 

L'école doit d'abord orienter la culture vers le but ; elle formera l'homme total. Rien de l'art, de la civilisation, de la science ne lui sera étranger, mais partout la fin sera présente, explicite ou implicite. En particulier, toutes les misères des hommes seront normalement référées à la misère de l'Homme en Croix, toutes les joies pourront être référées à celles du Ressuscité. On cessera de se délecter dans les oeuvres des artistes et écrivains morbides, dans les négations de ceux qui refusent l'Amour, dans les productions des érotomanes quand la culture s'ordonnera à Celui qui est l'axe de l'histoire, en qui s'articulent toute splendeur et toute beauté. 49

Et plus loin, définissant le rôle des sciences de l'homme, Jean de Siebenthal écrit :

 

Les sciences de l'homme se référeront à l'image de Dieu qu'il constitue. On entend les cris et les réclamations que peut susciter cette proposition. Messieurs les scientifiques, ou qui vous croyez tels, pratiquez donc la méthode expérimentale en cette matière ; essayez de vous mettre dans les conditions propices. Fréquentez les évangiles, les épîtres, les psaumes, régulièrement, objectivement, loyalement et essayez de les faire passer si peu que ce soit dans votre vie. Voyez qui est Jésus-Christ, par vous-mêmes, et comparez. Vous croyez vous aliéner ainsi à un concept vide ? Quelle erreur ! vous pouvez voir que ce Jésus vous procure la liberté, parce qu'il est la liberté même ; il vous procure la vie, parce qu'il est cette vie que vous cherchez. Tout votre être sera dilaté dans une joie que l'on ne peut pas perdre. C'est ce Jésus, et lui seul, qui vous fera échapper à ce monstrueux conditionnement qui enserre la société sous couleur de libération, et qui n'aboutit qu'à la famine spirituelle aussi bien que corporelle.

Les sciences de l'homme se référeront donc au Christ. Puisqu'il s'agit d'école, la pédagogie, pour commencer, se fondera sur lui et non sur ces pauvres protagonistes de l'école en difficulté. Les évangiles présentent sa manière d'enseigner: qu'on s'en inspire. Il enseigne la Vérité par ses paroles et son amour, par sa vie, par ses actes, par sa mort. Toute la pédagogie, toute la psychologie sont contenues dans son message. La seule science pédagogique est celle qui enseigne à bien vivre. Le Christ a montré le chemin ; Il est le chemin 50.

Voilà le modèle d'école que nous devons fonder. Voilà le moyen préparé par Dieu pour que nos enfants soient à nouveau le sel de la terre, la lumière du monde. Voilà ce qu'implique le mot d'ordre ancien, Omnia instaurare in Christo, tout restaurer dans le Christ. Voilà le chemin de la reconstruction chrétienne que préconise le pasteur Rousas Rushdoony. Ou mieux encore, voici la consigne de l'apôtre Paul qui nous exhorte à suivre son exemple, lui qui s'écriait en s'adressant aux Corinthiens :

 

Nous renversons l'orgueil des raisonnements qui s'élèvent contre la connaissance de Dieu, et nous amenons toutes les pensées captives à l'obéissance du Christ.

2 Corinthiens 10 : 5

 

Conclusion

Le grand malheur de la pédagogie dite moderne – et ici elle s'avère être moins moderne qu'elle ne l'imagine puisque un bon nombre de ses erreurs remonte aux enseignements nocifs de Rousseau et de Kant, et plus loin encore, au scepticisme et à l'agnosticisme d'un Montaigne – est que, contrairement à son but explicite, elle ne forme les enfants ni pour la société future, ni même pour la société présente. Ne parlons pas d'une quelconque formation pour la société de Dieu, pour le Royaume de Dieu. Ceci provient de ce qu'une telle pédagogie a pour principe de ne pas former, c'est-à-dire dans le sens premier de ce mot, donner une forme aux enfants. Ainsi les adultes qui quitteront l'école après avoir subi cette déformation pédagogique ne seront aptes ni à assumer le présent, ni à se préparer pour l'avenir. Ils devront simplement subir et le présent et l'avenir sans être capables ni de les confronter, ni même de s'y adapter, ni encore moins de le transformer. Et cette dure réalité d'aujourd'hui et de demain ils la subiront autrement plus démunis que ne l'avaient fait leurs pères.

L'avenir sera l'héritage des enfants dont les parents chrétiens, ayant vu clair dans les écueils du temps présent, auront su assumer, avec le secours de la grâce de Dieu et la collaboration d'autres parents chrétiens, toutes leurs responsabilités afin de donner une saine formation, tant familiale que scolaire, à leurs enfants. Pour tout dire, ici-bas déjà, l'avenir sera pour nos enfants, pour les enfants de ces chrétiens conséquents que nous voulons être !

Que le Seigneur des cieux et de la terre, que Jésus-Christ, Seigneur aussi de ce Pays de Vaud et auquel nous voulons obéir, puisse être pleinement glorifié dans nos familles, dans nos écoles et dans nos enfants, enfants que nous voulons élever pour Lui afin qu'ils soient la lumière de notre nation, le sel de cette terre vaudoise que nous aimons à la gloire de Dieu Lui-même !

______________________

1 L'essentiel de cette conférence fut donné le 20 octobre 1981 à Seengen en Argovie, lors du Congrès Le renouvellement du combat chrétien, organisé par le Vereins besorgter Eltern et l'Association Vaudoise de Parents Chrétiens. Ce travail fut publié dans le No. 7, juillet 1982, de la revue Finalités.

2 Pour la France de l'Ancien Régime voyez : Jean de la Viguerie, L'Institution des Enfants. L'Éducation en France, 16e—18e siècles, Calmann-Lévy, Paris, 1978, 331 p.

3 Georges Panchaud, Les Écoles vaudoises à la Fin du Régime bernois, F. Rouge, Lausanne, 1952, p. 31.

4 Panchaud, op. cit., p. 33.

5 Panchaud, op. cit., p. 37.

6 Ces mots désignent la sorcellerie.

7 Panchaud, op. cit., p. 37-38.

8 Panchaud, op. cit., p. 47.

9 Cf. Article III de la Charte Fondamentale de l'Enseignement de l'Association Vaudoise de Parents Chrétiens : On ne peut séparer l'acquisition des connaissances de la formation morale et spirituelle de la jeunesse. L'ignorer est dangereux.

10 Panchaud, op. cit., p. 108.

11 Panchaud, op. cit., p. 114-115.

12 Portes ouvertes avec Frère André, août 1981, Nº 63, p. 2.

13 Panchaud, op. cit., p. 117.

14 Remarquons cet écho vivant, dans l'ancienne école vaudoise, de la grande tradition poétique de la Réforme, tradition elle-même héritière de la poésie chrétienne du Moyen Âge. Un saisissant tableau réaliste et sans fard de l'école bernoise se trouve dans le grand roman de Jérémias Gotthelf, Heur et Malheur d'un Maître d'école, F. Zahn, La Chaux-de-Fonds, 1893. Une école semblable est décrite dans certains chapitres de l'épopée autobiographique de Laura Wilder, La petite Maison dans la Prairie, Flammarion, Paris, 8 volumes, 1978-1979, consacrée à l'ouverture de la frontière de l'Ouest américain.

15 Panchaud, op. cit., p. 237.

16 F. J. Durand, Statistique élémentaire, Tome II, p. 386, Lausanne, 1795-1796. Cité par Panchaud, op. cit., p. 37-38.

17 Antoine Favre, Droit Constitutionnel suisse, Éditions Universitaires, Fribourg, 1970, p. 297.

18 Constitution Vaudoise de 1845, Article 11, cité dans A. Veillon, Les Origines des Classes primaires supérieures vaudoises, Bibliothèque historique vaudoise, Lausanne, 1978, p. 37.

19 Article 14, cité dans Veillon, op. cit., p. 38.

20 Cette discrimination à l'égard des membres de l'Église libre fut une des causes importantes de la division et de l'affaiblissement de la cause chrétienne dans le Pays de Vaud.

21 Loi Scolaire de 1865. Veillon, op. cit., p. 110-111.

22 Veillon, p. 109. Articles 27, 37, 38.

23 Félix Bonjour, Louis Ruchonnet : sa Vie, son Oeuvre, Imprimerie vaudoise, Lausanne, 1936. Voyez en particulier le chapitre intitulé, École laïque et École unique, p. 61-68. Bonjour ne laisse planer aucun doute sur l'appartenance de Ruchonnet à la direction de la Franc-maçonnerie vaudoise. Dans le canton de Neuchâtel ce fut Numa Droz qui fut l'artisan principal de la déchristianisation de l'école publique. Voyez, Samuel Robert, Numa Droz. Un grand Homme d'État, Delachaux, Neuchâtel, 1944, p. 49-51.

Il serait très utile de connaître de manière précise les rapports de ces hommes d'État helvétiques avec, d'une part, la Franc-maçonnerie suisse et, d'autre part, avec le mouvement international de laïcisation de la société si puissant à cette époque. Nous pourrions ainsi commencer à disposer de quelques éléments qui nous permettraient d'éclaircir la manière dont s'est effectuée la déchristianisation de nos institutions et de notre pays. Pour ce même mouvement de laïcisation en France voyez, François Brigneau, Jules l'Imposteur, Éditions Présent, Castres, 1981 ; Pierre Chevalier, La Séparation de l'État et de l'École. Jules Ferry et Léon XIII, Fayard, Paris, 1981.

24 Constitution vaudoise du 1er mars 1885, p. 1.

25 Ibid., p. 3.

26 Ibid., p. 3.

27 Loi du 25 mai 1960 sur l'instruction publique primaire, p. 4.

28 Loi du 25 février 1908 sur l'instruction publique secondaire, p. l. Cette définition humaniste de l'éducation correspond exactement à celle contenue dans l'Article 26 de la Déclaration des droits universels de l'homme de 1948 : "L'éducation doit viser au plein épanouissement de la personne humaine."

29 Louis Burnier, Histoire littéraire de l'Éducation morale et religieuse en France et dans la Suisse romande, G. Bridel, Lausanne, 1864, Tome I, p. 124-125.

30 Ernest Giddey, L'École, dans, Cent cinquante ans d'histoire vaudoise 1803-1953, Payot, Lausanne, 1953, p. 267.

31 École Normale de Lausanne. Fiche technique. Pédagogie. Un examen attentif de la tradition allant de Rousseau à Piaget en passant par Pestalozzi, Édouard Claparède, Adolphe Ferrière, le père Girard, François Guex et Louis Meylan nous permettrait sans doute de mieux discerner d'où nous proviennent de pareilles perles.

32 Ibid.

33 Ibid. Les mêmes prémisses inspirent en 1997 "Église À Venir", avant-projet de l'Église Évangélique Réformée Vaudoise.

34 Rapport de la commission d'enseignement du parti socialiste vaudois. Une école nouvelle pour une société socialiste.

35 Ibid.

36 Ibid.

37 A.-A. Upinsky, De nouvelles Mathématiques pour une nouvelle Société, 2+ 2 = 5, G.E.R.S., Paris, 1977, p. 179.

38 Alexandre Vinet, Du Socialisme considéré dans son Principe, Lausanne, 1846.

39 Voyez René Berthod, Une École pour les Enfants, A.V.P.C., Lausanne, 1982.

40 A ce sujet voyez l'excellent article de Mary Gilbertson, Piaget's Role in Wrecking U.S. Education, Fusion, May 1981. On peut également consulter : R. Debray-Ritzen, Lettre ouverte aux Parents des petits écoliers, Albin Michel, Paris, 1978, p. 149-152 ; A. A. Upinsky, Des nouvelles Mathématiques pour une nouvelle Société, GERS, Paris, 1982 ; S. Bardell, The New Math destroying cognitive development, Fusion, May 1981 ; Morris Kline, Why Johnny Can't Add : the Failure of the New Math, St Martin's Press, 1973 ; René Thom, Les Mathématiques "modernes", une erreur pédagogique et philosophique ?; Stella Baruk, Échec et Math, Seuil, 1973 ; T. R. Ingram, Les Maths modernes et la Corruption des intelligences, 1976.

41 Voyez l'ouvrage capital de René Berthod, Main basse sur l'École, Renouveau Rhodanien, Sion, et plus particulièrement le Chapitre 1. Voyez aussi la brochure Le nouveau Français : Ruine ou Renouveau, AVPC, Lausanne, 1982, 33 p. ; Marc Dem, La Grammaire française sacrifiée, Le Spectacle du Monde-Réalité, No 226, janvier 1981, p. 73-77 ; Roger Pitteloud et René Berthod, L'École à tous les Vents, Renouveau Rhodanien, Sion, 1982.

42 Déclaration de l'Association de Chrétiens Réformés Confessants.

43 A. R. Kayayan, Alliance et Éducation. L'Alliance de Grâce. Perspectives Réformées, Vol. VII, 1978, Nº 2, p. 57.

44 Paul Charlier, Réforme scolaire. Échec en Belgique, Finalités, Nº 65, mai 1981, p. 7-8.

45 Pédagogue et juriste, à l'époque vice-président de l'A.V.P.C.

46 Roger Barilier, École et Société, Nouvelle Revue de Lausanne, 26.9.1981. Plusieurs gouvernements cantonaux outre-Sarine ont été l'objet d'interpellations publiques au sujet de la nécessité d'introduire le système de financement de l'école par des bons scolaires distribués à toute famille ayant des enfants en âge de scolarité.

47 Projet d'école chrétienne en Suisse romande.

48 Ibid., p. 1-2.

49 Jean de Siebenthal, École globale intégrée et École selon la Nature humaine, Centre de Documentation Civique, Lausanne, p. 43.

50 Ibid., p. 53.