La portée de la rédemption :
universelle et particulière, présente et à venir

Pasteur Vincent BRU

 

    1. Deux écueils à éviter : l'universalisme et le particularisme
    2. L'universalité et la particularité du salut
    3. Questions annexes
    1. La nature du châtiment éternel
    2. Le nombre des élus
    3. La portée eschatologique du salut (présent/à venir)

Notice Bibliographique

 

But : Le but de cet exposé est de montrer l’articulation entre la portée universelle (Alliance de création, grâce commune) et la portée particulière du salut (alliance de rédemption, de grâce, grâce spéciale, élection, prédestination, foi).

Introduction

La question de la portée de la rédemption a toujours suscité chez les théologiens, comme parmi les simples fidèles, un intérêt non négligeable, sans que pour autant l’on puisse trouver un terrain d’entente entre les différentes réponses apportées à celle-ci.

Pour les uns, la portée de l’oeuvre accomplie par Jésus-Christ à la Croix ne saurait connaître la moindre limite, celle-ci devant inclure de façon indifférenciée, tous les hommes (y compris le Diable et les démons selon Origène) : on parlera alors d’"universalisme" (le salut embrasse tout l’univers, et toutes les créatures).

À l’extrême opposée, la portée du salut doit forcément être limitée, soit, pour les tenants de l’arminianisme (ou semi-pélagianisme1), du fait de la libre décision de l’homme - celui-ci n’étant pas contraint d’accepter pour son compte le salut offert par Dieu, il peut s’opposer à la grâce, et donc s’en trouver exclu -, soit par le "bon plaisir" de Dieu, selon les tenants de l’"hyper-calvinisme"2 : Dieu choisit, parmi le genre humain, un nombre limité d’hommes, les élus, seul ces derniers étant, à proprement parler, mis au bénéfice du salut, tandis que l’humanité et la création dans leur ensemble sont l’objet de sa réprobation.

Cela étant dit, il ne nous semble pas que ces deux approches rendent suffisamment compte de l’ensemble des données de la révélation biblique, qui pose tout à la fois le principe d’une réconciliation universelle - la victoire du Christ est totale et concerne tous les aspects de la Création - (cf. Col. 1:20 ; Eph. 1:10 ; etc.), et d’une rédemption, d’un salut particulier - Christ est mort, en un certain sens, seulement pour les élus, qu’il sauve efficacement, conformément à la volonté du Père (cf. Jn 3:16 ; 10:15, 27 ; Es. 53:10 ; etc.). Comme l’a dit un théologien récent : "En un sens Christ est mort pour tous les hommes, en un autre sens, il est mort seulement pour les élus"3.

La théologie réformée, qui est une théologie de l’Alliance, rend, selon nous, le mieux compte de ces deux aspects de l’oeuvre de la rédemption, en les maintenant tous deux dans un rapport de complémentarité et de réciprocité.

I. Deux écueils à éviter : l’universalisme (tous sont sauvés) et le particularisme (seul ceux qui répondent à l’appel de Dieu sont concernés par la grâce).

A. L’écueil de l’universalisme

L’universalisme, de loin le plus répandu de nos jours parmi les théologiens modernes4, pose un sérieux problème par rapport aux affirmations de l’Ecriture quant à la nécessité de la foi comme cause instrumentale du salut, et donc aussi par rapport à ce qu’il convient d’appeler "la moralité" du salut, dans le sens de "responsabilité" - la part de l’homme dans l’acquisition du salut. Comme l’affirme Michel Johner : "Le triomphe de la grâce [selon l’approche universaliste] perd en profondeur ce qu’il gagne en largeur : la "moralité" du salut est sacrifiée à son universalité."5

Dans la perspective biblique, la foi, sans être la cause méritoire du salut - la foi n’est pas une oeuvre ! -, n’en demeure pas moins la cause instrumentale de celui-ci, et en ce sens elle peut être dite la condition du salut : "Sans la foi, il est impossible d’être agréable à Dieu"6.

S’il en est ainsi, l’humanité se partage bel et bien en deux catégories : l’humanité croyante d’une part, objet de l’élection libre et inconditionnelle de Dieu, et l’humanité non-croyante d’autre part, objet de sa réprobation.

Contre l’approche universaliste, on peut faire valoir de même le fait que celle-ci encourage une conception fortement subjective, anthropocentrique et rationnelle - rationaliste ! - de l’amour de Dieu, qui, dans cette perspective, s’inscrit en porte-à-faux avec sa justice. Dans la perspective biblique, l’amour et la justice de Dieu constituent deux aspects d’une même réalité. La justice de Dieu s’exerce avec amour, et l’amour de Dieu s’exerce avec justice, et ce, jusque dans le châtiment éternel des réprouvés - justice rétributive de Dieu. Qui plus est, l’universalisme se heurte de plein fouet avec les affirmations de l’Ecriture concernant l’enfer qui, dans la mentalité des écrivains bibliques, n’est pas fictif mais réel, et constitue le lot eschatologique de tous ceux qui, dans leur situation probatoire présente, auront persévéré dans leur incrédulité. Quant aux textes à portée universaliste (Col. 1:20 ; Eph. 1:10 ; etc.), qui font état de la réconciliation de toutes choses en Christ, il suffit de dire, avec Henri BLOCHER, que réconciliation universelle ne signifie pas forcement salut universel, mais bien plutôt " le retour à l’harmonie voulu par Dieu. Ce retour implique pour les châtiés l’adhésion sans réserve à la décision du Seigneur. " Henri BLOCHER, " Le nombre des sauvés ", Ichtus, N° 32 (1980), p.8. Voir de même la note de la Bible de Jérusalem sur Col. 1 :20 : la réconciliation universelle " ne signifie pas le salut individuel de tous, mais bien le salut collectif du monde par son retour à l’ordre et à la paix dans la soumission parfaite à Dieu. Les individus qui ne seront pas entrés par la grâce dans cet ordre y entreront par la force. " - Ibid., p. 8, note 16.

B. L’écueil du particularisme

Le particularisme, qu’il soit de tendance arminienne ou "hyper-calviniste", ne nous paraît pas rendre suffisamment compte des textes de l’Ecriture qui font état d’une portée universelle du salut7, et non pas seulement individuelle, comme si seul un petit nombre d’hommes devait, en définitive, être sauvés : image d’un bateau qui est sur le point de couler et dont seule une partie de l’équipage serait sauvée, tandis que le navire, et le reste de l’équipage, sombreraient dans les flots, sans que l’on puisse faire quoi que ce soit pour eux.8

L’arminianisme pose, en particulier, un sérieux problème par rapport à l’efficacité et à la gratuité du salut, dans la mesure ou, selon cette perspective, la foi constitue la cause méritoire du salut. Or, comme le fait fort justement remarquer Henri BLOCHER : "La foi ... n’est qu’un instrument (sauvé dia la foi) : elle n’ajoute pas la réalité à la possibilité - Jésus-Christ est l’auteur du salut, pas de la possibilité du salut - ; elle applique la réalité du Christ à l’homme "en lui"."9 Et encore : "Dans la perspective biblique, l’image du chèque inefficace tant que le bénéficiaire n’a pas signé ne correspond pas : car le sang précieux de la rançon a déjà été versé."10

L’arminianisme enlève en fait à la valeur du sacrifice du Christ ce qu’il pense lui donner en étendue, puisque tous les hommes ne seront pas sauvés à la fin.

Le particularisme de l’approche " hyper-calviniste ", qui limite la portée de la rédemption au caractère défini (limité !) de l’expiation - Christ est mort seulement pour les élus -, ne rend de même pas justice aux textes bibliques à portée universaliste, qui vont manifestement au-delà de la simple distinction catégorique – " tous " dans le sens qualitatif. Comme le remarque Henri BLOCHER : " Ceux qui repoussent l’expiation définie le font souvent par malentendu, et parce qu’ils n’en connaissent qu’une caricature … Il est possible de faire droit aux textes d’universalité, au thème de la paix, en considérant l’humanité sous son aspect d’unité organique –même si la plupart des calvinistes ont malheureusement négligé de le faire, et ont inutilement appauvri leur doctrine. " - " Le champ de la rédemption et la théologie moderne ", p. 44.

Au total donc on peut dire que l’approche universaliste tout comme l’approche particulariste stricte, conduisent toutes deux à une impasse : dans le premier cas la portée particulière du salut est subordonnée à tel point à son universalité qu’elle en est pratiquement réduite à néant ; dans le second cas, l’aspect défini et particulier du salut, conditionné soit par la volonté de Dieu, soit par la réponse libre de l’homme, est à tel point mis en relief qu’il occulte considérablement son caractère universel ainsi que, dans le cas de l’arminianisme, son absolue gratuité.

 

II. L’universalité et la particularité de la rédemption

Seule une approche qui tient compte à la fois de la portée universelle et particulière du salut rend justice à l’ensemble des données de la révélation concernant la portée de la rédemption : les textes universalistes d’une part ("tous", "monde", etc.), les textes à portée particulariste d’autre part ("son Eglise", "beaucoup", "pour nous", nombreux", etc.).

A. La portée particulière de la rédemption

La théologie réformée distingue dans l’Alliance entre Dieu et les hommes, l’alliance dite de création - ou alliance adamique, conclue avec Adam et, à travers lui, avec l’humanité tout entière -, et l’alliance de rédemption - conclue entre le Père et le Fils -, selon laquelle Dieu sauve efficacement tous ceux qu’il a décrétés de donner à son Fils en héritage, c’est-à-dire tous ceux pour lesquels Christ est mort et dont il a été établi Garant dans l’Alliance (cf. Es. 53, etc.).

Si l’alliance de création a été conclue avec tout le genre humain - et à ce titre, elle est universelle, et est dispensatrice d’une grâce commune entre tous les hommes, comme lorsqu’il est dit que "Dieu fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants"11 -, l’alliance de grâce - expression historique de l’alliance de rédemption - n’a quant à elle été conclu qu’avec les élus, et ce, en vertu de la pure grâce de Dieu et de son bon plaisir, et sans aucune considération de leurs oeuvres. C’est le mystère de l’élection et de la prédestination, qu’il nous faut recevoir par la foi12.

Ainsi, la théologie réformée souligne, en contraste avec l’approche universaliste et l’approche " semi-pélagienne ", la portée particulière de la rédemption en mettant en valeur le fait qu’il y a un amour spécifique de Dieu pour les élus, distinct de l’amour qu’Il porte pour la Création en général. Cet amour spécifique de Dieu est révélé dans l’alliance de rédemption que Dieu le Père a conclue de toute éternité avec son Fils, et par laquelle Dieu sauve efficacement tous ceux qu’Il a décrété de donner à son Fils en héritage - c’est là le sens de l’expiation définie : Christ est mort, en un certain sens, pour les élus seulement. Ainsi, l’amour paternel de Dieu pour ses enfants est spécifique et sotériologique : c’est un amour électif qui s’exprime par le pardon accordé aux seuls élus, et par rapport à la culpabilité du péché. Dieu aime ceux qu’Il a uni à son Fils - le " en Christ " - de façon filiale.

 

B. La portée universelle de la rédemption

Si la portée de la mort substitutive du Christ par rapport aux salut des pécheurs est bien particulière et définie, dans le sens où l’œuvre de la Croix, selon l’intention secrète de Dieu , ne bénéficie en définitive qu’aux seuls élus, il n’en demeure pas moins vrai que celle-ci a aussi, d’une certaine manière, une portée sur l’ensemble de la Création : "Dans un sens Christ est mort pour tous, et dans un autre sens, il est mort pour les seuls élus."13 Pour la théologie réformée, il n’est pas de parcelle de la création et de la civilisation qui ne soit directement mise au bénéfice de la rédemption14.

L’universalité du salut considéré dans le cadre de l’unité organique et substantielle entre l’alliance de grâce et l’alliance adamique

L’universalité du salut s’explique du fait de la relation qui existe entre l’alliance adamique - alliance de création - et l’alliance de grâce. La portée universelle de l’alliance de rédemption tient à l’unité organique et substantielle de celle-ci avec l’alliance originelle : "C’est par l’unité organique de la création et de la rédemption, de l’alliance adamique et de l’alliance de grâce que s’explique l’universalité du salut, et en quel sens toute l’humanité et la création sont sauvées en Jésus-Christ."15

Ce qui est visé à la Croix, c’est la restauration et l’accomplissement de l’alliance originelle, le rétablissement du monde et de l’humanité sous son aspect organique, et non pas seulement le salut individuel de tel ou tel : en Christ, et à travers les élus, c’est l’humanité tout entière que Dieu sauve, en restaurant et en parachevant l’alliance adamique. Pour reprendre l’image affectionnée par Abraham Kuyper : "Si nous comparons l’humanité, comme elle est procédée d’Adam, à un arbre, les élus ne sont pas des feuilles arrachées de l’arbre pour composer une guirlande à la gloire de Dieu tandis que l’arbre serait abattu, déraciné, jeté au feu ; mais justement le contraire, les perdus sont les branches, rameaux et feuilles détachés du tronc de l’humanité, tandis que les élus seuls y subsistent."16

Ainsi donc, en Jésus-Christ, c’est l’ensemble du dessein de Dieu pour la création qui se réalise, sinon quantitativement, puisque seuls les croyants sont sauvés, du moins exhaustivement, puisque l’œuvre du Christ en épuise toutes les virtualités.

Le sacrifice du Christ, l’amour de Dieu et les bienfaits généraux de la Croix

La portée universelle de la rédemption se manifeste à travers les bienfaits généraux de la Croix - grâce commune - : Dieu retient son jugement sur les pécheurs impénitents, et préserve l’humanité en restreignant les effets intensifs du péché et en permettant le développement de la culture et de la civilisation - mandat culturel, domaines de l’utile et de l’agréable, etc.

C’est ainsi qu’en 1 Tim. 4:10, Dieu est appelé le "sauveur (sôter) de tous les hommes, spécialement des fidèles", dans le sens d’une "préservation" non sotériologique. Comme le dit Henri Blocher : "Dieu est le sauveur de tous les hommes parce qu’il leur accorde à tous cette vie et ses biens (cf. Actes 14:17), et sauveur des croyants à titre principal (malista) par le don de la vie éternelle."17

Il y a donc, enracinées à la Croix, différentes manifestations de l’amour de Dieu envers tous les hommes, en vertu de quoi Dieu aime particulièrement les élus, à cause de son alliance, et de son élection.18

 

III. Questions annexes :

 a) La question du châtiment éternel

Dans la perspective biblique, la finalité de l’oeuvre du Christ ne se réduit pas à faire triompher universellement la grâce pour sauver tous les hommes (universalisme), mais aussi à juger et à condamner les incrédules. Le Royaume eschatologique du Christ comprend deux positions possibles : celle de ses ennemis qui servent de "marchepied" à son trône (Héb. 10:13 ; Col. 2:15), et celle de l’Eglise, son corps, qui siège sur le trône avec le Christ, et participe à son gouvernement (Ap. 2:26-27).

Cependant, et comme le fait remarquer Henri BLOCHER : "Jamais la Bible ne suggère l’idée d’une défaite divine, même partielle, que le péché continue, que le mal se perpétue dans la géhenne. Au contraire, le mal, jugé, n’existera plus ... Les impies condamneront eux-mêmes, avec Dieu, leur impiété et ne désireront rien d’autre que le châtiment - seul moyen de les mettre d’accord avec la justice de Dieu, selon le voeu qui remplira leur conscience."19 Et encore : "Ne devons-nous pas dire que le condamné, remis d’accord avec l’ordre de Dieu, atteindra d’une certaine manière sa destination essentielle ? C’est là un bien [même si, comparativement à la béatitude que connaîtrons les élus, c’est aussi un "mal", disons un bien moindre ! (Ndlr] : pour Dieu et pour l’homme, beaucoup mieux que le néant [contre la théorie annihilationiste ! (Ndlr)]."20

Dans cette perspective, il ne nous semble pas illégitime de penser que la peine du châtiment éternel pourrait consister, en contraste avec la notion médiévale de châtiment corporel, dans le remords éprouvé par les réprouvés : "L’acuité suprême du remords, jugement lucide, horrifié de ce qu’on a été, n’est-ce pas ce que pourraient viser les images bibliques du feu cuisant et du ver rongeur ?"21 Et encore : "Les pleurs et les grincements de dents ne sont ni de révolte ni de rancune ; ils sont de remords."22

b) Le nombre des élus

Si, dans la perspective biblique, c’est l’humanité en tant qu’unité organique qui est au bénéfice de la rédemption, est-il raisonnable de croire que seul un petit nombre d’hommes sera, en définitive, l’objet de l’élection de Dieu ? La doctrine de l’expiation définie va-t-elle nécessairement de paire avec une position pessimiste quant au nombre des sauvés ? Nous ne le pensons pas. Comme le dit Henri Blocher : " Si le témoignage de l’Ecriture contraint d’écarter l’universalisme, il n’oblige pas à retenir le "minimalisme" de certain !"23

À l’appui de la " théorie du grand nombre " les théologiens réformés ont fait valoir le fait qu’on est en droit de penser que la plupart, sinon tous les enfants morts en bas âge seront sauvés, ceux-ci n’ayant pas pu exercer leur responsabilité. La question reste ouverte de même quant au salut des païens qui n’auront, durant leur vie, jamais eu accès à la prédication de l’Evangile : " Les docteurs évangéliques émettent des avis divers, et nuancés, sur une question comme celle des hommes dépourvus de tout accès à l’Evangile explicitement, prêché ou écrit. Nous pensons qu’il y a, dans la révélation générale de Dieu, sa création et sa providence (cf. Matth. 5 : 45), assez de lumière pour que des hommes, sous l’onction de l’Esprit Saint comme en toute conversion, mettent leur foi en Jésus-Christ pour leur salut, sans en savoir plus que les humbles croyants de l’Ancien Testament. "24

Quoi qu’il en soit du nombre des élus, recevons, avec humilité, les secrets qui nous sont cachés, et contentons-nous de dire : " Ils est permis d’espérer ; il est plus sage de ne pas spéculer ni tenter de scruter les secrets de l’élection divine. Efforçons-nous d’entrer … efforçons-nous de gagner le plus grand nombre … d’en sauver de toute manière quelques-uns (1 Cor. 9 : 22) ! "25

c) La portée eschatologique du salut (présent/à venir)

La question de l’universalité et de la particularité du salut, dont la pleine réalisation est à venir - c’est le " déjà-pas encore " du Royaume de Dieu -, pose aussi celle de sa portée eschatologique : si l’œuvre de la croix vise la restauration de la création et de l’humanité considérée sous son aspect organique, qu’adviendra-t-il de celle-ci lors de la parousie ? En d’autres termes, quel sera le devenir de la création, et que restera-t-il des choses présentes de ce monde, de la culture et de la civilisation, dans la nouvelle création de Dieu ?

Avec la sobriété qu’il importe d’avoir en pareil domaine, et selon l’éclairage que donne l’Ecriture à ce sujet, nous nous associons ici au jugement du théologien américain Richard Mouw, selon lequel dans la nouvelle création " Dieu agira à notre égard à partir de sa création originelle : nous-mêmes nous serons changés. Le Seigneur nous recréera. Quelque chose de notre identité actuelle demeurera à jamais. " Et encore : " Ce qui est vrai du destin des individus semble s’appliquer à toute la création, y compris à ses dimensions culturelles. L’œuvre de Dieu s’appuiera sur ce qu’il a créé et sur toute la " plénitude " que les hommes auront ajoutée à ce qu’il a fait au commencement. Les fruits de l’histoire, même pécheresse, pénétrerons dans la Cité Sainte pour y devenir des outils appropriés au service de Dieu et de son peuple. " 26

Ainsi donc, loin d’être à la traîne de la civilisation et de la culture, l’Eglise est-elle appelée par Dieu à être à la pointe de la découverte et de la gestion de toutes les potentialités de la création, attendant et travaillant ainsi à l’avènement du monde nouveau, de la Jérusalem céleste, " la ville sainte, la nouvelle Jérusalem, prête comme une épouse qui s’est parée pour son époux. " (Ap. 21 : 2), en ce jour glorieux où tout genou fléchira " dans les cieux, sur la terre et sous la terre ", et où toute langue confessera que " Jésus-Christ est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père. " (Phil. 2 : 10-11).

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1 Jacob Arminius (1560-1609), pasteur et théologien néerlandais, enseigna que Dieu a "élu" ceux-là qu’il savait à l’avance devoir croire d’eux-mêmes par un libre choix humain. L’Arminianisme a été rejeté lors d’un Synode Réformé international réuni à Dordrecht en 1618-1619, auquel les délégués français ne purent assister, mais qui fut néanmoins ratifié lors d’un Synode tenu à Alès le 6 octobre 1620. Voir : Les Canons de Dordrecht, Ed. Kerygma, 1988. Pélage, moine irlandais combattu par S. Augustin, et dont les doctrines furent condamnées au Concile d’Ephèse en 431, rejetait la doctrine du péché originel et celle de la prédestination. Le semi-pélagianisme, ancêtre éloigné de l’arminianisme, représente un compromis entre la position de S. Augustin, reprise par les Réformateurs, et celle de Pélage.

2 Est-il nécessaire de le dire : les théologiens de cette tendance ne portent qu’improprement le titre de " calvinistes ", la particularité de ces derniers étant d’opérer une symétrie stricte entre la prédestination au salut et la réprobation, ce que Calvin n’a jamais fait. CF. Henri BLOCHER, " Calvin infralapsaire ", La Revue Réformée, N° 123 (1980/3), pp. 270ss.

3 Charles HODGES, Systematic Theology, Eerdmans, 1982, vol. II, p. 546 ; voir de même Henri BLOCHER, "Le champ de la rédemption et la théologie moderne", Hokma, N° 43 (1990), p. 45.

4 L’anglican J.A.T. Robinson, Jacques Ellul, et dans une moindre mesure Karl Barth, pour ne mentionner que des théologiens protestants.

5 Michel JOHNER, "L’universalité et la particularité du salut chrétien", La Revue Réformée, N° 56 (1988/4), p. 32 - c’est nous qui soulignons.

6 Héb. 11:6.

7 Pour les théologiens de tendance particulariste, l’universalité du salut se réduit seulement au fait que celui-ci est offert à tous, indistinctement, et sans discrimination, ainsi qu’à l’intention réelle de Dieu de sauver tous les hommes, quand bien même son intention serait court-circuitée par la décision humaine de s’exclure de la grâce (arminianisme), ou bien, pour les tenants de l’"hyper-calvinisme", au fait que le salut englobe des hommes de toutes nations et de toutes conditions (juifs et païens).

8 Cette vision est très marquée dans des livres tel que Satan, prince de la planète terre, de H. Lindsey (?). Pierre COURTHIAL, faisant allusion à ce livre, aurait dit un jour à ses étudiants : "Satan, Prince de la planète terre ? Mais c’est le Christ !" (propos recueillis par Michel JOHNER).

9 Henri BLOCHER, La doctrine du péché et de la rédemption, 1983, Tome II, p. 201.

10 Henri BLOCHER, " Le champ de la rédemption et la théologie moderne ", p. 43.

11 Matth. 5:45.

12 "De cette corruption et de cette condamnation générales où tous les hommes sont plongés, nous croyons que Dieu retire ceux que, dans sa volonté éternelle et immuable, Il a élus par sa seule bonté et miséricorde en notre Seigneur Jésus-Christ (Ex. 33:19 ; Rom. 8:29 ; 9:15), et cela sans considération de leurs oeuvres (1 Sam. 12:22 ; Jn 15:16 ; Rom. 2:11, 23 ; 11:5-6 ; Eph. 1:4-6 ; 2:8-10 ; etc.). Nous croyons qu’Il laisse les autres dans cette même corruption et condamnation, pour démontrer en eux sa justice (Ps. 5:5-7 ; Ez. 9:10 ; 18:4 ; Rom. 1:18 ; Gal. 6:7-8), tout comme il fait briller, dans les premiers, les richesses de sa miséricorde (Ex. 9:16 ; Rom. 9:18, 22-23). Car ceux-ci ne sont pas meilleurs que les autres, jusqu’à ce que Dieu les distingue selon le dessein immuable qu’Il a arrêté en Jésus-Christ avant la création du monde ..." Confession de Foi de la Rochelle, art. 12 ("Notre élection en Jésus-Christ"), p. 32.

13 Charles HODGE, op. cit., p. 546 ; voir de même Henri BLOCHER, op. cit., p. 45. Comme le dit Paul WELLS : " Les calvinistes ne nient pas que le Christ soit mort pour tous les hommes. En effet, une alliance de grâce est établie en Christ avec toute l’humanité … Seulement, l’efficacité de la Croix n’est pas la même pour les non-croyants et pour les croyants ; elle ne suscite pas les mêmes fruits chez tous. La portée universelle de l’œuvre de la Croix n’implique pas que Dieu ait la volonté de sauver tous les hommes. Christ n’est pas mort pour tous de la même façon : la différence tient à la foi qui est un don de Dieu. " - " L’élection et l’universalisme ", in Polycopié, pp. 170s.

14 C’est là le sens de l’expression fameuse du théologien néerlandais Abraham KUYPER, qui disait : "Il n’est pas de domaine de la vie des hommes dont le Christ ne puisse dire : ‘c’est à moi’."

15 Michel Johner, "L’universalité et la particularité du salut chrétien", La Revue Réformée, N° 56 (1988/4), p. 36.

16 Henri BLOCHER, op. cit., p. 44 ; voir de même B. WARFIELD, " Are They Few That Be Saved ? ", Biblical and Theological Studies, P&R, 1968, p. 336. Voir de même Michel Johner, op. cit., p. 34 : "L’oeuvre de Dieu en Christ ... ne consiste pas à bâtir un nouvel édifice à côté des ruines de l’ancien, mais à restaurer et à parfaire l’édifice en ruine." Et encore : "Dans l’Eglise, c’est le monde lui-même qui est sauvé (...), et non quelques hommes issus du monde (...) ; ce n’est pas un agrégat accidentel ou arbitraire qui est l’objet de l’élection divine, ou qui est sauvé par le Christ dans la rédemption, mais c’est un tout organique" – Herman BAVINCK, cité par Michel JONHER, op. cit., p. 34s.

17 Henri BLOCHER, "Le nombre des sauvés", Ichtus, N° 92 (1980), p. 22.

18 L’amour de Dieu fait des distinctions entre les hommes. C’est ainsi que la bienveillance de Dieu se manifeste envers tous les hommes, celle-ci étant enracinée dans son équité (cf. Matth. 5 : 45 ; Act. 17 : 28 ; etc.) ; sa compassion pour l’humanité souffrante, en vertu de sa pitié et de sa miséricorde (Rom. 2 : 4 ; 2 Pie. 3 : 9 ; etc.) ; sa grâce envers les élus, qui est enracinée dans son pardon (Eph. 1 : 3ss ; etc.).

19 H. BLOCHER, "Le champ de la rédemption et la théologie moderne", p. 47.

20 H. BLOCHER, "La doctrine du châtiment éternel", Ichtus, N° 32, p. 9.

21 Ibid., p. 8.

22 Ibid. ; Voir de même Michel JOHNER, op. cit., p. 39.

23 H. BLOCHER, " Le nombre des sauvés ", p.23. La plupart des théologiens réformés vont dans le même sens : "Le nombre des sauvés sera à la fin non pas petit mais grand, et pas seulement de façon absolue, mais comparativement grand ... Il embrassera la plus grande partie de la race humaine." (B. WARFIELD, ., "God’s Immeasurable Love", Biblical and Theological Studies, P&R, 1968, p. 349) ; "L’enfer tient peu de place dans l’univers de Dieu. Le ciel est immense, pas l’enfer." (W.G.T. SHEDD, cité par Jean CRUVELIER, "La notion du châtiment éternel dans le N.T.", Etudes Evangéliques (1954-55), p. 103.

24 Henri BLOCHER, " Le champ de la rédemption et la théologie moderne ", p. 41.

25 Henri BLOCHER, " Le nombre des sauvés ", p. 23.

26 Richard MOUW, La culture et le monde à venir, Paris, Sator, 1988, pp. 34s. A cet égard, il convient de dire que l’histoire du monde et de l’humanité, de la civilisation et de la culture réalise le projet initial de Dieu de développer toutes les potentialités de la création.

 

Notice bibliographique :

BLOCHER, Henri, La doctrine du péché et de la rédemption, 1983, Tome II, pp. 189ss.

BLOCHER, Henri, "Le nombre des sauvés", Ichtus, N° 92 (1980), pp. 18ss.

BLOCHER, Henri, "La doctrine du châtiment éternel", Ichtus, N° 32, pp. 3ss.

BLOCHER, Henri, "Le champ de la rédemption et la théologie moderne", Hokma, N° 43 (1990), pp. 25ss.

HODGE, Charles, Systematic Theology, Eerdmans, 1982, vol. II (pp. 545ss), vol. III (pp. 868ss).

JOHNER, Michel, "L’universalité et la particularité du salut chrétien", La Revue Réformée, N° 56 (1988/4), pp. 17ss.

LECERF, Auguste, Etudes Calvinistes, Neuchâtel, 1949, pp. 11-31 en particulier.

WARFIELD, Benjamin B., " Are They Few That Be Saved ? ", Biblical and Theological Studies, P&R, 1968, pp. 334-350.

WARFIELD, Benjamin B., "God’s Immeasurable Love", Biblical and Theological Studies, P&R, 1968, pp. 505-522.

WELLS, Paul, "La portée de la réconciliation", in Appendice II de Entre ciel et terre, La Revue Réformée, N° 166 (1990/4-5), pp. 169ss.

WELLS, Paul, "L’élection et l’universalisme", in Polycopié, pp. 64ss.