L'école : Une responsabilité des familles ?1

Jean-Marc BERTHOUD

1. Il nous faut résister à l'État-Léviathan moderne

Dans la Charte fondamentale de l'enseignement, document fondateur de l'Association Vaudoise de Parents Chrétiens, nous lisons :

La responsabilité de l'éducation des enfants incombe en premier lieu aux parents, et seulement par délégation aux institutions scolaires. Les droits et les obligations des parents à l'égard de leurs enfants ont priorité sur ceux de l'État. (Article 4)

Cette responsabilité première de la famille dans l'éducation et l'instruction de ses enfants est une vérité d'ordre créationnel, donc valable pour tous les hommes, croyants ou non, de quelque lieu ou de quelque temps qu'ils puissent être. La famille est l'institution fondatrice de la société. C'est d'elle, et de l'Alliance que Dieu établit avec elle dès la création (et non de l'État apostat des temps modernes et du mythe d'un contrat social originel imaginaire sur lequel il se fonde) que découlent toutes les institutions sociales. En effet, le mythe du contrat social est une théorie élaborée de toutes pièces au sein d'une tradition nominaliste foncièrement anti-chrétienne pour remplacer la doctrine biblique de l'Alliance. Il fait partie de ce courant laïc d'idées modernes, allant de Duns Scot à Guillaume d'Occam, Marsile de Padoue à Thomas Hobbes, de John Locke à Jean-Jacques Rousseau et qui tend à séculariser, à déchristianiser, à couper de Dieu et de sa Loi toute la vie politique et sociale. Ce mythe cherche ainsi à remplacer la famille, comme institution fondatrice de toute société saine – honorant le Créateur et par conséquent véritablement utile aux hommes – par un État autonome vis-à-vis de Dieu et de ses lois2.

Comme le montre si clairement Roland de Vaux dans ses Institutions de l'Ancien Testament3, c'est cette priorité fondamentale donnée à la famille qui conduit la législation mosaïque à punir si sévèrement – par la peine de mort – toute atteinte grave à l'institution familiale. Cette priorité donnée par Dieu à la famille dans l'ordre social est effacée du souvenir du monde moderne. Mais c'est également cette même hiérarchie de valeurs qui permet à cette même loi d'ignorer complètement les crimes contre l'État que les législations des États modernes, punissent parfois même par la peine de mort. Car, comme nous l'avons déjà vu, c'est l'hérésie capitale contre le pouvoir dominant du moment qui détermine les crimes qui doivent être punis de mort.

Depuis la révolution grégorienne du XIe siècle ce pouvoir absolu s'est, pour un temps, concentré sur celui de la Papauté qui manifestait ainsi de manière publique sa prétention religieuse à détenir les attributs quasi divins d'une véritable infaillibilité terrestre. C'est pour cette raison qu'à partir du XIe siècle il lui a fallu à tout prix réprimer, par le feu et par le glaive, l'hérésie religieuse comme la forme la plus dangereuse de sédition politique contre son pouvoir sans bornes. C'est cette théorie pontificale du pouvoir absolu (reprise par lui de l'héritage impérial romain) que la tradition occamiste a récupéré, mais cette fois au bénéfice des adversaires de la Papauté, le pouvoir impérial ainsi que celui des grandes monarchies d'Occident4.

Depuis l'instauration de l'absolutisme monarchique au XVIIe siècle (dont la source et le modèle se trouvent dans l'absolutisme religieux et politique d'une Papauté ayant usurpée certains des attributs de la divinité), l'Alliance créationnelle de Dieu avec les hommes, fixant par la Loi divine les conditions – profitables aux hommes – de toute vie en société, a été remplacée par un contrat social mythique des hommes entre eux. C'est de cette mutation idéologique, de cette apostasie politique, qu'est né l'État autonome moderne qui ne connaît ni bien commun, ni Loi qui le dépasserait, ni finalité divine. L'hériter de l'absolutisme fut le pouvoir révolutionnaire et c'est sur l'héritage de la révolution que s'est fondé l'État moderne, providence terrestre souveraine et omnipotente. Ces remarques valent autant pour les régimes qui se prétendent démocratiques que pour ceux qui se manifestent ouvertement comme totalitaires. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'existerait pas de différence entre le totalitarisme démocratique mou de l'opulence occidentale5 dans lequel nous vivons et l'emprise totale sur les citoyens qu'exercent les régimes policiers où règne la terreur !

Il nous faut revenir à la vision réaliste que nous donne la Bible de la société comme étant constituée par une Alliance divine avec les hommes et fondée sur les conditions établies par Dieu lors de la création. Ces conditions sont définies une fois pour toutes par la Loi divine contenue dans toute la Sainte Écriture et résumée dans le Décalogue. C'est uniquement en récusant la tradition du contrat social et en revenant au Dieu créateur de l'ordre cosmique, politique et social, et à ses lois, que nous briserons la légitimité frauduleuse de l'État moderne. Car l'État, sous la forme d'une unité collective divinisée aux prétentions à la fois omnisciente et omnipotente est un animal socialement omnivore qui empiète constamment sur la légitimité des autres corps sociaux. Par excès d'ambition centralisatrice, il en devient inapte à exercer ses fonctions propres indispensables, d'arbitrage social, de justice, de police et de défense de la nation. C'est uniquement en refusant la légitimité des prétentions totales de l'État moderne – que le mythe universellement admis du contrat social a imposé au monde moderne – que nous pourrons à nouveau remonter le courant destructeur d'un laïcisme humaniste sans Dieu ni Loi. Un tel État est par nature destructeur de toutes les structures de la société qui ne dépendent pas de lui, et avant tout, bien sûr, de la famille biblique.

Nous devons résolument nous rendre compte que seule une démarche radicale, c'est-à-dire traitant ce mal à la racine, pourra en fin de compte justifier la priorité que nous donnons aux devoirs des parents sur ceux de l'État en ce qui concerne l'éducation des enfants. Car cet État moderne, coupé des amarres qui le rattachait au Créateur et à ses lois (voyez l'adage universellement reçu du monde antique, Tout pouvoir vient de Dieu) est devenu une véritable machine bureaucratique centrifuge qui, à la longue, détruira totalement toute institution qui ne dépend pas de lui. Il n'est guère possible de lutter contre les prétentions de l'État moderne à exercer un droit absolu de vie et de mort sur tous ses citoyens, prétention exprimée de manière éclatante dans la légalisation de l'avortement, sans récuser également sa prétention à être son propre fondateur, sa propre norme, son propre dieu6. C'est un tel pouvoir sans Dieu et libéré des contraintes salutaires de la Loi divine que la Bible nomme la Bête.

Comme cela commençait à se manifester déjà dans la France de Louis XIV – et bien plus encore dans les pays islamiques et communistes – l'État qui s'établit comme sa propre norme cherche à exercer une autorité absolue sur tous les citoyens, de la conception au tombeau. Nous pouvons aujourd'hui observer ce phénomène de plus en plus clairement dans tous nos pays sécularisés. Dans de tels systèmes totalitaires, il ne doit en fin de compte pas demeurer le moindre espace de liberté pour des institutions véritablement autonomes. Il est évident que la famille, comme institution indépendante, restera toujours le premier ennemi à abattre. Cependant on aura beau vouloir travailler à la détruire, la famille créationnelle renaîtra immanquablement de ses cendres. Car il est tout simplement impossible de fonder une quelconque société tant soit peu durable sans son concours.

Nous devons cependant bien nous rendre compte qu'en travaillant au rétablissement des devoirs et des fonctions créationnelles de la famille dans la société, nous déclarons une guerre totale aux prétentions quasi divines de ce qu'il faut bien, après son premier théoricien, Thomas Hobbes, appeler l'État Léviathan7. Ce processus anti-créationnel d'élimination des institutions indépendantes de l'État passe obligatoirement, nous ne le voyons que trop bien aujourd'hui avec la mondialisation, par la destruction d'autres institutions essentielles à la vie des hommes en société :

— toute nation libre de son destin doit disparaître ;

— tout pouvoir spirituel distinct et indépendant de la puissance temporelle doit être éliminé ;

— la liberté de la propriété privée doit être dissoute ;

— toute réelle autonomie sociale, économique et politique des familles doit être abolie.

C'est dans ce contexte que nous pouvons comprendre la portée véritable de la législation moderne sur la famille adoptée dans la plupart des pays occidentaux. Ainsi la vision chrétienne du mariage comme Alliance, ou comme Sacrement, vision lui conférant un statut et un caractère inaltérables, a été remplacée par une législation totalement profane faisant du mariage un simple contrat de type commercial, dissolvable à volonté8.

Tout en respectant les divers pouvoirs – même impies – placés au-dessus de nous comme venant de Dieu, nous devons, lorsqu'il le faut, résolument réapprendre à l'école des Apôtres et des Martyrs chrétiens à obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes, fut-ce au prix de notre vie9.

2. Il faut avertir les parents chrétiens des dangers qui menacent la famille et les armer pour lutter efficacement dans cette guerre sans merci qui leur est livrée

Le caractère même du Dieu Trinitaire, Créateur et Souverain de l'univers et Maître de l'histoire, ainsi que la validité universelle, dans tous les domaines, de sa Révélation écrite, ont poussé quelques amis Protestants et Catholiques à fonder une association de parents chrétiens dans le canton de Vaud, en Suisse romande, afin de rappeler à notre peuple et à ceux qui le gouvernent les normes immuables de la Sainte Écriture. Cette Révélation écrite du Créateur n'est en fait autre chose que le manuel de fonctionnement de sa création. Une étude attentive de la réalité créée peut nous faire découvrir certaines des structures morales de l'ordre social, comme le montre par exemple l'ouvrage de Frédéric Le Play : L'Organisation du Travail selon la Coutume des Ateliers et la Loi du Décalogue10, ou les études cliniques du Professeur Henri Baruk sur le Tsedek11 ou encore celles du célèbre psychanalyste américain repenti O. Hobart Mowrer12, sur les rapports objectifs entre la névrose et l'infraction des règles du Décalogue. Mais cet ordre créationnel nous est bien plus clairement révélé encore dans la Loi divine elle-même. Les solutions durables aux problèmes inextricables dans lesquels se débattent nos nations ne pourront être découvertes qu'en appliquant de telles normes aux réalités sociales soigneusement étudiées. Ceci est particulièrement vrai pour ce qui concerne la famille et l'école.

3. La défaillance des Églises

Ce serait la tâche des Églises, et en particulier celle de leurs Ministres, d'instruire le peuple de Dieu dans ces réalités et d'attirer l'attention des Magistrats sur les normes divines qui devraient fonder leur action juridique et politique. Pour ce qui se passe en Suisse, elles sont malheureusement, à de rares exceptions près, incapables d'accomplir cette tâche.

Les Églises réformées d'État se sont depuis si longtemps livrées à une critique destructrice du texte sacré et à un pluralisme doctrinal qui en est l'inévitable conséquence, qu'elles en sont venues à perdre quasiment tout souvenir de l'enseignement si riche et si nuancé de la Réformation du XVIe siècle sur tous les aspects de la vie en société. Ces pasteurs, pour la plupart, ne sont plus que des aveugles conducteurs d'aveugles. Ce pluralisme doctrinal qui malheureusement est la théologie généralement acceptée, la véritable orthodoxie de ces clercs, n'est en vérité rien d'autre qu'une forme moderne de polythéisme. Cette multiplicité de vérités prêchées dans ces Églises les rendent parfaitement incapables de résister aux courants idéologiques à la mode. En effet la plupart des ministres s'y conforment sans peine, suivant le courant du vent dominant. Ils le font en toute bonne conscience, n'ayant pas la moindre idée qu'ils trahissent ainsi le message de la Bible que Dieu leur a confié13. Comment pourraient-ils avoir conscience de commettre une telle forfaiture vu que la manière critique de lire la Sainte Écriture a pour eux évacué tout sens de son contenu ?

Il existe cependant encore aujourd'hui une tradition réformée véritable donnant un enseignement biblique global sur la vie en société. Un des éléments les plus actifs dans ce renouveau est le mouvement de reconstruction chrétienne de la société qui se manifeste surtout aux États-Unis. Le retour à un respect pour la Bible dans la tradition réformée commence à influencer des milieux protestants préoccupés dans de nombreux pays du monde par la nécessité d'une action et d'un témoignage chrétien se rapportant à la vie sociale et politique, fruit nécessaire d'une piété véritable. Bon nombre de ces réformés travaillent à la restauration d'une vision biblique de la famille et luttent activement contre des fléaux sociaux tels la drogue, l'avortement et la pornographie. Ils sont aussi très actifs dans le domaine de l'éducation chrétienne travaillant à l'établissement d'écoles chrétiennes ainsi qu'à de nombreux programmes de homeschooling (instruction des enfants par leurs parents). Une des figures de proue en est le pasteur calviniste d'origine arménienne, Rousas John Rushdoony de l'Institut Chalcédoine en Californie. En France, c'est surtout la Faculté libre de Théologie réformée d'Aix-en-Provence qui, en défendant l'inspiration divine et l'autorité souveraine de la Parole de Dieu sur tous les domaines de la vie humaine, dispense ouvertement un enseignement authentiquement biblique sur les réalités sociales14.

Pour ce qui concerne les milieux que l'on appelle évangéliques, leur souci essentiel est celui d'un travail spirituel : conversion et sanctification des âmes, et édification de l'Église locale. Cette vision réductionniste de l'Évangile est malheureusement souvent associée à une méconnaissance dramatique des applications de la Loi divine dans le domaine public. S'ils défendent en général la doctrine d'une Bible inspirée de Dieu, l'autorité de cette Parole divine est limitée à la piété personnelle et ecclésiale. Dieu n'aurait dans cette perspective rien à faire avec le cosmos, ni avec la cité. Une telle sclérose spirituelle et intellectuelle rend ces milieux inaptes à discerner les problèmes de société relatifs à la famille et à l'école, et à imaginer que la Bible pourrait fournir des modèles de réponses à de tels problèmes. Heureusement, nous commençons à remarquer ici et là quelques changements dans l'attitude de ces milieux. Mais faute d'un ancrage conceptuel suffisant dans les enseignements de la Loi de Dieu, le danger guettant les milieux évangéliques qui commencent à s'intéresser aux réalités de la vie publique est de verser dans un idéalisme utopique de type socialiste, de suivre les courants mis à la mode par les médias. Ainsi, par une navrante naïveté philosophique et faute d'un enracinement sérieux dans les enseignements réalistes de la Loi biblique, ils en viennent à cautionner le mal en croyant faire le bien.

Pour ce qui concerne l'Église catholique romaine, les trésors de sa doctrine sociale traditionnelle, souvent très proche des enseignements de la Loi de Dieu, ont été largement dilapidés par l'aggiornamento spirituel et doctrinal par lequel elle a passé depuis une trentaine d'années. Le renouveau biblique catholique a malheureusement trop souvent été marqué par l'adoption pure et simple des pires erreurs protestantes en matière de critique de la Bible15. Certains îlots d'enseignement social traditionnel ont survécu à cet ouragan : l'avortement, l'euthanasie, les diverses formes de manipulation de la vie naissante, certains aspects de la vie de famille. Mais l'influence dominante ici, comme dans bien des milieux réformés et évangéliques, conduit à identifier l'enseignement social chrétien avec ce qui, en fait, n'est que son renversement, son contraire même, l'idéologie des droits de l'homme, philosophie étroitement associée au mythe du contrat social16. C'est un tel égalitarisme sentimental qui conduisit, il y a quelques années, la Conférence des évêques Suisses à appuyer la révision anti-chrétienne et anti-naturelle du droit matrimonial de la Suisse, proposée par le parti démocrate chrétien. Sans un tel appui catholique, cette loi aurait certainement été rejetée lors de la votation fédérale des 21 et 22 septembre 198517.

Dans ce domaine, nous commençons aussi à voir un retour à un enseignement plus sain, tout particulièrement au moyen des rééditions par des milieux conservateurs de nombreux classiques de l'enseignement social traditionnel de l'Église catholique romaine. Cet enseignement social, malgré des désaccords que l'on ne saurait minimiser, est souvent très proche de celui des Réformateurs du XVIe siècle, par exemple de celui du plus grand commentateur réformé des Dix Commandements, le Vaudois Pierre Viret.

4. Une association de parents chrétiens pour combler ce vide

Nous avons fondé l'Association Vaudoise de Parents Chrétiens en 1979 pour tenter de combler ce vide. Elle cherche à promouvoir une action publique en faveur de la famille et de l'école dans la perspective définie par la Loi de Dieu. Ses statuts définissent son but comme étant celui de

(…) promouvoir l'éducation de la jeunesse selon les normes établies par la Loi de Dieu. (Article 4)

Les bases de son action sont :

— le Christianisme historique révélé par une Bible infaillible, tenant son autorité de Dieu et étant normative pour tous les aspects de la vie humaine (refus de tout subjectivisme spirituel) ;

— la vérité absolue et conceptuellement définissable de la foi chrétienne (refus de tout subjectivisme philosophique) ;

— le respect des commandements de Dieu (refus de tout subjectivisme moral) ;

— l'application de ces commandements à la réalité sociale de notre époque (refus de l'individualisme religieux, de la séparation entre les obligations morales et les devoirs publics).

Notre première tâche, en tant qu'association de parents chrétiens, a été de rappeler aux milieux chrétiens ces enseignements bibliques oubliés, relatifs à la vision chrétienne de la société, et plus spécialement sur les responsabilités de la famille dans le domaine de l'enseignement. C'est ici le préalable indispensable à tout travail visant à ôter à l'État sa prétention à vouloir prendre entièrement en charge la jeunesse de la nation. C'est une telle restructuration de la famille chrétienne selon les normes bibliques qui en fera à nouveau une institution organique diversifiée, hiérarchique et efficace, capable de mener à terme de nombreuses tâches – religieuses, sociales, éducatives et même économiques – que l'État a usurpées suite à l'affaissement des structures bibliques de la famille chrétienne moderne. Ainsi fortifiée, renouvelée, la famille sera à nouveau apte à appuyer le travail diaconal de l'Église, pour ne prendre qu'un exemple, dans le secours si essentiel à apporter aux mères célibataires enceintes et tentées de détruire l'enfant qu'elles portent dans leur sein.

Une des tâches, et pas des moindres, qui incombe à la famille chrétienne renouvelée et fortifiée en Christ et par le Saint-Esprit, famille restructurée selon son modèle créationnel biblique, est d'assumer la responsabilité de l'éducation et de l'instruction des enfants, soit par ses propres moyens – par exemple en instaurant ce que l'on appelle l'école à domicile, le homeschooling si répandu aux États-Unis – soit en déléguant son autorité à des institutions pédagogiques de son choix dont l'action ne serait que le prolongement des valeurs chrétiennes défendues par elle. Il serait heureux que les moyens publics que l'État consacre à l'instruction de la jeunesse ne soient pas uniquement mis à la disposition de ceux dont l'idéologie ne vise qu'à la destruction de la famille. Un système tel que celui qui prévaut aux Pays-Bas, où les parents peuvent exercer un véritable choix institutionnel dans ce domaine sans être fiscalement pénalisés, serait certes non seulement souhaitable, mais une simple question de justice. Mais dans le contexte actuel de la guerre livrée par l'État contre l'ordre naturel d'une société se conformant aux exigences de la loi de Dieu, il ne serait guère prudent de se faire des illusions sur le secours matériel à obtenir de nos adversaires. Ne devons-nous pas également nous souvenir du dicton populaire : Qui paie commande, sagesse qui devrait ici nous dicter une saine méfiance envers les oboles pouvant provenir d'un État animé de plus en plus dans son action par un esprit anti-chrétien. De toute façon, nous ne croyons pas que l'instruction de la jeunesse fasse partie des attributions légitimes de l'État18.

5. Fondements doctrinaux

Dans le cadre du travail de notre association de parents, nous avons prêté une attention toute particulière aux bases doctrinales nécessaires à une action pédagogique dans l'intérêt de la famille. Dans le passé, l'Église de Dieu a formulé des Symboles et des Confessions de Foi qui définissaient les fondements essentiels de la Foi chrétienne sur des points particuliers qui étaient ou insuffisamment définis, ou contestés et déformés par des hérétiques. Il s'agissait là de garde-fous doctrinaux absolument indispensables à la survie de la foi révélée une fois pour toutes par Dieu aux hommes. Car cette foi, les chrétiens avaient l'obligation de la garder dans les termes mêmes dans lesquels elle leur avait été communiquée par les Apôtres (1 Corinthiens 15 : 2).

Dans le domaine pédagogique, il existe également de nombreuses erreurs-hérésies – puéro-centrisme, relativisme moral, agnosticisme épistémologique, évolutionnisme biologique (Darwin19) ou psychologique-épistémologique (Piaget20), historicisme, laxisme dans la discipline, non-directivité, étatisme, etc. – qui doivent être soigneusement définies afin de nous permettre de nous prémunir contre leurs effets nocifs. C'est dans le but de protéger les parents, les élèves et les enseignants contre de tels poisons, de fortifier leur défense immunitaire contre de tels virus idéologiques, que nous avons publié diverses mises au point pédagogiques, soit sous la forme de déclarations de principes : La charte fondamentale de l'enseignement ; Déclaration sur le rôle éducateur des familles ; La loi, les moeurs, la morale et le droit ; Création, biologie et loi divine, soit sous la forme de brochures ponctuelles traitant de sujets particuliers où se manifestaient ouvertement de telles erreurs : éducation sexuelle, enseignement renouvelé du français, droits de l'enfant, etc.21. Car, comme nous l'affirmons dans la Charte de l'enseignement, fondement doctrinal de notre Association, il ne s'agit pas seulement d'être conduit par des principes pédagogiques sains, conformes à la nature véritable des enfants et au rapport objectif entre maîtres et élèves. En plus, si nous voulons dispenser un enseignement chrétien digne de ce nom, nous nous devons d'amener toutes les pensées des enfants captives à l'obéissance de Jésus-Christ (2 Cor. 10 : 5 ; Rom. 12 : 2). Nous formulons ce principe ainsi :

Il est indispensable d'établir dans toutes les matières de l'enseignement une conception d'ensemble des programmes scolaires répondant à une véritable finalité chrétienne respectueuse du réel et de faire en sorte que la vision chrétienne de l'enseignement, ici définie, puisse à nouveau inspirer l'éducation publique de notre canton. (Article 8)

6. Notre vocation de chrétiens : être le sel de la terre, la lumière du monde

Car notre souci n'est pas seulement de former la pensée chrétienne des parents chrétiens sur ces matières et de les rendre aptes à assumer les responsabilités que Dieu leur a données en leur confiant des enfants, mais d'agir sur l'ensemble de la société. Car le Christ a déclaré à ses disciples, qu'en tant qu'enfants de Dieu, ils étaient la lumière du monde et le sel de la terre ; que le monde ne prévaudrait pas contre leur foi car ce monde mauvais avait déjà été défait par la victoire définitive de Jésus-Christ à la croix ; et qu'en conséquence ils devaient, en se fondant sur la toute puissance donnée au Fils de Dieu, tant sur la terre que dans les cieux, travailler à :

(…) instruire toutes les nations, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit et leur apprenant à garder tous ses commandements.

Matthieu 28 : 18-20

Nous avons déjà fait remarquer que le tremplin, à partir duquel une telle action de redressement chrétien pouvait être entreprise, était celui que les événements eux-mêmes nous fournissent tout naturellement. Il nous faut profiter des circonstances, en général adverses aux positions chrétiennes, pour démontrer, dans un langage accessible à tous, les solutions raisonnables et équilibrées qu'offre une application précise de la pensée chrétienne dans tel ou tel domaine. Car nous savons que si l'erreur est contagieuse, la Vérité, elle, est chargée de l'appui du Tout-Puissant. Dans ce travail de longue haleine nous cherchons à intervenir dans la législation et la politique familiale et scolaire, tant au niveau cantonal que fédéral. Nous parvenons ainsi dans une certaine mesure, par des actions ponctuelles et précises, à freiner le glissement de la société vers le gouffre de l'anarchie sociale et de ce totalitarisme tranquille qu'une telle anarchie doit immanquablement appeler.

 

Conclusion sous forme de thèses

a) La responsabilité première de l'instruction des enfants est celle de la famille

Depuis le développement de l'absolutisme et son fondement dans le mythe du contrat social, l'État s'est érigé en Dieu marchant sur terre (Hegel) s'arrogeant tous les droits sur tous les citoyens. Nous devons récuser ce mythe afin d'affirmer l'indépendance réelle des familles, institution fondatrice de la société et instrument irremplaçable de toute véritable instruction.

b) Dangers pour la famille du pouvoir total de l'État moderne

Les parents chrétiens doivent être éveillés aux dangers que représente le pouvoir absolu, c'est-à-dire sans bornes autres que celles qu'il se donne lui-même, de l'État moderne. Les familles doivent être restructurées selon les normes édictées par la Bible, qui doit reprendre sa place dans les Églises comme constituant un véritable manuel d'organisation sociale d'origine divine, norme créationnelle pour tous les lieux et tous les temps. C'est ainsi qu'elles pourront redevenir des institutions fortes, indépendantes et efficaces glorifiant Dieu.

c) Défaillance du témoignage public des Églises

La défaillance des Églises dans le témoignage fidèle à la Loi divine, qu'elles doivent rendre sur la place publique quant à l'ordre créationnel, rend urgent la fondation et l'action de telles associations de parents chrétiens.

d) La nature de l'ordre créationnel révélé infailliblement dans la Bible

C'est sur le caractère même du Dieu Créateur, soutien constant et souverain de l'univers, qu'est fondée la validité universelle de sa Révélation écrite, dans tous les domaines. Seule l'application de telles normes divines aux problèmes inextricables dans lesquelles se débattent nos nations pourrait permettre leur résolution. Ceci est tout particulièrement vrai pour tout ce qui touche à la famille et à l'école.

e) But de l'Association Vaudoise de Parents Chrétiens

L'Association Vaudoise de Parents Chrétiens fut fondée en 1979 dans le but de promouvoir, dans la perspective définie par la Loi de Dieu, une action publique en faveur de la famille et de l'école. Les bases de son action sont les suivantes :

— le Christianisme historique tel qu'il est révélé par les Écritures divines, la Bible ;

— la vérité absolue et conceptuellement définissable de la foi chrétienne ;

— le respect des commandements de Dieu comme normatifs pour toute réalité ;

— l'application de ces commandements à la réalité sociale de notre époque.

L'action de notre association cherche à atteindre les buts définis ci-dessus sans entrer pour autant dans des discussions d'ordre doctrinal, propre aux différents confessions chrétiennes.

f) Une action ponctuelle se greffant sur les occasions fournies par les événements

Le tremplin que nous utilisons, pour engager cette action de redressement chrétien de la famille et de l'école, est celui que nous fournissent tout naturellement les événements. Ce sont là les portes qu'ouvre la Providence elle-même à l'action des chrétiens dans ce monde. Nous devons profiter de telles circonstances qui, bien souvent, contrarient les positions chrétiennes que nous cherchons à promouvoir. C'est ainsi que nous cherchons à exprimer dans un langage accessible à tous des solutions à tel ou tel problème. De cette manière, nous cherchons à manifester de façon concrète et nuancée les solutions, raisonnables et équilibrées, qu'offre une application de la pensée chrétienne, tout à la fois précise et adaptée aux circonstances de temps et de lieu, aux problèmes inextricables de notre époque.

g) Nécessité de fonder de telles associations de parents chrétiens

Il serait nécessaire de fonder de nombreuses associations de parents chrétiens analogues à la nôtre et adaptées aux circonstances locales si nous désirons voir le redressement chrétien de notre civilisation. Leur tâches seront les suivantes :

— rassembler des parents chrétiens inquiets de la situation dans laquelle se trouvent leurs enfants ;

— fournir à ces parents et à leurs enfants les armes doctrinales indispensables à la lutte contre la destruction du tissu familial, scolaire et social ;

— aider les parents chrétiens à assumer pleinement leurs responsabilités éducatives et pédagogiques envers leurs enfants ;

— renverser ainsi le courant social destructeur provenant de l'humanisme athée (que l'on appelle de divers noms : sécularisation, laïcisme, etc.) et d'un syncrétisme pluraliste informe, le soi-disant nouvel âge ;

— enfin, de tels efforts doivent aboutir à encourager les familles chrétiennes à assumer pleinement leur vocation éducative, tant par ce qu'on appelle l'éducation des enfants à la maison, que par la fondation de nombreuses écoles chrétiennes, qui deviendront des pépinières de culture véritable. C'est ainsi que l'on doit travailler à susciter le rétablissement dans notre société d'une civilisation vraiment digne de ce nom.

Un tel travail a pour but de faire en sorte que les familles chrétiennes de ce pays redeviennent ce qu'elles n'auraient jamais dû cesser d'être : le sel de la terre et la lumière du monde. La foi du chrétien, nous dit l'Écriture, est victorieuse du monde, car le Seigneur Jésus-Christ, par sa mort et sa résurrection, a, Lui, vaincu pour nous tous les pouvoirs mauvais qui conduisent notre monde à sa perte.

Un tel travail ne peut s'accomplir sans un réveil de la foi en Jésus-Christ, et sans une réforme, un retour de la vie des chrétiens à un mode de vie en conformité avec les commandements de Dieu. Sans le retour à une foi fondée sur l'Écriture seule, sans une obéissance confiante aux commandements de Dieu et sans un esprit fervent de prière, un tel redressement ne pourra s'opérer.

Que notre Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit nous vienne en aide.

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1 Conférence donnée au Congrès du XXe anniversaire de Laisser les Vivre et de SOS Futures Mères Paris, les 3 et 4 mars 1991.

2 Voyez à ce sujet notre étude fortement documentée : Jean-Marc Berthoud, Social Contract Tradition and the Autonomy of Politics, Calvinism Today, Vol. I, No. 1, January 1991.

3 Roland de Vaux : Institutions de l'Ancien Testament, Cerf, Paris, 1961. Deux volumes.

4 Voyez sur ces questions les ouvrages suivants : Walter Ullmann, The Growth of Papal Government in the Middle Ages, London, 1955 ; Harold J. Berman, Law and Revolution. The Formation of the Western Legal Tradition, Harvard University Press, Cambridge, 1983 ; Bertrand de Jouvenel, Du Pouvoir. Histoire naturelle de sa Croissance, Cheval Ailé, Genève, 1945 ; De la Souveraineté, Génin, Paris, 1955 ; Rousas J. Rushdoony, Christianity and the State, Ross House Books (P.O. Box 67, Vallecito, CA 95251), 1986. Sur les origines philosophiques et théologiques de l'absolutisme moderne voyez, W. L. Courtenay, Capacity and Volition : A History of Absolute and Ordained Power, Pierluigi Lubrina, Bergamo, 1990.

5 L'expression est d'Augusto Del Noce, L'irreligion occidentale, Fac-éditions, Paris, 1995.

6 Cette prétention de l'État à une propriété absolue sur ses citoyens fut plus anciennement exprimée, d'abord dans le service militaire obligatoire datant des levées de masses de la Révolution française, puis par l'instruction universelle et obligatoire des enfants par l'État.

7 Jean-Marc Berthoud, La Guerre contre la Famille, Première Partie, Chapitre I de ce livre.

8 Voyez notre étude, La Famille dans la Bible et Aujourd'hui, Première Partie, Chapitre II de ce livre.

9 Jean-Marc Berthoud, Du Pouvoir dans la Vie chrétienne, Documentation Chrétienne, (Case postale 468, CH 1001 Lausanne, Suisse) No. XVII, Septembre 1977.

10 Frédéric Le Play, L'Organisation du Travail selon la Coutume des Ateliers et la Loi du Décalogue, Mame, Paris, 1870.

11 Henri Baruk, Tsedek, Droit hébraïque et Science de la Paix, Éditions Zikarone, Paris, 1970.

12 O. Hobart Mowrer (Editor), Morality and Mental Health, Rand McNally, Chicago, 1967.

13 Jean-Marc Berthoud, Quelle Critique biblique ?, Documentation Chrétienne, Case Postale 468, CH 1001 Lausanne, 1985.

14 Jean-Marc Berthoud, Du Règne social de Jésus-Christ, Troisième Partie, Chapitre I, de ce livre.

15 Jean-Marc Berthoud, Du Christianisme de Hans Küng, Documentation Chrétienne, Case Postale 468, CH 1001 Lausanne, 1985.

16 Jean-Marc Berthoud, Une Religion sans Dieu. Les Droits de l'Homme contre l'Évangile, L'Age d'Homme, Lausanne 1992.

17 Collectif, Mariage nouvelle Mode. Le nouveau Droit matrimonial, A.V.P.C., Lausanne, 1985. R.L. Dabney et R.J. Rushdoony, La Famille et ses Adversaires, A.V.P.C., Lausanne, 1985.

18 A.V.P.C., Réflexions sur un Projet de Loi scolaire, Deuxième Partie, Chapitre VI, de ce livre.

19 Voyez les travaux de l'Association Création, Bible et Science, Case postale 4, CH 1001 Lausanne, Suisse et en particulier le Manifeste Créationniste publié fin 1990.

20 Voyez dans cet ouvrage : Quel Avenir pour nos Enfants ? Deuxième Partie, Chapitre II ; L'Enseignement chrétien et les Erreurs de l'Épanouissement du Moi en Éducation, Deuxième Partie, Chapitre I ; La Pédagogie, Ruine de l'Enseignement ?, Deuxième Partie, Chapitre III.

21 Collectif, Le Nouveau Français: Ruine ou Renouveau ? et dans cet ouvrage : L'Éducation sexuelle: l'Affaire de l'École ou celle des Parents ?, Annexe III ; Une Déclaration des "Droits de l'Écolier", Deuxième Partie, Chapitre V.