L'OBSESSION PLURALISTE

Controverse au sujet du pluralisme doctrinal
dans l'Eglise Réformée de France
 
Daniel BERGESE 

PREMIERE PARTIE

 LES RACINES HISTORIQUES

 

1°/ LA REFORME  

A - L'EGLISE DE MULTITUDE

Il nous faut remonter en plein XVIe siècle, la mémoire collective du protestantisme contemporain remonte sans doute jusque là, pour trouver au berceau de la Réforme les éléments originels du pluralisme actuel.

Le premier de ces éléments n'est pas particulier à l'Eglise de la Réforme, il est en fait, en héritage direct du catholicisme romain. Il s'agit du principe ecclésiologique que nous appelons aujourd'hui le "multitudinisme"

La prétention universelle du christianisme avait trouvé depuis Constantin, et plus encore avec Théodose et Gratien, un accomplissement, une sorte d'achèvement d'ordre politique. Le monde gréco-romain devenait le monde chrétien, et ce dernier allait durer de longs siècles. L'écroulement de l'empire romain, s'il entraîna quelques modifications géographiques quant à la situation de la chrétienté d'Occident, ne lui fut nullement fatal. L'Occident était gagné, le christianisme avait pénétré les moeurs de plusieurs générations, une culture chrétienne était née (dont nous sommes encore au bénéfice malgré les conquêtes de l'humanisme et la sécularisation de la société).

Ainsi, l'identité de l'homme de ce grand Moyen-Age, c'est avant tout d'être un chrétien. Baptisé dès les premiers jours de son existence, il entre du même coup dans la vie sociale et religieuse. Toute son activité se déroule ensuite dans une structure sociale totalement élaborée ou justifiée par le religieux. L'étendue de l'expérience existentielle de l'individu est immergée dans la pré-compréhension religieuse posée par la société; la cloche du village sacralise l'espace, tandis que le retour annuel des fêtes chrétiennes joue le même rôle vis-à-vis du temps. Société civile et société religieuse ne se confondent pas en droit, mais sont liées par des rapports étroits. Le discours de la foi fonde dans la conscience du peuple l'autorité de l'Etat, et ce dernier met son pouvoir au service des idéaux religieux.

 

Cet équilibre, il faut le noter, est déjà bien ébranlé au début du XVIe siècle et la Réforme, même si ce n'était pas son intention première, va entrer dans ce mouvement de dislocation, en ce qu'elle va justifier l'opposition de certains états à la domination politico-religieuse de Rome. Pourtant ni Luther, ni Calvin ne vont concevoir une cité sur des principes autres que ceux qui avaient fonctionné durant les siècles passés. L'attitude de Luther avec les princes allemands, sa prise de position contre l'émeute paysanne, et la cité de Genève pour Calvin, témoignent d'une reprise du vieux thème de l'interdépendance entre la cité céleste et la cité séculière. Les frontières de l'Eglise continuent donc de se confondre avec celles de l'organisation politique. Ce principe, qui était déjà miné par l'émergence d'un humanisme plus individualiste, a quand même bien fonctionné, et la géographie confessionnelle de l'Occident s'en est trouvée toute modifiée : des états entiers ont quitté le cercle religieux de Rome pour passer à celui de la Réforme.

Si donc Calvin, le père des Eglises réformées non luthériennes, qui à ce titre nous intéresse plus particulièrement, s'est prononcé pour une Eglise d'Etat et de multitude, il importe de connaître son approche théologique.

 

Le point clef se situe dans une conception de l'Eglise comme réalité qui a sa subsistance propre dans une sorte d'au-delà des membres qui la composent. L'Eglise est parce que le Christ est. La doctrine du corps mystique de Christ est ici fondamentale. Son ecclésiologie est donc essentiellement christocentrique. L'Eglise est fondée, non dans la réponse que les hommes font à l'appel de Dieu, mais dans cet appel lui-même, c'est-à-dire en définitive dans l'élection en Jésus-Christ. Elle est de ce fait, par nature, invisible. Cependant ce fondement appelle à son tour une manifestation visible.

C'est dans ce mouvement, que Jacques Courvoisier(l) appelle justement "l'ecclésiologie dialectique de Calvin", que l'on découvre les signes de l'Eglise historique. L'Eglise visible est, selon Calvin, là où retentit la pure prédication de la Parole de Dieu, et là où les sacrements sont correctement administrés. Il n'est donc pas question de référer l'Eglise visible, pas plus que l'invisible, à ses membres. Celle-ci existe et se manifeste là où la présence du Christ est rendue effective par la Parole et les sacrements. Et cela quand bien même l'engagement, la sainteté ou même la conversion du coeur des fidèles seraient sujets à caution Cette position lui permet de reconnaître la validité du baptême catholique romain. Quand bien même le prêtre qui l'aurait administré serait la pire des canailles dans une Eglise apostate, si un aspect de la véritable Eglise fut manifesté dans l'administration correcte de ce baptême, il y a là un "vestige" qui demeure authentique.

Dans ce système donc, l'Eglise est première, et le croyant ne se définit que par rapport à elle. Autrement dit l'Eglise ne peut trouver ultimement ses limites spatiales dans le tissu social de ceux qui la composent. Le principe structurel Parole-Sacrement fait de l'Eglise un système ouvert. Et de fait, seules les frontières sociales naturelles (le village, la cité) ou politique (l'Etat) définissent un champ d'application concret de la vie en Eglise.

Cette ecclésiologie christocentrique calvinienne fonctionne donc parfaitement selon les rapports Eglise/Etat du Moyen-Age finissant. Elle entraîne un multitudinisme qui rend justice à la revendication universelle de l'Evangile, et par le biais de l'Etat chrétien, de la nation, du royaume ou de la cité chrétienne, l'Eglise se trouve appelée à être celle de tous.

 

Cette attitude, si elle explique sans doute le peu d'empressement que mettait Calvin à reconnaître la nécessité imminente d'une confession de foi - nécessité soutenue par les Réformés de France - ne rend cependant pas justice à l'ensemble de son ecclésiologie. Par le jeu d'une dialectique qui se continue, l'indispensable se complète par le nécessaire, à savoir : la discipline. Dans toute société humaine, dit-il, il faut une "police pour entretenir la paix"(2). La discipline ne doit certes pas être confondue avec la loi de Dieu : on doit "prendre garde en de telles observances qu'elles ne soient estimées à salut pour lier les consciences"(3), poursuit-il. La discipline, aussi nécessaire soit-elle, ne figure pas comme une marque de l'Eglise. Néanmoins, au nom de ce nécessaire, Calvin donne les signes qui permettent de discerner qui sont ceux qui se nourrissent effectivement de la présence du Christ dans son corps qui est l'Eglise. Ainsi, sont membres de l'Eglise "tous ceux qui professent la même foi, qui usent des mêmes sacrements que nous, et qui ont une vie exemplaire, même s'il reste quelques imperfections en eux" (4). C'est pour cette raison que sera maintenue la pratique de l'excommunication. Cette dernière doit être observée pour trois raisons : afin que l'honneur de Dieu ne soit pas atteint devant le monde, que le méchant ne corrompe les bons, et pour inciter à la pénitence. Ainsi seront tenus hors de l'Eglise ceux dont la foi est fausse ou la vie trop scandaleuse.

L'Eglise de Calvin est donc dans son principe une Eglise ouverte à la "multitude", et par nécessité une société qui fixe ses propres normes d'appartenance.

La mise en application de cette dialectique se révèle, on s'en doute, particulièrement délicate. L'Eglise Réformée de Genève devait être différenciée, par sa discipline particulière, de la cité même de Genève, et pourtant Genève était revendiquée par l'Eglise. Ainsi, Michel Servet, dont le désaccord doctrinal avec l'Eglise Réformée n'aurait pas dû entraîner de sanctions autres que l'excommunication, s'est quand même vu frappé par le droit de la cité. Cet exemple révèle l'interpénétration des deux sociétés. Il n'existait pour Servet aucun espace à Genève en dehors du champ de l'Eglise En effet, si la question de l'unité doctrinale ne peut être gagnée ultimement que dans la soumission à l'Ecriture et à l'Esprit Saint, néanmoins en cas de conflit sans issue, Calvin fait appel, non pas au pouvoir conciliaire, pourtant présent dans sa pensée, mais au Magistrat, au pouvoir civil.

En résumé, la conception ecclésiologique calvinienne n'est pas achevée sans la présence de l'Etat. Celui-ci détermine les frontières sociologiques de l'Eglise et sanctionne éventuellement les égarements dogmatiques.

 

Tant que la société gardera une unité religieuse et politique de fait, le système conservera sa cohérence. Mais le jour où la société se morcellera en courants d'opinion et en options différentes, la définition sociologique de l'Eglise se posera avec une acuité autrement grande. C'est peut-être faute d'une réflexion assez rigoureuse sur ce thème que le multitudinisme "cadré" de Calvin donna naissance, par voie de fait, au pluralisme que nous connaissons actuellement.

Toutes les Eglises issues de la Réforme, il est vrai, n'ont pas vécu cette même approche. Une fraction des mouvements d'inspiration réformée, l'anabaptisme, refusa la superposition Eglise-Etat. Avec ces Eglises commence un nouveau principe d'identification chrétienne parfaitement indépendant des systèmes politiques, puisque fondé sur l'expérience religieuse individuelle. On verra un peu plus loin que devant la crise religieuse provoquée par la laïcisation des Etats, un réflexe identique va se reproduire au sein des Eglises protestantes traditionnelles.

Les Eglises Réformées en France, quant à elles, se fondèrent sur une réalité politique et sociale tout autre que celle de Genève. C'est ainsi que malgré leur démarche de type calviniste, elles insistèrent, comme nous l'avons vu, pour réclamer une confession de foi doctrinale qui, prêchée par les pasteurs, formerait l'identité du peuple réformé au travers du royaume de France. Dans ce contexte particulier où l'Etat ne jouait pas le rôle du partenaire coopérant, les frontières de la cité perdaient de leur signification au profit d'une reconnaissance de nature nettement plus confessionnelle. La confession de 1559, dite de la Rochelle, détermina tout autant le "territoire" des réformés que les attributions locales de l'Edit de Nantes, et ceci jusqu'à la fin du XVIIIe siècle. 

Mais alors se pose un nouveau problème: comment concilier l'autorité d'une confession de foi avec une des revendications fondamentales de la Réforme qui consiste justement à ne reconnaître qu'à la Bible le pouvoir de normer la foi ?

C'est ici que nous allons aborder le principe qui finalement ébranlera, dès le XVIIIe siècle, l'autorité des confessions de foi : le libre examen des Ecritures.

B - LE PRINCIPE DU LIBRE EXAMEN

On a pu dire, et certainement beaucoup le pensent encore aujourd'hui, que "tout protestant est pape, une Bible à la main". Ce propos de Bossuet définissant le statut du protestant en opposition à celui du catholique, sur le principe de l'autorité ultime en matière de foi, illustre tout à fait la démarche dite du "libre examen" des Écritures.

Contrairement au multitudinisme étatique qui se réclame de l'ancien monde, le libre examen se situe dans le courant des idées humanistes de la renaissance et des Lumières. Il convient pourtant de souligner dès maintenant que ce que nous concevons aujourd'hui sous l'expression "libre examen" n'a rien à voir avec la doctrine des Réformateurs.

Au siècle de la Réforme, l'expression "libre examen" n'existait même pas, on parlait seulement de la "méthode" d'examen. Ce n'est qu'au début du XIXe siècle, avec Benjamin Constant, Guizot, Samuel Vincent, Alexandre Vinet, que la formule "libre examen" apparaît et devient peu à peu le mot d'ordre du protestantisme libéral. Samuel Vincent reconnaît d'ailleurs qu'on ne peut en attribuer aux Réformateurs l'origine, étant donné que pour lui le libre examen c'est la proclamation de la liberté de conscience. "S'il est dans l'histoire un fait incontestable, déclare Prevost-Paradol dans son introduction à Samuel Vincent, c'est que les auteurs de la Réforme n'ont pas eu un seul instant la pensée d'établir dans la société chrétienne ce que nous entendons aujourd'hui par la liberté de conscience et par le droit d'examen. Ils voulaient simplement substituer une orthodoxie à une autre ..."(5) Ce jugement tranché ne rend sans doute pas justice pleinement aux Réformateurs dont la pensée manifeste tout de même une certaine tension entre l'Eglise établie et l'Eglise en devenir. L'Eglise Réformée est toujours, selon la pensée de ses Pères, une Eglise qui doit se réformer selon la Parole de Dieu, c'est-à-dire une Eglise qui, bien que possédant un corpus doctrinal, doit nécessairement se trouver en position de réforme possible selon les impératifs que mettrait à jour l'examen de la Parole.

Chez Luther, par exemple, l'examen c'est avant tout la nécessité de confronter et de juger toute déclaration pontificale ou conciliaire, toute proclamation dogmatique, sous l'autorité absolue de la Parole de Dieu. "L'évêque, le pape, les lettrés, et tout homme, ont le pouvoir d'enseigner mais ceux du troupeau doivent juger s'ils entendent la voix du Christ ou celle d'un étranger" (6).

Pour lui, dans la mesure bien sûr où le croyant est habité par l'Esprit, l'interprétation de la Bible ne pose pas de problème, celle-ci étant parfaitement claire et compréhensible. "Luther est donc bien convaincu d'avoir libéré les consciences vis-à-vis de toute autorité humaine. Il ne croit pas pour autant les avoir abandonnées à leurs jugements personnels et aux fantaisies de leurs exégèses. L'examen ne les libère que pour les soumettre à la Parole, dans sa teneur authentique et objective".(7)

L'examen permet en effet à l'individu de s'opposer au système en place, en référence, non pas à sa propre subjectivité mais au message du Christ transmis dans l'Ecriture Sainte.

"La Réforme dresse autorité contre autorité"(8).

C'est en fait l'autorité de Jésus-Christ venue à nous à travers la Bible et non l'autorité de Jésus-Christ venue à nous à travers l'Eglise.

Et pour Calvin notamment, ce n'est pas à l'Eglise de décider si l'Ecriture est véridique; c'est à l'Ecriture à témoigner si l'Eglise est encore chrétienne. L'examen n'est en fin de compte, dans la pensée des Réformateurs, qu'une méthode, un moyen qui permet de passer de l'ancien système d'autorité de type catholique romain pour entrer dans le sola scriptura.

Toutefois l'utilisation abusive et individualiste de ce principe risquait, quand bien même la Bible serait clairement compréhensible, d'ébranler la paix de l'Eglise voire de mettre en cause son unité Ce risque, Calvin l'a clairement perçu, et c'est pourquoi il insista sur le rôle de la discipline sans laquelle les Eglises ne peuvent "longuement consister". Une organisation juridique intérieure va mettre en place une sorte de "mode d'emploi" de la méthode d'examen. En principe tout fidèle peut et doit l'utiliser pour reconnaître si la prédication ou l'enseignement qu'on lui apporte est conforme aux Ecritures. Néanmoins le ministère de pasteur est donné, entre autre, pour promouvoir les liens de la charité dans l'Eglise et unir celle-ci en dispensant une même et commune doctrine. Dans la prédication de la Parole, les pasteurs représentent le Christ et en cela, affirme Calvin, "le trésor de l'Evangile leur est commis, et ce sont les clefs du Royaume des cieux"(9).

Le pasteur lui-même, pourtant, pratique l'examen des Ecritures, mais bien que Calvin attribue aux Eglises locales la liberté de décider en matière de dogmatique, le pasteur est tenu de manifester l'universalité de l'Eglise en acceptant et prêchant la décision concilaire "combien que seulement deux ou trois la fissent"(10).

En dernier lieu, nous l'avons vu, un conflit doctrinal sans issue doit être tranché par l'autorité civile. Ainsi, le particularisme et l'indépendantisme que pourrait provoquer la méthode d'examen sont bridés par la nécessité de l'unité ecclésiale fondée elle-même dans l'unique Christ.

On le voit donc, tel quel, le principe d'examen ne se présentait pas comme une revendication individualiste contre la collectivité religieuse. Il permettait seulement à cette collectivité de reconnaître qu'en dehors d'elle et de son institution il existait une autorité normative à laquelle la collectivité tout entière voulait se soumettre.

 

Pourtant, assez vite cette démarche allait provoquer de nombreuses controverses et susciter des interprétations bien différentes de celle entrevue par les Réformateurs.

Dans un premier temps, il semble que ce soit la critique des catholiques qui amena au premier plan le principe d'examen dans les discussions théologiques.

Les Réformés devaient se justifier de leur insoumission aux autorités

de l'Eglise de Rome. Ils ne pouvaient le faire qu'en posant un autre système d'autorité. Mais alors la liberté même avec laquelle ils avaient pu se dégager d'un système pour en poser un autre pouvait sous-tendre l'existence d'un principe supérieur à tous les systèmes d'autorité.

La voie d'examen, principe second dans la pensée protestante à son origine, allait devenir le symbole même du protestantisme, et donc le sujet d'une controverse brûlante avec l'Eglise romaine (particulièrement au XVIIe siècle avec Pierre Nicole, Bossuet, Claude, Jurrieu, Bayle etc...).

Faire reposer entièrement le protestantisme sur la voie d'examen pour mieux l'abattre, voilà nous semble-t-il le travail des apologètes catholiques Aidés par l'humanisme naissant en qui bien des protestants ont cru voir un allié, il semble qu'ils y soient presque parvenus. "Faute d'une autorité qui les détermine dans leurs embarras, ils se laisseront aller à cette religion de plain pied qui aplanit toutes les hauteurs".(11)

Le XVIIIe siècle ne pourra que confirmer l'Eglise de Rome dans sa critique. Bayle, au tournant du siècle, opte pour un relativisme en matière de doctrine. L'important, pense-t-il, c'est que le croyant ait une pure conviction de conscience. La vérité putative a droit aux mêmes égards que la vérité réelle.

La méthode d'examen devient "l'interprétation selon l'esprit particulier"; en attendant le libéralisme du XIXe siècle où le thème du "libre examen" formera le fondement même du mouvement. Le dernier stade du libre examen, comme le dit justement Joseph Lecler, peut mener alors vers la libre pensée, c'est le cas chez Félix Pécaut ou Ferdinand Buisson. A ce niveau on peut estimer que la Réforme est morte noyée dans l'humanisme.

Ainsi, la méthode d'examen qui fut au départ le moyen pour introduire un nouveau principe d'autorité ecclésiale se trouve peu à peu hypertrophiée, alimentant ainsi un individualisme farouche que l'on a voulu par la suite fonder dans l'attitude même des Réformateurs. "L'histoire et les destinées de la Réforme, le spectacle même de ses épreuves et de ses victoires, ont parlé plus haut que les doctrines de ses fondateurs...elle a introduit dans le monde la liberté de conscience et le droit d'examen".(12)

 

Le libre examen ainsi entendu ne pouvait qu'entrer en conflit avec les formules dogmatiques, avec les doctrines, avec les confessions de foi. De fait, ces dernières vont être peu à peu rejetées (Genève dès 1709 et le canton de Vaud, un siècle plus tard en seront des exemples), ou délaissées (c'est le cas de la confession de la Rochelle à la fin du XVIIIe siècle et au XIXe siècle) en attendant d'être astucieusement contournée.

A côté de la pression catholique et de la séduction humaniste, un autre phénomène joua aussi un rôle décisif dans l'évolution de "l'examen", il s'agit des progrès de la critique biblique. 1678: c'est la date de parution de "L'histoire critique du vieux Testament" de Richard Simon. Cette fin du XVIIe siècle marque les débuts effectifs de la critique biblique. Avec elle le principe d'examen devient d'autant plus délicat à manier. Les vérités essentielles de la foi ne paraîtront claires qu'à celui qui pratique "l'examen d'attention" déclare Jurieu, déjà conscient du problème. Ni Luther, ni Calvin n'avait envisagé ce phénomène ; ils n'ont, en conséquence, pas pu intégrer cette problématique dans leur ecclésiologie.

La "critique" viendra donc tout naturellement renforcer la tendance anti-doctrinale et particulariste que développe progressivement l'évolution de la notion d'examen.

 

Eglise de multitude aux frontières non définies et religion de l'interprétation individuelle, voilà les deux principes de base du pluralisme contemporain. Ils sont déjà en germe dans les fondements de la Réforme, mais comme nous venons de le voir, ils sont aussi et surtout, sous leurs formes actuelles, le résultat d'une certaine gestion de ce patrimoine au cours de l'histoire.

Nous allons essayer d'observer, au cours des pages suivantes, comment ces principes furent, aux XIXe et XXe siècles, tour à tour justifiés ou combattus, fondements de l'unité ou de la rupture, intégrés ou évacués par les diverses théologies et options ecclésiales dans l'Eglise Réformée de France.

 


(1) J.COURVOISIER  "la dialectique dans l'ecclésiologie de Calvin"  in Revue d'histoire et de philosophie religieuse n° 4 de 1964.

(2) Calvin cité par J.COURVOISIER, op-cit. p-350

(3)          "                    "                      "       "              "

(4) A.GANOCZY  Calvin, théologien de l'Eglise et du ministère, Paris, Ed. du Cerf, 1964, p.188.

(5) PREVOST-PARADOL in Du protestantisme en France de Samuel VINCENT, Paris, Ed.Michel Lévy Frères, 1859, Coll. Bibliothèque contemporaine p.Vlll

(6) MARTIN LUTHER cité par JOSEPH LECLER  "protestantisme et libre examen, les étapes et le vocabulaire d'une controverse" in Recherches de Science religieuse N° 3/1969 p.325

(7) JOSEPH LECLER, op.cit. p.328

(8) A.N.BERTRAND, Protestantisme, Paris, Ed. Je sers, 1938, p.165

(9) CALVIN cité par AGANOCZY, op.cit. p.333

(10) CALVIN cité par A.GANOCZY, op.cit. p.335

(11) JOSEPH LECLER, op.cit p.349

(12) PREVOST PARADOL, op.cit. p.VIII