Prise de position sur la solution des délais

Remarques formulées par l'Association Vaudoise de Parents Chrétiens lors de la consultation fédérale sur l'Avant-projet de modification du Code pénal suisse concernant l'interruption de grossesse.

Introduction : le droit, la justice et les moeurs

Depuis quelques années, dans les domaines de la famille et de la sexualité, le droit ne cesse de courir après les moeurs évoluant constamment vers une permissivité croissante. Le législateur qui devrait aider à définir et promouvoir ce qui est bien et juste en fonction d'impératifs objectifs, ainsi que réprimer ce qui est injuste, ne fait plus qu'entériner, après coup, dans tous ces domaines, des comportements acquis et courants, sans jamais vraiment se poser la question de leur bien-fondé. Le raisonnement du législateur, dans l'Avant-projet susmentionné, semble donc être le suivant : puisque ce comportement – l'avortement avant la treizième semaine pour toutes sortes de raisons – est répandu, il est forcément juste et doit donc être légalisé.

Voilà un bien bel exemple de sophisme ! Au lieu de faire en sorte que "ce qui est juste soit fort", on veut aujourd'hui s'arranger pour que ce qui est "fort soit juste". La majorité sexuelle est actuellement fixée à seize ans. D'ici quelques années, lorsque la plupart des jeunes, complètement déchristianisés, passeront à l'acte vers l'âge de douze ans, le législateur se contentera d'entériner ce fait accompli et abaissera la majorité sexuelle à douze ans, sans chercher à savoir s'il promeut ainsi le bien des jeunes concernés. La définition de la pédophilie – qui horrifie encore nos contemporains, mais pour combien de temps ? – commencera alors, elle aussi, à poser problème et devra être, redéfinie par le législateur en fonction des nouvelles pratiques et de critères aussi subjectifs que "le projet parental" ou "le désir d'enfant" dans le cas de l'avortement. Et ainsi de suite ! Jusqu'à quel point de non retour, auquel nous sommes peut-être déjà arrivés avec la question de l'avortement, le droit ne fera-t-il que de s'adapter aux moeurs ?

Par cet exemple imaginaire, on voit bien qu'une loi qui se contente de s'adapter aux moeurs de son époque et de les ratifier, sans vraiment les mesurer à une norme objective, est tout autant une source d'insécurité qu'une loi qui n'est pas appliquée, car elle risque bien, à terme, de nous habituer à un droit qui ne promeut pas la justice mais l'arbitraire le plus total ou simplement la loi du plus fort, même si celle-ci s'apparente, ici, à une "volonté sociale" (p.11 du rapport explicatif) impersonnelle. Un autre exemple permettra au législateur de mieux comprendre, peut-être, notre position sur cet Avant-projet. L'homicide volontaire est condamné par notre législation, car il est des domaines où, même dans une société libérale, on ne peut laisser à l'individu le choix de savoir "quelle est la responsabilité la plus lourde" (p.10). Cette loi et les sanctions appliquées à ceux qui l'enfreignent n'ont jamais empêché que des homicides volontaires soient commis dans notre pays et en ce sens "toutes les tentatives (...) pour garantir la protection de la vie (...) par le biais du droit pénal ont échoué" (p.11). Pourtant, il ne vient à l'idée de personne d'abroger cette loi, sous prétexte qu'on n'arrive pas à la faire respecter parfaitement. Chacun comprend que celle-ci, aussi faiblement efficace soit-elle, est un frein petit, mais nécessaire, au libre déchaînement de la barbarie dans notre pays. Nous pensons qu'il en va de même pour la loi actuelle sur l'avortement. Bien que mal appliquée, elle est malgré tout un frein, frêle mais indispensable, à la banalisation d'un acte grave qui, bientôt, ne présentera pas plus de difficulté qu'un simple arrachage de dent.

 

I. Confusion dans les esprits

Nous souhaitons tout d'abord relever un certain nombre de confusions, courantes à notre époque, qui ont manifestement marqué la pensée des rédacteurs de l'Avant-projet et du rapport explicatif.

 

a) Confusion entre vie végétale, animale et humaine

Nous remarquons à cet égard un refus de l'ordre différencié et hiérarchique qui existe dans la création. Il y a en effet une différence qualitative entre la matière inerte, la vie végétale et animale et la vie humaine, dont l'homme – en particulier le législateur – doit tenir compte. Dans cette perspective, courante jusqu'à une période assez récente, si le monde minéral, et dans une moindre mesure végétal, peuvent être détruits ou modifiés sans guère poser de questions d'ordre moral, il n'en va pas de même des animaux, que nous pouvons utiliser pour notre bien, mais n'avons pas le droit de faire souffrir inutilement. L'homme se trouve quant à lui sur un tout autre plan. Le commandement divin "Tu ne commettras pas de meurtre", qui fonde de manière transcendante sa protection juridique, institue en même temps la peine de mort pour celui qui ose attenter aux jours de l'homme.

 

Celui qui verse le sang de l'homme

Par l'homme son sang sera versé.

Car Dieu a fait l'homme à son image.

Genèse 9 : 6-7b

Dans la pensée du législateur telle qu'elle est exprimée dans cet Avant-projet et dans les considérants qui l'accompagnent, s'il est clair que les intérêts de la mère de l'enfant conçu et non désiré doivent être à tout prix protégés – ainsi est affirmée juridiquement sa pleine humanité – il n'en va manifestement pas de même de l'enfant qui se trouve dans son sein. C'est ici qu'apparaît la confusion susmentionnée. Quel est donc cet objet qui a fait brusquement intrusion dans le sein maternel ? Une excroissance gênante (une grosseur, d'où l'expression interruption de grossesse), un objet étranger, un animal dont on peut en toute liberté se débarrasser – comme l'on noierait sans remords une portée de petits chats –, ou plutôt un être pleinement humain dont la vie innocente doit être respectée au même titre que celle de sa mère ?

 

b) Confusion entre vie humaine innocente et vie humaine criminelle

Nous pouvons constater, dans l'Avant-projet et ses appendices, le rejet des notions morales de bien et de mal, et, par conséquent, un certain flottement quant à la nature du bien qui doit déterminer la formulation juridique du bien commun. Jusqu'à présent, malgré une pratique devenue laxiste, l'avortement était en principe punissable. Il semble désormais que la protection du bien-être psycho-physiologique de la femme – son droit à disposer librement de son corps – soit devenu juridiquement prédominant. Mais qu'en est-il alors du bien propre au père de l'enfant qui, du moins sur le plan biologique, est partie prenante, à part égale avec la mère, dans la conception de l'enfant ? Il n'est également quasiment jamais question du bien propre à l'enfant à naître, enfant dont le législateur dispose au seul gré des caprices de sa mère.

Ainsi, ignorant souverainement le père et l'enfant, le législateur cherche uniquement à protéger la mère criminelle, qui livre, de plus ou moins bon gré, son enfant innocent et sans défense, entre les mains de ses assassins. Si les mères sont indéniablement coupables, nous ne saurions toutefois les mettre seules en cause, car rien dans notre société ne les incite à vivre une sexualité responsable. Nous n'ignorons pas non plus que bien des pères refusent l'enfant issu de leurs oeuvres, privant ainsi leur compagne du soutien dont elles auraient besoin. A cet égard, l'Avant-projet, en laissant aux femmes la responsabilité exclusive du choix de garder ou non leur enfant, les laisse encore plus seules face à une décision qui, si elle conduit à l'avortement, sera lourde de conséquences tant pour l'enfant que pour elles-mêmes.

Quant à la décision de renoncer à poursuivre pénalement ceux qui pratiquent l'avortement par métier, elle est particulièrement significative et exprime clairement la volonté du législateur de banaliser l'acte en question. Ce ne sont dès lors plus le faible et l'innocent qui sont protégés, mais ceux qui attentent à sa vie, si bien que l'on peut dire avec le prophète Esaïe :

 

Malheur à ceux qui appellent le mal bien

Et le bien mal,

Qui changent les ténèbres en lumière

Et la lumière en ténèbres,

Qui changent l'amertume en douceur

Et la douceur en amertume !

Malheur à ceux qui sont sages à leurs yeux

Et qui se considèrent intelligents !

Esaïe 5 : 20-21

 

c) Confusion entre développement d'une nouvelle vie et maladie

Nous constatons encore dans ce projet une confusion étonnante entre le développement de la vie d'un enfant conçu dans le sein de sa mère et celui d'une maladie, plus précisément d'une grosseur ou d'un kyste, dont l'ablation chirurgicale serait identifiée à l'interruption de grossesse. Ce qu'on appelle par euphémisme interruption de grossesse n'est rien d'autre que la mort violente d'un être humain innocent sans défense et ce camouflage verbal n'enlève rien à la brutalité de l'acte.

 

d) Confusion entre deux vies humaines distinctes

On trouve finalement, dans la pensée du législateur, une confusion entre la vie de la mère et celle de son enfant, lequel est souvent assimilé à une extension nuisible du corps de sa mère, qu'il faut exciser chirurgicalement. On s'aperçoit donc avec stupeur que le développement du droit a rendu les juristes incapables de différencier deux corps distincts – c'est-à-dire deux personnes différentes – dont l'un se trouve, pour un temps limité, en étroite dépendance avec l'autre.

 

II. Le statut biologique et juridique du zygote-foetus-embryon-bébé prématuré-enfant humain né vivant

Le droit s'applique à des personnes physiques ou morales. Aucun juriste ne saurait nier que l'enfant né vivant est, dans le sens le plus plein, un sujet de droit dont la protection est assurée par la loi. Il ressort même de l'article 544 alinéa 1er CC que l'enfant conçu est capable de succéder, s'il naît vivant. Certes, des juristes allemands dans les années trente ainsi que des juristes communistes ont retiré le statut de sujet de droit à des groupes humains précis : juifs, tziganes, débiles mentaux, prisonniers slaves, bourgeois, ennemis du peuple, révisionnistes politiques, etc. Mais jusqu'à présent de telles lois n'ont pas encore, Dieu soit loué, été introduites dans notre tradition juridique helvétique.

Les biologistes affirment de manière unanime la continuité organique de tous les êtres vivants, dès leur conception et jusqu'à leur destruction par la mort. La logique la plus élémentaire nous fait comprendre que cet organisme appelé "être humain", et traité pleinement comme tel par le droit dès sa naissance, l'est tout autant dans la période qui va de sa conception à sa sortie du sein maternel. Cette même logique nous dit que le droit devrait protéger cet être au caractère unique de façon semblable, tant avant sa naissance qu'après.

Or, selon l'Avant-projet, l'être humain en devenir, que la science reconnaît comme essentiellement le même à tous les stades de son développement, doit être traité comme disposable à volonté jusqu'à la quatorzième semaine après les dernières règles de sa mère, soit jusqu'à sa douzième semaine de vie environ. Ne jouissant d'aucune protection, il peut ainsi être tué pour n'importe quelle raison pour autant que son assassin soit un médecin diplômé. Depuis sa treizième semaine de vie, cet embryon jouit d'un statut hybride puisqu'il ne peut désormais être mis à mort que sous certaines conditions, cela toujours uniquement par la main d'un médecin diplômé et avec l'accord de sa mère.

L'absurdité de cette position et l'arbitraire total de la distinction littéralement capitale1 – avant ou après la douzième semaine de vie – saute aux yeux en appliquant ce même raisonnement à une quelconque période ultérieure de la vie de l'homme.

L'argument utilisé, soit le fait que "les progrès de la néonatalogie permettent aujourd'hui de maintenir en vie les enfants nés à partir du cinquième mois de grossesse", ne peut se justifier, que le point de vue soit philosophique, scientifique ou moral. L'embryon ne change en effet pas de nature après la douzième semaine. En outre, on peut se demander ce qui se passera lorsque les progrès en néonatalogie permettront de maintenir en vie un bébé né avant son cinquième mois de vie. Finalement, il est pour le moins surprenant que l'on admette que le confort d'une personne humaine puisse l'emporter sur la vie d'une autre, "le meurtre d'un enfant viable" étant justifié dans les motifs par "le droit à l'auto-détermination de la femme".

Au vu de ce qui précède, la loi ne devrait pas seulement protéger ceux, parmi ces êtres humains, qui ont le privilège de naître vivants mais également ceux qui se trouvent vivants dans ce lieu, autrefois sûr mais aujourd'hui devenu fort dangereux, qu'est le sein maternel. Peu importe si cet être humain dans la période de gestation porte le nom de zygote, foetus, embryon ou enfant prématuré.

Dès lors, si la destruction d'un être humain innocent après sa naissance est un meurtre, il n'y a aucune raison biologique, juridique ou morale, de considérer différemment sa destruction avant sa naissance. Notre Parlement a-t-il reçu du Souverain Législateur la vocation de légaliser le meurtre ? Est-il de ceux dont parle le psalmiste :

 

Ont-ils partie liée avec toi, les magistrats de malheur

Qui façonnent l'oppression à l'aide du code ?

Psaume 94 : 20

Nos parlementaires seraient-ils de ceux dont parle le prophète Ésaïe lorsqu'il s'écrie :

 

Nul ne porte plainte avec justice,

Nul n'entre en jugement avec fidélité ;

Ils se fient à du vide

Et disent des non-sens.

Ils conçoivent l'oppression

Et enfantent l'injustice.

Ésaïe 59 : 4

Il nous paraît utile de rappeler ici que le point de départ de la déchéance morale des nazis fut la légalisation par le Reichstag allemand de l'avortement. Par cet acte le droit positif allemand en était venu à refuser de considérer l'embryon humain comme faisant partie de l'espèce humaine. Il lui refusait le statut d'"être humain". Comme nous le savons, d'autres catégories d'êtres humains (Juifs, Tsiganes, malades mentaux, grands blessés de guerre, handicapés de toutes sortes, tous jugés ou impurs ou socialement inutiles) ont sous le régime nazi rejoint dans le Troisième Reich la catégorie des enfants avortés comme faisant partie des unmensch, des non-humains. Ayant adopté le même point de départ qu'est-ce qui nous assure que notre civilisation antichrétienne ne suivra pas un chemin semblable ? Les mêmes causes produisent souvent les mêmes effets.

La prétendue différence raciale entre Juifs et Aryens, comme nous le savons aujourd'hui, n'est justifié par aucun fait biologique. La différenciation entre un embryon de moins de treize semaines et un prématuré né viable n'est pas plus valable biologiquement parlant que la distinction raciale arbitraire et imaginaire qui produisit l'extermination massive des Juifs. Nous sommes ici en plein arbitraire juridique. Car comment peut-on par des mesures aussi irrationnelles et si peu conformes à la réalité des personnes en présence rendre justice, c'est-à-dire rendre à chacun ce qui lui est dû ? L'ultra-féminisme qui sous-tend tout cet Avant-projet concentre tout le poids de la loi sur la défense et la protection de la mère, ceci au point que les intérêts du père sont totalement passés sous silence. Pire encore, dans son raisonnement, le législateur ne semble même pas capable de concevoir l'existence de l'enfant dans un cas de grossesse non désiré. Dans la pesée des intérêts en présence et dans l'intérêt d'une égalité de traitement de toutes les personnes concernées ne devrait-il pas aussi tenir compte de l'existence de l'enfant et du père afin d'établir une législation ayant une simple apparence de justice ?

C'est pour ces différentes raisons que nous recommandons le rejet pur et simple de cet Avant-projet de modification du Code pénal suisse concernant l'interruption de grossesse.

 

Association Vaudoise de Parents Chrétiens

le 26 août 1997

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1 Il en va de la tête de l'enfant !