La portée universelle et particulière de la rédemption

Pasteur Vincent BRU

Conférence donnée à l’occasion de la 14ème Pastorale de Dijon,

Le vendredi 9 avril

 

I. Deux fausses routes à ne pas suivre : l'universalisme et le particularisme

1. L'écueil de l'universalisme

2. L'écueil du particularisme

a. L'approche "semi-pélagienne"

b. L'approche "pseudo-augustinienne"

II. La voie royale : l'universalité et la particularité de la rédemption

1. La portée particulière de la rédemption

2. La portée universelle de la rédemption

a. Le sacrifice du Christ, l'amour de Dieu et les bienfaits généraux de la Croix

b. La pleine suffisance du sacrifice du Christ et la volonté souveraine de Dieu

c. L'universalité du salut considérée dans le cadre de l'unité organique et substantielle entre l'alliance de grâce et l'alliance adamique

3. Questions annexes :

L'universalité du triomphe du Christ et la question du châtiment éternel

La portée universelle de la rédemption et le nombre des élus

Conclusion

Notes

Notice bibliographique

 

Lecture d’Ephésiens 1.3-14.

Le thème de mon exposé est donc : "  la portée universelle et particulière de la rédemption ".

Cet exposé comprendra deux parties : la première, je l’ai intitulée : " Deux fausses routes à ne pas suivre : l’universalisme et le particularisme " ;

La deuxième partie fera l’objet d’un second exposé, et s’intitule : " La voie royale : l’universalité et la particularité du salut ".

Alors j’espère que vous n’aurez aucune difficulté à me suivre jusqu’au bout, et que je ne perdrai personne en chemin, et aussi que le sujet vous intéressera au moins tout autant qu’il m’a intéressé, pour ne pas dire passionné.

Il est un fait que la question de la portée de la rédemption, l’étendue du salut a toujours suscité au sein de l’Eglise un réel intérêt, sans que, pour autant, l’on puisse trouver un terrain d’entente entre les différentes réponses apportées à celle-ci.

Pour les uns, la portée de l’oeuvre accomplie par Jésus-Christ à la croix ne saurait connaître la moindre limite, celle-ci devant inclure de façon indifférenciée, tous les hommes (y compris le Diable et les démons selon Origène) : on parlera alors d’"universalisme" – le salut embrasse tout l’univers, et toutes les créatures.

À l’opposée, la portée du salut doit forcément être limitée, soit, pour les tenants de l’arminianisme, du fait de la libre décision de l’homme - celui-ci n’étant pas contraint d’accepter pour son compte le salut offert par Dieu, il peut s’opposer à la grâce, et donc s’en trouver exclu -, soit par le "bon plaisir" de Dieu.

Nous pensons que ces deux approches ne rendent pas suffisamment compte de l’ensemble des données de la révélation biblique, qui pose tout à la fois le principe d’une réconciliation universelle - la victoire du Christ est totale et concerne tous les aspects de la Création - (cf. Col. 1:20 ; Eph. 1:10 ; etc.), et d’une rédemption, d’un salut particulier - Christ est mort, en un certain sens, seulement pour les élus, qu’il sauve efficacement, conformément à la volonté du Père (cf. Jn 3:16 ; 10:15, 27 ; Es. 53:10 ; etc.).

 

Venons-en maintenant à la première partie de notre exposé : Deux fausses routes a ne pas suivre l'universalisme et le particularisme.

Notre intention est ici de montrer en quoi l'approche universaliste ainsi qu'une certaine approche particulariste du salut représentent deux écueils, deux fausses routes à ne pas suivre.

 

(1) l'écueil de l'universalisme

Alors, question : qu’entendons nous exactement par " universalisme " ?

Nous désignons sous ce terme l'orientation théologique qui tend à nier le caractère particulier et défini de la rédemption – le salut des seuls élus, l’expiation défie, le paradis et l’enfer – en portant démesurément l'accent sur son universalité : le thème de l'épée est subordonné à celui de la paix, de la réconciliation universelle de toutes choses, du salut objectif de tout homme en Jésus-Christ – voire même de Satan et des démons selon Origène : c’est là ce que l’on désigne sous le terme d’apokatastase).

On peut distinguer deux types d’universalisme, dont il convient, par ailleurs, de ne pas exagérer la différence.

L' " universalisme explicite " d’une part, de ceux qui affirment haut et clair, sans réticence aucune ni retenue, du haut de la chaire le salut objectif de tous les hommes en Jésus-Christ.

On peut mentionner ici le Père de l’Eglise Origène, le théologien allemand Schleiermacher – le Père de la théologie libérale –, l’anglican J.A.T. Robinson, mais aussi en France le professeur Jacques Ellul, décédé récemment, ainsi que, il faut bien le dire, la plupart des théologiens modernes.

Le deuxième type d’universalisme, beaucoup plus subtil, c’est l' " universalisme implicite " de ceux qui, à la suite du théologien de Bâle, Karl Barth, se retiennent, ne serait ce que pour préserver la liberté de Dieu, d'affirmer ouvertement le salut universel de tous, l'apokatastase.

Henry Blocher parle à ce propos d'un universalisme " retenu, ambigu, sinon embarrassé "1, mais dont l'orientation théologique générale implique néanmoins le salut universel de tout homme en Jésus-Christ.

Parmi les tenants de l’" universalisme implicite ", mentionnons Karl Barth, Emile Brunner, le théologien hollandais G. C. Berkouwer, T.F. Torrance, Moltmann, ou encore le théologien catholique romain Karl Rahner, etc.

Selon les universalistes - explicites ou implicites -, le Christ est mort indistinctement pour tous les hommes : l’expiation " pour tous " prend la place de l’expiation " définie " de la théologie réformée classique.

Christ est mort, en un certain sens, que pour les élus, dira un théologien réformé classique.

Pas du tout, rétorque l’universaliste, tant explicite qu’implicite, pas du tout ! La portée de la Croix ne saurait se réduire aux seuls élus, autrement cela signifierait que Dieu opère des distinctions entre les hommes, que Christ serait mort pour celui-ci mais non pas pour celui-là. Et pourquoi ne serait-il pas mort aussi pour celui-là ? Qu’est-ce qui fait la différence ? Il faut bien, donc, que le Christ soit mort bel et bien pour tous les hommes, indistinctement, car Dieu, nous dit-on, aime tous les hommes de la même façon.

Nous touchons là, à mon sens, au cœur même du système universaliste.

Pour les tenants de l’universalisme, en effet, il apparaît nettement que l'amour représente l'attribut principal de Dieu, et ce, au dépend même de sa justice : Dieu est amour ! comment donc pourrait-il, s’il est vraiment ce Dieu là, ne pas sauver tous les hommes, et ce, quelques soient leurs conditions, qu’ils aient la foi, ou bien qu’ils ne l’aient pas – cela est particulièrement frappant chez le théologien anglican fort libéral J.A.T. Robinson, ou encore chez Jacques Ellul.

La grâce de Dieu étant inconditionnelle, le salut ne peut être qu'universel, la foi n'ayant pour objet non pas tant le salut en tant que tel, mais bien plutôt la connaissance de celui-ci.

Autrement dit, pour les universalistes la foi n’est en rien, comme dans la théologie réformée classique - la cause instrumentale du salut, elle n’est pas le moyen nécessaire, choisi par Dieu, pour l’appropriation du salut, mais elle est simplement un plus dans la connaissance du salut que Dieu accorde indistinctement à tous les hommes, qu’ils aient la foi ou non.

Vous voyez que pour l’universaliste, le salut est à tel point l’œuvre de Dieu, le salut est à tel point conditionné par le seul bon vouloir de Dieu, indépendamment de la réponse de l’homme auquel il s’adresse, que c’est comme si l’homme, tout homme, n’était pas même responsable de son salut, puisque de toutes façons il est sauvé, qu’il le sache ou qu’il l’ignore, qu’il le veuille ou non. Il est sauvé. Point fini !

Ainsi donc, dans cette perspective de l’universalisme, l'accent est placé strictement sur le côté divin, le côté objectif de l'Alliance.

Si vous voulez c’est le " en Christ " des Epîtres pauliniennes : l’homme même irrégénéré est objectivement " en Christ ", il est en Christ, il est, qu’il le veuille ou non, qu’il le sache ou non, effectivement comme greffé à Jésus-Christ, la foi, la repentance, la conversion, c’est à dire le côté humain, le côté subjectif de l'Alliance – ce qui relève de l’homme et de sa responsabilité -, étant de ce fait nettement, pour ne pas dire totalement occulté.

C’est ainsi que pour K. Barth, "tout homme est, en Christ, déjà justifié et sanctifié, qu'il le sache au l'ignore."2

Aussi, il n'est pas étonnant de constater que pour les universalistes, l'enfer, dans l'enseignement de Jésus, ait une fonction essentiellement interpellatrice et existentielle, et ne renvoie pas par conséquent à une réalité ontologique.

Pour les tenants de l’universalisme, l’enfer, s’il existe, en tant que réalité céleste, est forcement vide – c’est la théorie de l'enfer vide.

Si Jésus-Christ a pleinement triomphé du mal sur la Croix, nous dit-on, il semble invraisemblable d'envisager l'existence d'un lieu de châtiment éternel et définitif.

C'est ainsi que l'on peut lire, dans un catéchisme récent : " L'idée d'une condamnation éternelle, si nous réalisons ce qu'elle signifie, et profondément choquantes ... Comment une telle idée est-elle compatible avec l'image que l'Evangile nous donne du Christ ? Lui qui a été complètement amour, complètement pardon, complètement accueillant devant les rejetés de son temps, comment permettrait-il que certains soient éternellement exclus de son Royaume ? "3.

Pour appuyer leur thèse, les universalistes font largement appel à des textes à portée universaliste tels que Col. 1.20 ou Eph. 1.10, dans lesquels il est question de la réconciliation de toutes choses en Christ.

Cependant, on peut faire valoir le fait que réconciliation universelle ne signifie pas forcément salut universel.

Comme le remarque Paul Wells : " on peut fléchir les genoux devant le Christ comme Juge et être soumis à sa souveraineté dans le jugement sans pour autant être sauvé. "4

De même, selon Henri Blocher, la réconciliation ne signifie pas ici le salut à proprement parler, le salut dans le sens du pardon des péchés et du don de la vie éternelle, en Christ ; " Réconciliation " signifie ici plutôt "le retour à l'harmonie voulue par Dieu. Ce retour implique pour les châtiés l'adhésion sans réserve à la décision du Seigneur."5

La note de la Bible de Jérusalem sur Col. 1:20 va dans le même sens lorsqu’elle dit, à propos de la réconciliation universelle dont il est effectivement question ici, que réconciliation "ne signifie pas le salut individuel de tous, mais bien le salut collectif du monde par son retour à l'ordre et à la paix dans la soumission parfaite à Dieu. Les individus qui ne seront pas entrés par la grâce dans cet ordre y entreront par la force."6

Voilà donc pour une première objection que l’on peut faire quant aux tenant de l’universalisme.

Autre objection, et non la moindre : de l'aveu même d’un théologien universaliste cité plus haut, " les textes de rejet sont trop nombreuses pour affirmer de façon péremptoire, du haut de la chair (ex cathedra), la vérité d'un salut pour tous les hommes quels qu'ils soient "7. Le théologien Karl BARTH ne disait pas autrement lorsqu’il écrivait : " Il faut être fou pour enseigner le salut universel ", cependant qu’il ajoutait : " mais il faut être impie pour ne pas le croire "…8

L'universalisme constitue donc, selon nous, un écueil pour les raisons suivantes :

- Tout d’abord, l'universalisme encourage une conception fortement subjective, anthropocentrique et rationnelle de l'amour de Dieu, qui contraste nettement avec l'enseignement de l'Ecriture pour laquelle l’amour de Dieu, comme nous le verrons dans notre second exposé, n’implique pas nécessairement le salut de tous les hommes.

- L’universalisme a, en effet, la fâcheuse tendance à établir une hiérarchie entre les différents attributs de Dieu, la justice de Dieu étant subordonnée à son amour9. Au fond, tout ce passe comme si Dieu, lorsqu’il a décidé de sauver les pécheurs, avait accepté par la même de mettre sa justice entre parenthèse, de ne plus y penser, et ce, pour ne plus considérer que son amour. Vous voyez ? L’amour de Dieu est placé, chez bon nombre d’universalistes – mais non pas tous, je le concède - est placé au-dessus de la justice de Dieu, comme si, en Dieu, l’amour et la justice pouvaient entrer en concurrence, jusqu’à s’opposer l’un à l’autre, jusqu’à s’exclure l’un l’autre. Dieu serait-il donc déchiré en lui-même, de la même façon que nous pouvons l’être nous-mêmes ? Mais alors, serait-il encore vraiment Dieu, le Dieu immuable de la Bible, le Dieu qui ne change pas ?

En effet, dans l'Ecriture, l'amour et la justice – mais c’est aussi vrai pour tous les attributs de Dieu –représentent incontestablement deux aspects de la même réalité. Il ne s’agit pas du tout, mais alors pas du tout de deux réalités opposées, ni même de deux réalités séparées. C’est là ce que la théologie traditionnelle désigne par la simplicité de l'Etre de Dieu : Dieu est simple, l’essence de Dieu, l’Etre de Dieu est simple, il n’est pas composée. Il n’y a pas de tiraillement en Dieu. Il n’y a pas, en Dieu, d’opposition. Comme le dit le premier article de la Confession de la Rochelle : " Nous croyons et confessons qu’il y a un seul Dieu, qui est une seule et simple essence, spirituelle, éternelle, invisible, immuable, infinie, incompréhensible, ineffable, qui peut toutes choses, qui est toute sage, toute bonne, toute juste, et toute miséricordieuse. "

Notez bien : l’essence de Dieu est tout à la fois " toute juste, et toute miséricordieuse " ; Dieu est à la fois amour et justice, et il n’est pas moins justice qu’amour ; il n’est pas non plus amour moins que justice ; l’essence de Dieu est " toute juste et toute miséricordieuse ".

L’amour et la justice, en Dieu, sont complémentaires. Il ne sont pas opposés l'un à l'autre : la justice de Dieu s'exerce avec amour et l'amour de Dieu s'exerce avec justice, et ce, jusque dans le châtiment éternel des réprouvés, qui n’est autre que la manifestation de la justice rétributive de Dieu.

Certes, en un sens, il est vrai de dire que Dieu aime tous les hommes ; mais il ne les aime pas de la même manière ! Dieu n’aime pas les élus, ceux qui sont sauvés, ceux qui sont " en Christ " de la même manière qu’il aime les réprouvés, les incrédules, ceux qui persévèrent dans leur incrédulité et dans leur révolte contre Dieu. D’ailleurs c’est précisément en vertu de sa justice que Dieu, qui est loi a lui-même, ne peut pas, en un sens, aimer les réprouvés de la même façon qu’il lui est donné d’aimer les élus, à cause de Jésus-Christ, et en vertu de la foi qui justifie l’impie.

- Une autre critique que l’on est en droit de faire à l’encontre de l'universalisme, c’est que celui-ci s'inscrit en porte-à-faux avec l'Ecriture au sujet de l'enfer, puisque l'enseignement de cette dernière est, selon nous, suffisamment clair pour remettre radicalement en cause l'interprétation subjective et existentielle de celui-ci : l'enfer, dans la mentalité des écrivains bibliques, n'est pas fictif mais réel ; il constitue le lot eschatologique de tous ceux qui, ici bas, dans leur situation probatoire présente, auront persévéré jusqu’au bout dans l’incrédulité.

- Enfin, on peut faire remarquer que le triomphe de la grâce, selon l'approche universaliste, perd en réalité en profondeur ce qu'il pense gagner en largeur, puisque dans cette perspective, tous sont effectivement sauvés, certes, mais à quel prix ? Puisque même les incroyants, même ceux qui s’opposent à l’Evangile, au Règne de Dieu, bénéficieront en définitive, des mêmes privilèges que ceux qui auront cru, et qui auront choisi de placer leur confiance en Christ, plutôt qu’en eux-mêmes !

 

Comme l’affirme Michel Johner, dans un article récent de la Revue Réformée : la " "moralité" du salut est sacrifié à son universalité. "10

En effet, si, comme c’est le cas dans l’universalisme, la part de l'homme dans le salut est quasiment réduite à néant, si la foi n'est pas, à proprement parler, nécessaire pour l'acquisition du salut, la question se pose alors de la réalité de la responsabilité morale de l'homme en face des injonctions de l’Evangile.

S’il est un enseignement clairement attesté dans l’Ecriture, c’est qu’à côté de la grâce universelle de Dieu, la révélation biblique pose le principe de la responsabilité morale réelle de chacun dans le cadre de l'alliance.

L'alliance avec Dieu, bien que concernant, d'une certaine manière, tous les hommes, suppose une réciprocité réelle, un engagement personnel conscient de l’individu – ce que la Bible appelle la " conversion " –, dès lors qu'il s'agit de vivre la communion avec Dieu.

Dieu est souverain dans le salut – cela, nul ne saurait en douter (voir en particulier : Jn 1 : 13 ; 5 : 21 ; 6 : 37, 44-45, 65 ; Ac. 2 : 39 ; Rm. 1 : 6 ; Eph. 1 : 4-14 ; 2 : 8-10 ; etc.).

Cependant, et c’est là la deuxième vérité affirmée avec autant de force dans l’Ecriture, l’homme est pleinement responsable des ses choix, de sorte que celui-ci n’a pas rien à faire pour s’approprier le salut : il faut qu’il croit !

Pour les écrivains biblique, la foi, sans être la cause méritoire du salut, n’en demeure pas moins sa "cause instrumentale", et en ce sens elle peut être dite la "condition" du salut.11

La foi est nécessaire non seulement à la connaissance du salut, mais aussi à son obtention et, dans ce sens précis, l'homme n'a pas rien à faire pour s'approprier le salut : il faut qu'il croit, ou plutôt, Dieu lui donne de croire, et il croit, et c'est pourquoi i1 est sauvé.

Il s’ensuit donc que, selon l’Ecriture, l’humanité se partage bel et bien en deux catégories : l’humanité croyante d'une part, objet de l'élection de Dieu, et l'humanité non-croyante d'autre part, objet de sa réprobation.

Au total, donc, nous dirons que l'universalisme nous paraît incompatible avec les données bibliques qui, tout en donnant à la rédemption une portée universelle, sur toutes choses, n'en affirme pas moins sa particularité.

 

(2) L'écueil du particularisme

Alors question : qu’entendons-nous par " particularisme " ?

Nous regroupons sous ce terme les théologiens et les orientations théologiques qui occultent la portée universelle de l’œuvre de la Croix, en portant démesurément l'accent sur la particularité de la rédemption.

Deux approches, deux Ecoles théologiques sont concernées ici : l'approche " semi-pélagienne " ou arminianisme, d'une part, et d’autre part, certains théologiens " augustiniens " que nous désignerons dorénavant sous le titre de " pseudo-augustiniens " ou " pseudo-calvinistes ", le grand st Augustin, tout comme du reste Calvin, n’ayant, vous l’aurez compris, que peu de chose à voir la dedans, en réalité !

Sont à ranger de même dans cette catégorie de " pseudo-augustinien " ou " pseudo-calviniste " les théologiens de tendance " hyper-calvinistes " dont le principal défaut est d’opérer une symétrie stricte entre l’élection et la réprobation, ce que Calvin n’a jamais fait.12

 

Alors pour vous rafraîchir quelque peu la mémoire : quelques mots de définition tout d’abord.

L’ " arminianisme " – mais ça vous le savez déjà ! – vient du théologien hollandais – et oui ! Vous voyez qu’il n’y a pas que du bon en Hollande… – Jacob Arminius (1560-1609), pasteur et théologien néerlandais, qui enseigna que Dieu a "élu" ceux-là qu’il savait à l’avance devoir croire d’eux-mêmes par un libre choix humain. L’Arminianisme a été rejeté lors d’un Synode Réformé international réuni à Dordrecht en 1618-1619, auquel les délégués français ne purent assister, mais qui fut néanmoins ratifié lors d’un Synode tenu à Alès le 6 octobre 1620. Voir à ce sujet les fameux Canons de Dordrecht, paru aux éditions Kerygma en 1988.

L’expression " semi-pélagianisme " vient du théologien hautement controversé, adversaire acharné de st Augustin, Pélage, moine irlandais, dont les doctrines furent condamnées au Concile d’Ephèse en 431. Pélage rejetait la doctrine du péché originel et celle de la prédestination et enseignait que l’homme est entièrement libre de choisir la grâce ou de la refuser. Le semi-pélagianisme, ancêtre éloigné de l’arminianisme, représente un compromis entre la position de S. Augustin, reprise par les Réformateurs, et celle de Pélage.

Voilà donc pour un bref rappel historique. Venons-en maintenant au contenu de cette approche, fort influente il est vrai dans bien des milieux évangéliques, – hélas ! – que représente le particularisme.

A l'inverse des universalistes, les particu1aristes reconnaissent que tous les hommes, en définitive, ne seront pas sauvés, et que la portée de l'oeuvre de la Croix est limitée, ou particulière, d'une façon ou d'une autre : par la volonté de Dieu pour les " augustiniens ", avec pour corollaire la doctrine de l'expiation définie, par la réponse de l'homme pour les " semi-pélagiens ", en vertu de son libre arbitre.

Pour les " semi-pélagiens ", le Christ n’est pas mort uniquement pour le salut des élus, mais bien pour tous les hommes. On parlera alors d’expiation " générale ", ou " indéfinie ", en opposition avec la doctrine calviniste de l’expiation définie – limited atonement pour les anglo-saxons.

Tandis que les théologiens " augustiniens " – dont nous sommes ! – s'efforcent de faire dépendre le plus possible le salut de Dieu seul, la foi elle-même étant un don de Dieu, les théologiens de tendance " semi-pélagienne " entendent faire dépendre le plus possible la destinée de l'homme de sa décision à lui. C’est ainsi que, pour ces derniers, la foi n’est pas tant la cause " instrumentale " du salut, mais bien la cause " méritoire " du salut, celle-ci étant une possibilité pour l'homme, même irrégénéré.

Pour l'approche " semi-pélagienne ", les passages bibliques à portée universaliste, ou il est question de "tous" les hommes, ou encore du "monde" dans son ensemble, ou de la création, doivent être interprétés à la lumière de l'intention de Dieu de sauver tous le hommes : "Dieu veut que tous les hommes soient sauvés . . . " (1 Tim. 2.4).

Dans cette perspective, la volonté de Dieu peut être effectivement mise en échec par la volonté de l'homme : Dieu ne peut pas sauver un pécheur à moins que celui-ci ne le lui autorise !

L’homme pécheur peut résister à la grâce, celle-ci étant, au moins dans un premier stade, universelle, conditionnelle et résistible – on parlera à ce propos, à la suite du théologien controversé Moïse Amyraut, de grâce antécédente, en contraste avec la grâce efficace de la théologie réformée classique13.

Pour lutter contre cette tendance fortement anthropocentrique de l'approche " semi-pélagienne " certains théologiens que nous avons nommé " pseudo-augustiniens " – mais on pourrait tout aussi bien dire " pseudo-calvinistes ", le calvinisme n’étant pas autre chose que la forme la plus épurée de l’augustinisme –, certains théologiens, donc, se réclamant en particulier des Canons de Dordrecht ont exagéré la portée particulière et définie du salut, en affirmant que l’œuvre de la Croix n’avait, en définitive, d’efficacité que pour les élus seulement, sans rendre suffisamment compte, selon nous, de sa portée universelle.

A cet égard, Henri Blocher fait remarquer que l'expression anglaise, "limited atonement", pour désigner le caractère particulier et définie de l’œuvre de la Croix – Christ est mort pour les seuls élus – est moins heureuse que l'expression française " expiation définie " : " au rebours de l'intention des calvinistes, elle suggère une insuffisance de la rédemption, une moindre grâce. L'intention, tout au contraire, est de combattre l'indéfini, et sa faiblesse. "14

De même, il convient de faire remarquer ici, avec Pierre Courthial que, je cite : " les "cinq points du calvinisme", définis à Dordrecht ( ... ) n'ont jamais été historiquement qu'une réponse aux cinq erreurs proposées par les Arminiens dans le document composé à Garda (Pays-Bas) en 1610 et connu sous le nom de "Remonstrantie". "15

Il s’ensuit donc, par conséquent, qu’il ne convient pas de ranger sous les fameux "cinq points" l'ensemble de la pensée calviniste.

Et même, il vaudrait bien mieux parler des dix points du calvinisme, et même, pourquoi pas, des douze points du calvinisme, plutôt que de tout ramener à ces malheureux cinq points !

Le calvinisme, chers amis, est forcément beaucoup plus que la doctrine de la prédestination – même s’il est aussi cela, bien sûr !– de sorte que l’on pourrait tout aussi bien parler des dix points du calvinisme que des cinq points !

D’ailleurs, vous le savez bien, le calvinisme n’est aucunement, ou plutôt ne saurait aucunement se réduire à une doctrine du salut.

Je cite Lecerf, le théologien calviniste de renom Auguste Lecerf, qui fait fort justement remarquer que : " Ce n’est pas par la doctrine du péché, de la grâce objective et subjective et de la prédestination que débute l’Institution. Le premier livre de cette somme du calvinisme a pour objet ‘de connaître Dieu, dit l’auteur, en titre et qualité de Créateur et Souverain Gouverneur du monde’. "16

Dans le même ordre d’idée, je vous recommande vivement la lecture du livre du théologien américain Leonard COPPES, intitulé : Are Five Points Enough ? Ten Points of Calvinism, dont voici un exemplaire.

Dans son introduction l’auteur affirme : " Le présent ouvrage entend montrer clairement que la sotériologie (entendez les fameux cinq points du calvinisme résumé dans l’acrostiche " TULIP " : Total depravity, Unconditional Election, Limited Atonement, Irresistible Grace, Perseverance of Saints) ne saurait en aucune façon, être considérée comme le seul trait distinctif du calvinisme. La TULIP(e) est l’une des fleures, mais non la seule, dans le merveilleux jardin de la vérité biblique. " (p. xi) ! 

Ainsi, COPPES dans ce livre, entend mettre en évidence dix points qu’il considère comme relevant du caractère bien spécifique du calvinisme, de la foi réformée confessante.

1er point : l’utilisation de l’Ecriture – la Bible comme révélation verbale ou propositionnelle de Dieu à l’homme, accommodée à nos capacités humaines, et conçu comme le Traité d’Alliance entre Dieu et son peuple, revêtu du caractère d’infaillibilité, ou inerrance, règle de foi et de vie ;

2ème point : la souveraineté de Dieu – c’est la belle et grande doctrine de la Providence de Dieu, et de la prédestination, et là je ne puis m’empêcher de citer le propos Jean-Daniel Benoît dans son chef-d’œuvre intitulé Calvin, directeur d’âmes, je cite : " Le principe générateur du calvinisme, la clef de tout le système théologique comme de toute la piété, c’est la souveraineté absolue de Dieu … si bien que cette souveraineté divine constitue l’axe même du calvinisme, l’affirmation centrale à laquelle tout le reste s’articule. "17 Fin de citation. Je cite encore Auguste Lecerf : " Le luthéranisme mit au premier plan la préoccupation du salut ; les réformateur suisses et Calvin subordonnèrent le légitime soucis du salut à la restauration du sentiment de l’indépendance souveraine et de l’autorité exclusive de Dieu. De là, une conception plus rigoureuse de l’autorité formelle de l’Ecriture, le rôle attribué à la prédestination dans la piété … une réforme plus radicale dans le culte. " et Lecerf de conclure : " La dogmatique réformée est celle qui s’inspire de ce point de vue théocentrique en distinction des autres formes du protestantisme orthodoxe. "18

C’est dire, chers amis, l’importance primordiale qu’occupe l’affirmation et la reconnaissance de la souveraineté et de la priorité absolue de Dieu dans la théologie réformée dont nous nous réclamons chacun.

3ème point du calvinisme authentique : la structure alliancielle de l’Ecriture, qui implique la reconnaissance de l’unité fondamentale entre les deux dispositions de l’Alliance de Grâce, et ce, contre toute forme d’antinomisme – qui oppose l’Evangile et la Loi – ; l’Ecriture est tout ensemble Evangile + Loi, commandements + promesses ; la Loi et l’Evangile sont comme l’avers et le revers d’une médaille : ils sont indissociables.19

4ème point : le plan du salut – il s’agit là de la sotériologie réformée, les fameux cinq points des Canons de Dordrecht, que sont la dépravation totale de l’homme suite au péché originel, l’élection inconditionnelle, l’expiation définie ou limité, la grâce irrésistible de Dieu et la persévérance finale des saints.

5ème point de la théologie réformée : une vision englobante de la réalité, tout entière concernée par l’Evangile et la Loi de Dieu – Abraham Kuyper dira à cet égard, je cite : " Il n’ait pas de domaine de la vie des hommes dont le Christ ne puisse dire : c’est à moi ! " La foi chrétienne embrasse toute la réalité, de sorte qu’aucun domaine de la vie des hommes ne peut prétendre à une autonomie quelconque. Je me permets ici de vous recommander particulièrement la lecture d’un ouvrage fondamental, du théologien hollandais déjà cité, Abraham Kuyper, et qui s’intitule : " Lectures on calvinism ". Il s’agit là d’une série de conférences que Kuyper a données en 1898 à l’Université de Princeton, aux Etats-Unis, et où il expose de façon magistrale, les implications de la Foi réformée-calviniste dans tous les domaines de la vie. Alors vous avez un chapitre sur le calvinisme et la science, et puis un chapitre sur le calvinisme et la politique, un autre sur le calvinisme et l’art, le calvinisme et l’avenir… Et c’est là que l’on voit vraiment la spécificité de la foi réformée, dans cette vision englobante de la foi. " Il n’est pas de domaine de la vie des hommes dont le Christ ne puisse dire : " c’est à moi " ! "

6ème point : le concept de sainteté – ou la spécificité de la piété réformée : la spiritualité réformée est une spiritualité trinitaire, alliancielle et centrée sur l’Ecriture sainte, Parole de Dieu ; la Parole et l’Esprit vont de paire, et ce contre toute forme d’illuminisme, de spiritualisme ou de piétisme.

7ème point : le concept du gouvernement de l’Eglise – nous touchons là à la structure alliancielle de l’Eglise, théologie de la famille, contre l’individualisme de certains, et le " pluralisme " de certains autres…

8ème point : une compréhension particulière des sacrements – le baptême et la cène conçus dans le cadre de l'Alliance entre Dieu et l'homme, qui implique la priorité de Dieu en tout : le Baptême comme signe et sceau de l’Alliance de Grâce, signe de la promesse, et non pas de la réponse de l’homme à cette promesse.20

9ème point : une compréhension particulière de l’évangélisation, et par voie de conséquence, de l’apologétique – la défense de la foi –, à la fois présuppositionnaliste et biblique – vous pouvez voir à ce sujet l’excellent livre de James Packer, L’évangélisation et la souveraineté de Dieu, ou encore les ouvrages insurpassables du théologien américain Cornelius Van TIL, qui a su si brillamment dessiner les arrêtes l’apologétique réformée.

10ème et dernier point de la théologie réformée – mais il y en a d’autres, sans doute ! – : une compréhension particulière du service, du culte rendu à Dieu – centralité de la Parole de Dieu, prêchée dans son intégralité, de façon suivie, centralité de l’Alliance, avec ses commandements et ses promesses, importance de l’ordre dans le culte, d’une saine discipline ecclésiastique, etc.

Voilà donc pour le calvinisme authentique, ou osons le terme : le calvinisme intégral.

Mais revenons maintenant à nos théologiens " pseudo-calvinistes ".

Comment, donc, ces théologiens particularistes comprennent-ils la portée universelle du salut ?

Michel Johner cite le cas du théologien particulariste N.T. Wright pour lequel "l'universalisme biblique ( ... ) consiste en ce que Dieu, en Jésus-Christ, ait révélé une voie unique de salut pour tout homme indifféremment, sans considération de race, de sexe, de couleur ou de statut."21

Ainsi donc, dans cette perspective, l'universalité du salut se réduirait à l’absence, en ce qui concerne le salut, de toute ségrégation raciale ou sociale.

Pour les théologiens de tendance particulariste, l'universalité du salut se réduit à l'offre générale de celui-ci, et à l'intention réelle de Dieu de sauver tous les hommes, ainsi aussi qu’à la diversité qualitative des élus : l'Evangile franchit les frontières d'Israël pour être prêché à toutes les nations, sans considération de race ou de statut.

Le particularisme constitue donc, selon nous, un écueil pour les raisons suivantes :

 

a) L'approche "semi-pélagienne"

- Première objection : L'approche " semi-pélagienne " ou " arminienne " pose un sérieux problème par rapport à l'efficacité et à la gratuité du salut, dans la mesure ou, dans cette perspective, la foi est la cause méritoire du salut. La foi est conçue comme un acte de la volonté de l’homme, de son libre arbitre, qui peut s’opposer à la grâce, ou bien la recevoir. Mais c’est là une œuvre toute humaine.

Or, comme le fait remarquer fort justement Henri Blocher : " la foi [dans la Bible] ... n'est qu'un instrument (sauvés dia la foi) - elle n'ajoute pas la réalité à la possibilité (Jésus-Christ est l'auteur du salut, pas de la possibilité du salut) ; elle applique la réalité du Christ à l'homme "en lui". "22 Dans la perspective biblique "l'image du chèque inefficace tant que le bénéficiaire n'a pas signé ne correspond pas : car le sang précieux de la rançon a déjà été versé."23

- Deuxième objection : Le "semi-pelagianisme" enlève en fait à la valeur du sacrifice du Christ ce qu'il pense lui donner en étendue, puisque tous les hommes ne seront pas sauvés à la fin. Contrairement aux apparences, la grâce, telle qu'elle est conçue dans cette perspective, est moindre, et non pas plus importante, que dans le cas de l'expiation définie.24

b) L'approche "pseudo-augustinienne"

- Cette approche, en contraste avec une vision globale de la réalité tout entière mise au bénéfice de l'oeuvre de la Croix de la position réformée classique, limite la portée de la rédemption au caractère défini -limité !- de l'expiation, sans tenir suffisamment compte, selon nous, des autres aspects de celle-ci.

Comme le remarque Blocher : " Ceux qui repoussent l'expiation définie le font souvent par malentendu, et parce qu'ils n'en connaissent qu'une caricature ... Il est possible de faire droit aux textes d'universalité, au thème de la paix, en considérant l'humanité sous son aspect d'unité organique - même si la plupart des calvinistes ont malheureusement négligé de le faire, et ont inutilement appauvri leur doctrine."25

- Seconde objection : Le particularisme strict de cette approche ne rend pas justice aux passages bibliques à portée universelle qui vont, manifestement, au delà de la simple distinction catégorique – "tous" dans le sens qualitatif.

Au total, donc, on petit dire que l'approche universaliste tout comme l'approche particulariste stricte, conduisent toutes deux à une impasse : dans le premier cas la portée particulière du salut est subordonnée à tel point à son universalité qu'elle en est pratiquement réduite à néant ; dans le second cas, l'aspect défini et particulier du salut, conditionné soit par la volonté de Dieu chez les pseudo-augustiniens, ou par la réponse de l'homme chez les "semi-pélagiens", est à tel point mis en relief qu'il finit par porter atteinte à son caractère universel, ne rendant ainsi pas suffisamment compte des passages bibliques à portée universelle.

Nous verrons, dans notre second exposé, que seule une approche qui rend compte à la fois du caractère universel et du caractère particulier du salut rend justice à l'ensemble de la révélation biblique concernant la portée de la rédemption.

Merci de votre attention.

 

Deuxième exposé. La voie royale : l'universalité et la particularité de la rédemption

Pour introduire ce second exposé sur notre sujet : la portée universelle et particulière du salut, et afin de nous remettre dans le bain, je dirai que deux écueils, deux fausses routes sont à éviter dès lors que l’on aborde une question aussi épineuse que celle de notre exposé :

- d’une part l’écueil de l’universalisme, qui veut que tous les hommes soit sauvés, indistinctement, qu’ils aient la foi ou non, qu’ils le veuillent ou non ; ça c’est l’apokatastase, qui gomme toute la responsabilité de l’homme dans le salut.

- d’autre part l’écueil de ce que j’ai nommé le " particularisme " qui opère une réduction, un rétrécissement, si vous voulez, plus ou moins important, du champs de la rédemption, de la portée du salut : cela est évident chez les tenants de l’arminianisme ou semi-pélagianisme, mais cela l’est tout autant, bien que beaucoup ne le perçoivent pas, chez certains " calvinistes ", que nous avons préféré nommés " pseudo-calvinistes " ou " pseudo-augustiniens " – mais on pourrait tout aussi bien dire " calvinistes ou augustiniens inconséquents " ou encore " calvinisme revisité, revue et corrigé " si vous voulez !

Il va de soit que personne, aucun théologien ne peut prétendre être tout à fait à l’abris de ces deux dérives malheureuses que sont l’universalisme et le particularisme, et j’ai envie de dire qu’il en est ici de l’individu, il en est de chaque chrétien, de chaque théologien comme de l’Eglise : ecclesia reformata et semper reformanda, l’Eglise réformée, toujours a réformer ; et bien le chrétien réformé est aussi, toujours appelé à se réformer, mieux, à se laisser réformer par la Parole de Dieu, par la Bible.

Alors, frères et sœurs, prenons le temps maintenant de considérer ce que la Bible enseigne vraiment au sujet du salut, au sujet de la portée du salut, et laissons-nous réformer par elle, laissons la Parole de Dieu façonner, modeler notre pensée, afin de la conformer toujours d’avantage à celle de Dieu.

Une constatation tout d’abord. On a beaucoup écrit ces derniers temps au sujet de la particularité du salut, et notamment sur la doctrine de l'expiation définie – Christ est mort pour les élus seulement –, sur laquelle bien des théologiens - toutes tendances confondues - achoppent.26

Cette profusion d'écrits sur l'aspect défini de la rédemption s'est avérée incontestablement nécessaire pour faire face à la tendance dominante de la théologie contemporaine qu’est l’universalisme.

Cela étant, nous pensons qu'il convient de s’interroger tout autant sur la portée universelle de la rédemption dans une perspective biblique, et ce, d'autant plus que bien des avocats de la doctrine de l'expiation définie ont souvent eu tendance à occulter cet autre aspect de l'oeuvre de la Croix, qui est son universalité : l'alliance de grâce a, au delà de sa particularité, une porté universelle, qui s'étend à toute la Création.

Dans cette deuxième partie de notre exposé, nous nous proposons donc de montrer en quoi consiste la portée universelle de la rédemption, tout en maintenant fermement ce qui fait sa particularité. Nous montrerons, en particulier, que ces deux aspects de l'oeuvre de la Croix, loin de s'opposer l'un à l'autre, sont au contraire étroitement liés, l'un étant le corollaire de l'autre.

Nous pensons que seule une approche qui rend compte à la fois de l'universalité et de la particularité du salut rend justice à l'ensemble de la révélation biblique concernant la portée de la rédemption. : les textes universalistes d'une part, qui font état d’une réconciliation universelle, totale ; les textes à portée particulariste d'autre part, où il est clairement fait mention du salut du seul peuple de Dieu, de l’Eglise, et ce, en contraste avec " ceux du dehors ", qui persévèrent dans l’incrédulité et la révolte contre Dieu.

A l'inverse de l'approche universaliste, qui subordonne la particularité du salut à son universalité, nous croyons, nous, que les expressions générales concernant la rédemption doivent être comprises à la lumière des expressions restrictives. Aussi bien importe-t-il de bien comprendre, dans une premier temps, en quoi consiste la particularité du salut, avant de pouvoir aborder la question de son universalité.

 

(1) La portée particulière de la rédemption

Les théologiens réformés ont soulignés, en contraste avec l'approche universaliste et l'approche particulariste stricte, la portée particulière de la rédemption en mettant en valeur le fait qu'il y a un amour spécifique et profond de Dieu pour les élus, distinct de l'amour que Dieu porte pour la Création en générale.

Cet amour spécifique de Dieu pour les élus est révélé dans l'alliance de rédemption que Dieu le Père a conclue de toute éternité avec son Fils, à la suite du péché originel.

Dans cette alliance, Christ est donné aux hommes comme le rédempteur de l'Alliance, et des hommes - les élus - sont donnés à Christ en héritage, comme récompense de son oeuvre de rédemption.

Cette alliance de rédemption -manifestée dans le temps et dans l'histoire par l'alliance de grâce - manifeste, en contraste avec l’approche " semi-pélagienne " (ça, c’est l’arminianisme), l'harmonie trinitaire ainsi que l'unité du dessein du salut :

- Dieu-le-Père décide du salut des seuls élus : c’est le mystère de l’élection inconditionnelle ; pensez à Eph . 1.4 : " En lui, Dieu nous a élus avant la fondation du monde, pour que nous soyons saints et sans défaut devant lui. Dans son amour, il nous a prédestinés par Jésus-Christ à être adoptés, selon le dessein bienveillant de sa volonté..." ;

- Dieu-le-Fils accomplit l'oeuvre de la rédemption pour les seuls élus – c’est la doctrine biblique de la substitution pénale. On parlera à cet égard d’expiation définie : le Fils ne s'est donné en définitive que pour ceux que le Père lui a donnés. Je cite Jean 6.37 : " Tout ce que le Père me donne viendra à moi " ; verset 39 : " Or, voici la volonté de celui qui m’a envoyé : que je ne perde rien de tout ce qu’il m’a donné, mais que je le ressuscite au dernier jour " ; verset 44 : " Nul ne peut venir à moi, si le Père qui m’a envoyé ne l’attire " ; voir de même Es. 53.11ss ; Lire l’article VIII des Canons de Dordrecht, pp. 53s ;

- Dieu-le-Saint-Esprit applique efficacement l'oeuvre de la rédemption aux seuls élus – ça c’est le 4ème et 5ème points des Canons de Dordrecht, à savoir la grâce irrésistible de Dieu et la persévérance finale des saints.

Ainsi s’exprime la Confession de la Rochelle, dans son article 12 : " De cette corruption et de cette condamnation générales où tous les hommes sont plongés, nous croyons que Dieu retire ceux que, dans sa volonté éternelle et immuable, Il a élus par sa seule bonté et miséricorde en notre Seigneur Jésus-Christ (Ex. 33:19 ; Rom. 8:29 ; 9:15), et cela sans considération de leurs oeuvres (1 Sam. 12:22 ; Jn 15:16 ; Rom. 2:11, 23 ; 11:5-6 ; Eph. 1:4-6 ; 2:8-10 ; etc.). Nous croyons qu’Il laisse les autres dans cette même corruption et condamnation, pour démontrer en eux sa justice (Ps. 5:5-7 ; Ez. 9:10 ; 18:4 ; Rom. 1:18 ; Gal. 6:7-8), tout comme il fait briller, dans les premiers, les richesses de sa miséricorde (Ex. 9:16 ; Rom. 9:18, 22-23). Car ceux-ci ne sont pas meilleurs que les autres, jusqu’à ce que Dieu les distingue selon le dessein immuable qu’Il a arrêté en Jésus-Christ avant la création du monde ... " - Confession de Foi de la Rochelle, art. 12 : "Notre élection en Jésus-Christ". – fin de citation.

Ainsi, Dieu sauve efficacement tous ceux qu'il a décrété de donner à son Fils en héritage, c'est à dire tous ceux pour lesquels Christ est mort et pour qui il a été établi Garant dans l'Alliance.

Il s'ensuit donc que l'amour paternel de Dieu pour ses enfants est bien spécifique et sotériologique : c'est un amour électif qui s'exprime par le pardon accordé aux seuls élus, par rapport à la culpabilité du péché ; Dieu aime ceux qu'il a uni à son Fils ; Dieu aime de façon spécifique ceux qui sont "en Christ", par la foi ; c’est l’affection filiale d’un père pour ses enfants – nous sommes " enfants de Dieu " –, c’est l’amour conjugal d’un homme pour sa femme, comme le suggère l’image du Christ-époux et de l'Eglise-épouse.

Cela signifie-t-il que l'amour de Dieu ne s'exprime qu'envers les seuls élus ? La spécificité de l'amour de Dieu envers les élus s'inscrit-elle nécessairement en porte-à-faux avec son amour pour toute la Création ? La particularité du salut s'inscrit-elle au dépend de son universalité ?

La réponse est non !

Non ! l’amour de Dieu pour les élus n’est pas exclusif, il n’enlève en rien l’amour qu’il porte par ailleurs pour toute sa création et pour tous les hommes, et ce, pour la simple et bonne raison que l'oeuvre de la Croix revêt aussi, dans la Bible, d'une certaine manière, une portée universelle, une portée plus étendue que le salut des seuls élus.

 

(2) La portée universelle de la rédemption

Si la portée de la substitution pénale du Christ par rapport aux pécheurs est particulière et définie, dans le sens où l'oeuvre de la Croix, selon l'intention secrète de Dieu, ne bénéficie en définitive qu'aux seuls élus, il n'en demeure pas moins, d'une façon qu'il importe de montrer maintenant, que l'oeuvre de la rédemption a, aussi, une portée sur l'ensemble de la Création, ainsi que sur la relation de Dieu avec celle-ci.

 

a. Le sacrifice du Christ, l'amour de Dieu et les bienfaits généraux de la Croix

Comme le fait fort justement remarquer le théologien américain Charles Hodge, se faisant l'avocat de la position augustinienne, il est juste de dire que Christ, en un sens, est mort pour tous les hommes, mais pas de manière égale pour tous.

Je cite Hodge : " Dans un sens Christ est mort pour tous, et dans un autre sens il est mort pour les seuls élus."27

Ainsi, selon Hodge, la portée de l'oeuvre de la Croix va bien au delà de la substitution pénale en vue du salut des seuls élus – ça c’est ce que la théologie réformée appelle la " grâce spéciale " de Dieu : par sa mort sur la croix, Jésus-Christ a pleinement satisfait la justice de Dieu en se substituant au pécheur, qui, par la foi, est déclaré juste par Dieu.

L’œuvre de la croix va au-delà de la grâce spéciale de Dieu.

L’œuvre de la croix a aussi une portée universelle, qui à trait à l'ensemble de la Création (c’est ce que les théologiens réformés nomment la " grâce commune " de Dieu, la " grâce universelle " de Dieu, qui est aussi enracinée à la Croix).

Par sa mort sur la Croix, le Christ a mis fin à l'insoumission de la Création vis-à-vis du Créateur : la réconciliation universelle de toutes choses en Christ est accomplie à la Croix, quand bien même cette réconciliation ne connaîtra sa réalisation parfaite que quand le Christ reviendra ; alors, nous est-il dit, "tous" reconnaîtrons, la seigneurie de Jésus-Christ, tout genou fléchira, toute langue confessera que Jésus-Christ est Seigneur, de gré ou de force (Cf. Col. 1.19, 20 ; 2.15 ; Eph. 2.9-11 ; etc.).

Eph. 1 : 9-10 : "  Dieu nous a fait connaître le mystère de sa volonté ... réunir sous un seul chef, le Christ, tout ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre. "

Col. 1 : 20 : " Il a plu à Dieu de faire habiter en lui (le Christ) toute plénitude et de tout réconcilier avec lui-même, aussi bien ce qui est sur la terre que ce qui est dans les cieux, en faisant la paix par lui, par le sang de sa croix. "

1 Tim. 4 : 10 : " Dieu est le Sauveur de tous les hommes, particulièrement des croyants ".

Ainsi, comme le fait très pertinemment remarquer Paul Wells (il ne m’en voudra pas de le citer encore !) : " les calvinistes ne nient pas que Christ soit mort pour tous les hommes. En effet, une alliance de grâce est établie en Christ avec toute l'humanité ... Seulement, l'efficacité de la croix n'est pas la même pour les non croyants et pour les croyants ; elle ne suscite pas les même fruits chez tous. La portée universelle de l'oeuvre de la croix n'implique pas que Dieu ait la volonté de sauver tous les hommes. Christ n'est pas mort pour tous de la même façon : la différence tient à la foi qui est un don de Dieu. "28

La particularité du salut vient du fait que " pour son peuple, Christ est mort efficacement, non seulement pour sa condition adamique [Cf. Jn 1:29], mais aussi pour ses actions personnelles, ses péchés au pluriel ... Le salut dont bénéficie le "peuple", l' "Eglise", est double : il concerne la première mort, qui est matérielle, et la deuxième mort, qui est spirituelle et éternelle (Jn 10:15 ; Eph. 5:25). "29

La portée universelle de la rédemption se manifeste, quant à elle, à travers ce qu’il convient d’appeler les bienfaits généraux de la Croix : Dieu retient son jugement sur les pécheurs impénitents, et préserve l'humanité, en restreignant les effets intensifs du péché, et permettant le développement de la culture et de la civilisation – ce qui a trait aux domaines de l'utile et de l'agréable.

Voilà pourquoi, en 1. Tim. 4:10, Dieu est appelé le "sauveur -sôter- de tous les hommes, spécialement des fidèles" !

" Dieu est le Sauveur de tous les hommes " – voilà pour l’universalité du salut ! – ;

" particulièrement des croyants " – voilà pour sa particularité !

Dieu est certes le sauveur de tous les hommes, mais dans le sens d'une "préservation" non sotériologique : comme le dit Blocher : "Dieu est le sauveur de tous les hommes parce qu'il leur accorde à tous cette vie et ses biens (Cf. Actes 14:17), et sauveur des croyants à titre principal (malista) par le don de la vie éternelle."30

Dans cette perspective, nous voyons que l'amour de Dieu se manifeste bel et bien envers tous les hommes, bien qu’à différents degrés de manifestations : l'amour de Dieu est varié, multiforme, multicolore, bigarré, et non pas uniforme, monotone, indéfini ; l’amour de Dieu, comme du reste l’ensemble des attributs de Dieu, a de multiples facettes.

L'amour de Dieu fait des distinctions entre les hommes, objets de cet amour, qui connaît différents types de manifestations :

- La bienveillance de Dieu est manifestée envers tous les hommes et est enracinée dans son équité, qui est elle-même le fondement de ses bienfaits généraux ou naturels : "Il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et il fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes." (Matt. 5.45) ; "en lui nous avons la vie, le mouvement et l'être." (Act. 17.28) ; etc..

- La compassion de Dieu pour l'humanité souffrante est enracinée dans sa patience et longanimité qui sont le fondement de sa pitié et de sa miséricorde envers tous ceux qui souffrent – croyants ou incroyants : "Ou méprises-tu les richesses de sa bonté, de son support et de sa patience, sans reconnaître que la bonté de Dieu te pousse à la repentance ?" (Rom. 2:4) ; "le Seigneur ne retarde pas l'accomplissement de sa promesse, comme quelques-uns le pensent. Il use de patience envers vous, Il ne veut pas qu'aucun périsse, mais il veut que tous arrivent à la repentance." (II Pie. 3:9) ; etc..

- La grâce de Dieu est la manifestation de la bonté de Dieu envers les élus, enracinée dans son pardon qui est le fondement du salut par rapport à la culpabilité du péché – la substitution pénale, strictement prise, est l'amour filial de Dieu ne concernant, en définitive, que les élus.

Il y a donc, je le répète, enracinées à la Croix, différentes manifestations, différents niveaux, différents degrés de l'amour de Dieu envers tous les hommes, en vertu de quoi Dieu aime particulièrement les élus, à cause de son alliance et de son élection.

Ainsi, la particularité du salut, loin de s’opposer à son universalité, la présuppose au contraire : nous ne connaissons la profondeur et la particularité de l'amour de Dieu pour les élus (particularité du salut) que parce qu'il y a, d'autre part, d'autres manifestations de cet amour envers d'autres personnes (universalité), de la même manière que l'on ne connaît l'amour profond et spécifique de son conjoint qu'en contraste avec l'amour filial ou fraternel que l'on peut connaît par ailleurs envers d’autres personnes.

Dans cette perspective, et puisque la bonté de Dieu ne connaît pas de limite, le jugement de Dieu lui-même envers les réprouvés doit être considéré comme un acte de miséricorde : le jugement de Dieu est aussi, en un sens, une expression de l’amour de Dieu.

L’amour de Dieu s’exerce avec justice et la justice de Dieu s’exerce avec amour.

L’amour de Dieu nous transcende infiniment, et comme l’a dit quelqu’un, ce n’est en tous cas pas à nous de donner à Dieu des leçons de miséricorde !

En conséquence, donc, nous pouvons dire que l’amour de Dieu, pour toutes ses créatures, fonde le caractère universel de l’œuvre de la croix, quand bien même, le salut n’est réservé, en définitive, sous sa forme la plus parfaite, qu’aux seuls élus.

Le sacrifice du Christ et la bonté de Dieu bénéficient à certains égard à tous les hommes, bien qu'à des degrés divers, l'élection n’étant ni plus ni moins que la pointe, le degré le plus élevé de l'amour de Dieu et de l'oeuvre de la rédemption.

 

b. La pleine suffisance du sacrifice du Christ et la volonté souveraine de Dieu

La question qui se pose ici est la suivante : si l’œuvre de la croix, dans le sens de la substitution pénale, ne bénéficie en définitive qu’aux seuls élus, s’ensuit-il que celle-ci ne soit pas suffisante pour sauver indistinctement tous les hommes ?

Autrement dit, manquerait-il quelque chose au sacrifice de Jésus-Christ pour que toutes les créatures, y compris le diable et les démons, puissent être mises au bénéfice du salut de Dieu, du pardon des péchés et de la justification par la foi ?

Les arminiens, nous l’avons vu, répondent à cette question en prétextant une quelconque autonomie de l’homme, qui, en vertu de son soi-disant libre arbitre, peut répondre à la grâce, ou bien n’y pas répondre.

Ainsi, la foi, conçue comme la cause méritoire du salut, serait la cause de la portée particulière du salut, le fait que le salut n’englobe pas tous les hommes, indistinctement, puisque seuls ceux qui décident de suivre Jésus sont sauvés.

Cependant, si la foi, comme le dit très clairement l’Ecriture sainte, est un don de Dieu, si Dieu n’est pas seulement un sauveteur, mais bien le Sauveur, dans tous les sens du terme, il s’ensuit que l’explication des arminiens ne saurait satisfaire aux exigences d’une lecture rigoureuse de la Parole de Dieu, qui affirme, je lis Eph. 2.8 : " C’est par la grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Et cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. " Et encore : " Car c’est Dieu qui produit en vous le vouloir et le faire selon son bon plaisir " ! (Phi. 2.13)

Pour la théologie réformée, si le salut, à proprement parlé, est au bénéfice des seuls élus, si l'oeuvre de la croix est, en ce sens précis, définie et particulière, cela est dû non pas, comme on peut être tenté de le penser, à l'insuffisance du sacrifice du Christ pour sauver tous les hommes, ni même au soi-disant libre arbitre de l’homme, mais bien à l'intention secrète de Dieu de sauver des pécheurs, en laissant une partie de l'humanité dans son état de perdition.

Autrement dit, le sacrifice du Christ est bien, considéré en lui-même, suffisant pour sauver tous les hommes – il n’y a rien à ajouter à cela –, cependant que, selon l’intention secrète de Dieu, l’œuvre de la croix dans le sens de la substitution pénale ne bénéficie en réalité qu’aux seuls élus : il n’est efficace pour le salut que pour les élus seulement.

Je cite Blocher : "L'expiation substitutive est suffisante pour tous -sufficiens-, mais efficace seulement pour certains [les élus] -efficiens-."31

La question qui se pose alors est la suivante : pourquoi donc Dieu a-t-Il décrété qu'il en soit ainsi, et pas autrement ? Quelles sont les raisons qui font que Dieu ne va pas jusqu'au bout de sa compassion pour sauver tous les hommes ? Si le sacrifice du Christ est suffisant pour le salut de tous les hommes (et il l’est, bel et bien), comment expliquer que l'intention de Dieu soit autre que le salut objectif de tout homme en Jésus-Christ, que l'efficacité objective de la substitution pénale couvre un champ "moins important" (quantitativement) que sa pleine suffisance (virtuellement) ?

Pour répondre à cette question délicate – les pensées de Dieu ne sont pas nos pensées ! –, nous nous joignons au jugement sobre de Paul Wells lorsqu'il affirme que la volonté de Dieu " n'est pas guidée par sa seule compassion, mais aussi par sa sagesse. Elle est souveraine et détermine la raison profonde pour laquelle Dieu ne sauve pas tous ceux dont il peut avoir compassion. "32

L'intention de Dieu, qui est juste et bonne, limite la portée de la rédemption dans le sens de la substitution pénale aux seuls élus.

Si Dieu n'a pas décrété le salut objectif de tout homme en Jésus-Christ - comme l'affirment les universalistes - c'est, croyons-nous, parce que Dieu ne peut pas vouloir (ou décréter) quelque chose qui soit contraire à sa nature, à sa justice et à sa sagesse.

Calvin a exprimé cette vérité en disant que Dieu n'est pas Ex Lex, Dieu n’est pas sans Loi, Dieu n’agit pas de façon capricieuse, mais il est Loi à Lui-même, et il agit en fonction de qui il est, de sa nature même.

Or la nature de Dieu n’est autre que l'ensemble de des attributs de Dieu -bonté, justice, sainteté, etc.

La nature de Dieu, son Etre-même, détermine son intention de telle façon que Dieu ne peut pas décréter le salut objectif de tous les hommes en Jésus-Christ sans se renier Lui-même : de même que Dieu ne peut pas cesser d'être Dieu – Dieu ne peut pas pêcher ! –, de même Il ne peut pas décréter arbitrairement, sans référence à sa Justice, l'apokatastase, sous peine de se renier Lui-même.

Il s'ensuit donc que, même si, en un sens, il est juste de dire que Dieu désire - en tant que Créateur et Père de toute la Création - le salut de tous les hommes (Cf. 2 Pi. 3:9), sa nature - son Etre - ne lui permet pas d'aller jusqu'au bout de son désir et de sa miséricorde en décrétant le salut de tous : la sainteté de Dieu exige qu'il y ait une double issues à l'histoire de l'humanité : le paradis et l'enfer, l'élection et la réprobation, le salut et la damnation, la différence tenant à la foi, qui est un don de Dieu.

 

c. L'universalité du Salut considérée dans le cadre de l'unité organique ou substantielle entre l'alliance de grâce et l’alliance adamique

Alors question : si tous les hommes ne sont pas, en définitive, l’objet de l’élection de Dieu, s’il y a bel et bien une double issue à l’histoire de l’humanité, comment, alors, concevoir l’universalité du salut ?

Autrement dit : en quoi l’œuvre de la croix peut-elle bien avoir, au delà de sa particularité, une portée universelle, qui englobe toute la création ?

A cela la théologie réformée a fait valoir le fait que l’universalité du salut s’explique par la relation qui existe entre l’alliance adamique – ou alliance de création - et l’alliance de grâce.

La portée universelle de l’œuvre de la croix tient à l’unité organique et substantielle entre l’alliance de rédemption et l’alliance originelle.

Je cite Johner : "C’est par l’unité organique de la création et de la rédemption, de l’alliance adamique et de l’alliance de grâce que s’explique l’universalité du salut, et en quel sens toute l’humanité et la création sont sauvées en Jésus-Christ."33

Ce qui est visé à la Croix, c’est la restauration et l’accomplissement de l’alliance originelle, le rétablissement du monde et de l’humanité sous son aspect organique, et non pas seulement le salut individuel de tel ou tel : en Christ, et à travers les élus, c’est l’humanité tout entière que Dieu sauve, en restaurant et en parachevant l’alliance adamique.

Je m’explique.

Dans la protologie (c’est à dire au commencement – voir Gn 1 et 2) –, Dieu a conclu avec Adam une "alliance de vie"– parfois appelée " alliance des œuvres " – comprenant à la fois une promesse - la vie éternelle - et un commandement – le fait de ne pas manger de l’arbre de la connaissance du bien et mal (test probatoir).

Adam ayant brisé cette alliance par sa désobéissance, Dieu a bien voulu conclure avec l'humanité pécheresse une deuxième alliance –l’alliance de grâce-, dans laquelle il renouvelle sa promesse – le salut par la foi en Jésus-Christ – et son commandement – mandat culturel, le Décalogue, etc.

Ce qui, selon nous, constitue l'universalité de la rédemption, c'est que de la protologie à l’eschatologie, l'Alliance qui régit les rapports entre Dieu et la Création est essentiellement la même, bien que connaissant des stades différents, entre lesquels il y a à la fois continuité et nouveauté

La continuité de l'Alliance réside dans le fait que celle-ci s'étend bel et bien à toute l'humanité et comporte toujours un aspect Loi – commandements – et un aspect Evangile – promesses –, ce qui change entre l'alliance adamique et l'alliance de grâce, ce sont les conditions d'obtention du salut ainsi que la capacité de l'homme à répondre aux exigences de l'Alliance.

Dans la protologie - avant la Chute -, Adam avait la possibilité de ne pas pécher. Après la Chute, Adam et sa descendance se trouvent dans l'impossibilité de ne pas pécher ; il est esclave du péché ; il ne peut que pécher ! Dans l'eschatologie du Royaume, ceux qui sont en Christ se trouveront dans l'impossibilité de pécher ; ils ne pourront plus pécher, ce qui correspond à l'état de grâce le plus élevé.

Ce qui constitue la nouveauté de l'alliance de grâce par rapport à l'alliance adamique, c'est son absolue gratuité : l’homme pécheur n’étant plus à même d’obéir à la Loi de Dieu et de vivre l’Alliance avec Dieu, c’est Dieu lui-même qui prend l’initiative de sauver l’homme, en la personne de Jésus-Christ.

De même, dans son état final – eschatologique –, l'alliance de grâce comporte, en contraste avec l'alliance adamique et en conséquence de la Chute, l'application de la clause pénale de l'Alliance : le péché exige une rétribution, la réprobation d'une partie de l'humanité.

Ainsi en contraste avec l'alliance adamique, l’alliance de grâce partage l'humanité en deux catégories : les élus et les réprouvés, la foi – don de Dieu – constituant le critère de distinction entre ces deux catégories d’individus.

Dans cette perspective, le Christ ne doit pas être considéré comme le fondateur d'une "nouvelle alliance", mais comme le Médiateur de l'alliance de grâce par laquelle Dieu restaure et accomplit l'"alliance éternelle".

Je cite Johner : "l'oeuvre de Dieu en Christ ... ne consiste pas à bâtir un nouvel édifice à côté des ruines de l'ancien, mais à restaurer et à parfaire l'édifice en ruine."34

Et encore : " Dans cette perspective, l'Eglise du Christ n'est pas un conglomérat d'individus ou un échantillonnage représentatif de leurs différents types, mais elle est l'humanité, en tant que telle, restaurée et accomplie. Comme le dit H. Bavinck, " dans l'Eglise, c'est le monde lui-même qui est sauvé (...), et non quelque hommes Issus du -monde (…) ; ce n'est pas un agrégat accidentel ou arbitraire qui est l'objet de l'élection divine, ou qui est sauvé par le Christ dans la rédemption, mais c'est un tout organique ". En Jésus-Christ, le "dernier Adam", c'est l'ensemble du dessein de Dieu pour l'humanité qui s'accomplit, sinon quantitativement – puisque seuls les croyants sont sauvés –, du moins exhaustivement, puisque l'oeuvre du Christ en épuise toutes les virtualités. "35

Dans le même sens, H. Blocher, reprenant à son compte, à la suite de B. Warfield36, l'image affectionnée par Abraham Kuyper concernant la portée universelle du salut, affirme : " si nous comparons l'humanité, comme elle est procédée d'Adam, A un arbre, les élus ne sont pas des feuilles arrachées de l'arbre pour composer une guirlande à la gloire de Dieu tandis que l'arbre serait abattu. déraciné, jeté au feu ; mais justement le contraire, les perdus sont les branches, rameaux et feuilles détachés du tronc de l'humanité, tandis nue les élus y subsistent. "37

Pour prendre un autre image, on peut dire que l’œuvre de Dieu en Christ ne consiste pas à sauver quelques membres de l’équipage d’un navire qui est sur le point de sombrer dans les flots, mais bien plutôt de conduire le navire à bon port, de sauver le navire, tandis qu’une partie de l’équipage sombre dans les flots, à cause de son incrédulité et de sa révolte contre Dieu.

L'universalité de la rédemption s'exprime donc, bel et bien, par la caractère organique et cosmique de celle-ci : il n'est pas de parcelle de la création ou de la civilisation qui ne soit directement mise au bénéfice de la rédemption.

Ce qui est visé à la Croix, c'est le rétablissement du monde et de l'humanité dans son ensemble, sous son aspect organique, la finalité ultime de cette oeuvre de salut étant de magnifier la gloire immense de Dieu, ainsi que son amour infini pour l'humanité

 

Pour terminer, je voudrais aborder encore avec vous deux questions annexes, qui touchent à notre sujet.

Premièrement : l’universalité du triomphe du Christ et la question du châtiment éternel ;

Et la deuxième question : l’universalité du salut et la question du nombre des élus.

Premièrement donc : l’universalité du triomphe du Christ et la question du châtiment éternel.

Comme le remarque avec raison Michel Johner, la finalité de l’ouvre du Christ ne se réduit pas à faire triompher universellement la grâce pour sauver tous les hommes – comme c’est le cas dans l’universalisme –, mais aussi à juger et à condamner les incrédules.38

Dans cette perspective, il apparaît que le Royaume eschatologique du Christ comprend deux positions possibles : celle de ses ennemis qui servent de "marchepied" à son trône (Héb. 10:13 ; Cf. Ex. 1:21-22 ; Col. 2:15), et celle de l’Eglise, son corps, qui siège sur le trône avec le Christ et participe à son gouvernement (Ap. 2: 26-27)39

Cela étant dit, il ne faut pas penser que la notion de châtiment éternel, le fait même qu’il y ait des réprouvés, porte atteinte à l'universalité de la victoire du Christ, qui signifie non pas salut universel, mais bien plutôt, comme nous l’avons vu, réconciliation universelle.

Cette réconciliation universelle implique de la part de toutes les créatures – y compris des réprouvées – une soumission sans réserve au verdict divin, que ce soit dans l'élection ou dans la réprobation.

Dans les deux cas, le jugement de Dieu sera reconnu comme juste et équitable, tant par les élus que par les réprouvés, car s'il en était autrement, cela signifierait que le mal et le péché continueraient d'exister dans la nouvelle création de Dieu.

Or, comme le fait remarquer avec justesse H. Blocher : " Jamais la Bible ne suggère l'idée d'une défaite divine, même partielle, que le péché continue, que le mal se perpétue dans la géhenne. Au contraire, le mal, jugé, n'existera plus !" Et un peu plus loin Blocher ajoute : "Les impies condamneront eux-mêmes, avec, Dieu, leur impiété et ne désireront rien d'autre que le châtiment – seul moyen de les mettre d'accord avec la justice de Dieu, selon le voeu qui remplira leur conscience. Il sera bon pour eux de glorifier le Seigneur par leur jugement ils accompliront ainsi, malgré tout, leur vocation essentielle de créatures ; et ils le seront. "40

En effet, fait remarquer ailleurs H. Blocher, " servir à la glorification de Dieu, n'est-ce pas la fin principale de la créature ? Ne devons-nous donc pas dire que le condamné, remis d'accord avec l'ordre de Dieu, atteindra d'une certaine manière sa destination essentielle ? C'est là un bien [même si, comparativement à la béatitude que connaîtront les élus, c'est aussi un "mal", disons un bien moindre !] : pour Dieu et pour l'homme, beaucoup mieux que le néant [contre la théorie anihilationiste]. "41

En quoi, donc, le châtiment éternel des réprouvés consistera-t-il ?

La théologie traditionnelle distingue la peine du dam - privation de la vision béatifique, que seuls les élus connaîtrons -, et la peine du sens – les tourments éprouvés par les réprouvés.

Henri Blocher avance l'hypothèse intéressante42 selon laquelle le coeur du châtiment se trouve dans le remords éprouvé par les réprouvés.

Je cite : " l'acuité suprême du remords, jugement lucide, horrifié de ce qu'on a été, n'est-ce pas ce que pourraient viser les images bibliques du feu cuisant et du ver rongeur ? "43

Dans cette perspective les pleurs et les grincements de dents ne sont ni de révolte ni de rancune [puisque le mal est définitivement vaincu, même en enfer] ; mais de remords. "44

Michel Johner va dans le même sens lorsqu'il affirme : " Qu'est-ce que la douleur du "feu éternel", si ce n'est d'abord la brûlure, le déchirement intérieur de celui qui mesure dans toute son ampleur la véracité, la bonté, et l'immense patience de Dieu à son égard, et pour qui le temps d'entrer est achevé, l'histoire a atteint un point de non retour ? ... C'est, nous semble-t-il, le fait même que les réprouvés soient convaincus jusque dans leur propre conscience de la Seigneurie et de la bonté du Christ, de Celui dont ils ont été à tout jamais excommuniés, qui rend leur condition proprement "infernale". "45

Dans cette perspective, on ne saurait imaginer un dualisme entre le ciel et l'enfer.

Comme le dit encore M. Johner : " L'enfer, au contraire de la représentation que notre esprit s'en fait d'habitude, n'est ni un "anti-royaume", ni un lieu de révolte éternelle, car il est lui aussi, à sa manière, subordonné au Royaume du Christ, dont la victoire eschatologique est universelle. "46

Contrairement à la représentation de l'iconographie médiévale de l'enfer, où l'on voit le diable et les démons qui règnent en maîtres et tourmentent les réprouvés - conception dualiste ou manichéiste : cohabitation éternelle de deux mondes opposés -, c'est le Christ qui, en fait, règne à la fois sur le ciel et sur l'enfer, ce dernier ayant été préparé par Dieu à l'intention du diable et des incrédules.

Comme le dit Klaas Schilder, " Au jugement dernier, Dieu maintient ses droits aussi bien dans le ciel que dans l'enfer ; dans le ciel car il est bâti sur un fondement de droit, dans l'enfer puisqu'il est également une manifestation du droit de Dieu ; ( ... ) ce rétablissement n'échoue pas dans l'enfer, mais a lieu précisément en lui "47

Ainsi, la seigneurie du Christ et sa victoire sur le mal est totale et rien n'échappe à sa souveraineté, pas même le diable et les démons ; le mal est définitivement anéanti, l'harmonie, la beauté et la joie rayonnent de nouveau sur toute la création, qui reflète désormais, comme dans un miroir, la gloire du Créateur

 

Deuxième question : La portée universelle de la rédemption et le nombre des élus.

Si, comme nous venons de le voir, c'est l'humanité en tant qu'unité organique qui est au bénéfice de la rédemption, est-il raisonnable de croire que seul un petit nombre d'hommes sera, en définitive, l'objet de l'élection de Dieu ? La doctrine de l'expiation définie va-t-elle de paire avec une position pessimiste par rapport au nombre des sauvés ?

Ce n'est en tout cas pas l'avis de Blocher, suivant en cela la plupart des théologiens réformés, lorsqu'il dit : " Si le témoignage de l'Ecriture contraint d'écarter l'universalisme, il n'oblige pas a retenir le "minimalisme" de certains ! "48

B. Warfield, de même, plaidait pour la théorie d'un grand nombre : " Le nombre des sauvés sera à la fin non pas petit mais grand, et pas seulement de façon absolue, mais comparativement grand ... Il embrassera la plus grande partie de la race humaine. "49

A l'appui de sa position optimiste, B. Warfield fait valoir, avec Ch. Hodge – mais aussi Charles Spurgeon –, le fait que l’on est en droit de penser que la plupart, sinon tous ceux qui sont mort étant enfant seront sauvés50.

De même, avec W.G.T. Shedd, Warfield postule en faveur du salut d'un grand nombre de païens, qui n'auront, durant leur vie, jamais eu accès à la prédication de l'Evangile51.

Dans le même sens, H. Blocher fait remarquer que " les docteurs évangéliques émettent des avis divers, et nuances, sur une question comme celle des hommes dépourvus de tout accès à l'Evangile explicitement, prêché ou écrit. Nous pensons qu'il y a, dans la révélation générale de Dieu, sa création et sa providence (Cf. Mt. 5:45), assez de lumière pour que des hommes, sous l'onction de l'Esprit Saint comme en toute conversion, mettent leur foi en Jésus-Christ pour leur salut, sans en savoir plus que les humbles croyants de l'Ancien Testament. "52

Nous apprécions à ce sujet le jugement nuancé de W.G.T. Shedd lorsqu'il dit : " Deux erreurs ... sont à éviter : la première c'est que tous les hommes sont sauvés ; la deuxième, c'est que seulement un petit nombre d'hommes est sauvé ... Certains se sont représenté le nombre des réprouvés comme étant plus important que celui des élus, ou égal à lui. Ils se basent sur la parole du Christ, "il y a beaucoup d'appelés, mais peu d'élus." Mais cette parole décrit la situation au temps où notre Seigneur parle, et non pas le résultat final de son oeuvre de rédemption. Mais quand le Christ aura "vu le travail de son âme" et aura été "satisfait" avec ce qu'il aura vu ... il sera trouvé que l'élue de Dieu, l'Eglise, est "une grande multitude qu'aucun homme ne peut dénombrer, de toutes nations, de toutes tribus, de tous peuples et de toutes langues", et que leur voix est "comme la voix d'une foule nombreuse, comme la voix de grandes eaux, et comme la voix de forts tonnerres, disant : Alléluia ! Car le Seigneur Dieu, le Tout-Puissant, a établi son règne. " (Ap. 7:9 et 19:6)."53

De même, au sujet de l'enfer, W.G.T. Shedd fait remarquer qu'on est en droit de penser que l'enfer ne tient au fond que peut de place dans la nouvelle création : " L'enfer tient peu de place dans l'univers de

Dieu [comme une prison dans une grande ville]. Le ciel est immense, pas l'enfer. "54

Quoi qu'il en soit du nombre des élus, recevons, avec humilité, les secrets qui nous sont cachés, et contentons nous de dire, avec Blocher : " Il est permis d'espérer ; ils est plus sage de ne pas spéculer ni tenter de scruter les secrets de l'élection divine. Efforçons-nous d'entrer ... efforçons-nous de gagner le plus grand nombre ... d'en sauver de toute manière quelques uns (1 Cor. 9 : 22) ! "55

 

Conclusion

En conclusion je dirai ceci.

Au terme de cet exposé, force est de constater que tant l'universalisme que le particularisme strict ne rendent pas justice aux données de la Révélation concernant le champ de la rédemption.

L'universalisme, en ôtant à l'Evangile ce qui fait son urgence et son moteur dans l'évangélisation – la nécessité de la foi comme cause instrumentale du salut –, rend quasiment caduque la particularité de la rédemption - l'expiation définie, la spécificité de l'amour de Dieu pour les élus, la responsabilité réelle de l'homme de croire et de se repentir pour être sauvé, etc.

Le particularisme strict, en se focalisant excessivement sur ce qui fait la particularité du salut, se heurte aux passages bibliques à portée universelle, dans lesquels il apparaît que l'oeuvre de la Croix a une portée plus étendue que le salut des seuls élus.

En contraste avec ces deux approches, nous avons proposé de comprendre la portée universelle de la rédemption en la situant dans le cadre de l'Alliance : l'universalité du salut se manifeste, selon l'Ecriture, dans le cadre de l'unité organique - ou substantielle - de l'alliance adamique et de l'alliance de grâce, de la création et de la rédemption.

Ainsi, la particularité du salut ne se comprend que dans le contexte plus large de son universalité par laquelle Dieu manifeste tant sa bonté que sa justice envers toute l'humanité, l'amour de Dieu comportant différents degrés de manifestations.

Ainsi comprise, l'universalité de la rédemption, loin de désamorcer l’évangélisation d'une part – ça c’est le mandat missionnaire de l’Eglise –, l'engagement de l'Eglise dans le monde d'autre part – mandat culturel –, constitue pour l'Eglise une extraordinaire dynamique, vu qu'il n'est pas un seul domaine de la création qui ne soit directement mis au bénéfice de la rédemption.

Et ce d'autant plus que nous nous joignons ici au jugement de Richard Mouw selon lequel, dans l'au-delà, " Dieu agira à notre égard à partir de sa création originelle : nous-mêmes nous serons changés. Le Seigneur nous recréera. Quelque chose de notre identité actuelle demeurera à tout jamais.

Ce qui est vrai du destin des individus, semble s'appliquer à toute la création, y compris à ses dimensions culturelles.

L'oeuvre de Dieu s'appuiera sur ce qu'il a créé et sur toute la "plénitude" que les hommes auront ajoutée à ce qu'il a fait au commencement.

Les fruit de l'histoire, même pécheresse, pénétreront dans la Cité Sainte pour y devenir des outils appropriés au service de Dieu et de son peuple. "

Et un peu plus loin il ajoute qu'en conséquence de cela " nous devons apprendre [en tant que chrétiens] à considérer le monde des affaires, des arts, des loisirs, de l'enseignement et de la technologie d'une juste manière, affirmer que toute la " plénitude " de la terre appartient à Dieu et tenter de définir des modes d'engagement culturel qui répondent à cette confession.

Si Dieu lui-même n'a pas abandonné la culture à son propre sort, nous ne pouvons pas nous permettre de le faire nous-mêmes ! "56

Ainsi donc, loin d'être à la traîne de la civilisation et de la culture, l'Eglise est-elle appelée par Dieu à être à la pointe de la découverte et de la gestion de toutes les potentialités de la création, attendant et travaillant ainsi à l’avènement du monde nouveau, la Jérusalem céleste, "la ville sainte, la nouvelle Jérusalem prête comme une épouse qui s'est parée pour son époux " (Ap. 21.2), en ce jour glorieux où tout genou fléchira "dans les cieux, sur la terre et sous la terre", et où toute langue confessera que "Jésus-Christ est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père." (Phil. 2:10-11).

Amen !

 

NOTES

1 Henri BLOCHER, [8], p. 29.

2 Henri BLOCHER, [8], p. 28.

3 Antoine NOUIS, Un catéchisme protestant, p. 345.

4 Paul WELLS, [40], p. 6.

5 Henri BLOCHER, [6], p. 8.

6 Cf. Henri BLOCHER, [6], p. 8, note 16.

7 Antoine NOUIS, Ibid., p. 361.

8 Ibid.

9 Cf. Michel JOHNER, [22], pp. 25ss.

10 Michel JOHNER, [22], p. 32.

11 Cf. Michel JOHNER, [22], p. 31.

12 Cf. Henri BLOCHER, " Calvin infralapsaire ", La Revue Réformée, N° 123 (1980/3), pp. 270ss.

13 Cf. Michel JOHNER, [22], pp. 18ss.

14 Henri BLOCHER, [8], p. 34, note 48.

15 Pierre COURTHIAL, Fondements pour l'avenir, p. 106, note 64.

16 Auguste LECERF, " Souveraineté divine et liberté créée ", Etudes Calvinistes, Neuchâtel/Paris, Delachaux & Niestle, 1949, p. 11.

17 Jean-Daniel BENOIT, Calvin, directeur d’âmes, Strasbourg, Ed. Oberlin, 1947, p. 68.

18 Auguste LECERF, De la nature de la connaissance religieuse, Vol. I de Introduction à la Dogmatique Réformée, Paris, Je Sers, 1931, p. 7.

19 Voir à ce sujet le livre de C. van der WAAL, The Covenantal Gospel, Inheritance Publications, 1990 ; M. G. KLINE, The Structure of Biblical Authority, Grand Rapids, Eerdmans, 1972 ; Pierre COURTHIAL, Le jour des petits recommencements, Lausane, L’Age d’Homme, 1996, en particulier le chap. III de la troisième partie : " L’humanisme défait par la Loi de Dieu ", pp. 213ss.

20 Voir de Pierre MARCEL, " Le Baptême, Sacrement de l’Alliance de Grâce ", La Revue Réformée, N°2-3 (octobre 1950).

21 N.T. WRIGHT, [41], p, 58, cité par Lichel JOHNER, [22], p. 34.

22 Henri BLOCHER, [7], p. 201.

23 Henri BLOCHER, [8], p. 43.

24 Cf. Michel JOHNER, [22], pp. 18ss.

25 Henri BLOCHER, [8], p. 44.

26 Voir l'ouvrage collectif, Clark Pinnock, éd., [31], 1975.

27 Charles HODGE, [20], 11, P. 546 ; voir aussi H. Blocher, [8], p. 45.

28 Paul WELLS, [39], pp. 170s.

29 Paul WELLS, [39], p. 172.

30 Henri BLOCHER, [6], P. 22.

31 Henri BLOCHER, [7], p. 192.

32 Paul WELLS, [39], p. 7, c'est nous qui soulignons.

33 Michel JOHNER, "L’universalité et la particularité du salut chrétien", La Revue Réformée, N° 56 (1988/4), p. 36.

34 Michel JOHNER, [22], p. 34.

35 Ibid., [22], pp. 34s.

36 B. WARFIELD, [38], p. 336.

37 Henri BLOCHER, [8], p. 44.

38 Cf. Michel JOHNER, [22], pp. 37ss.

39 Ibid., p.37.

40 Henri BLOCHER, [8], p. 47.

41 Henri BLOCHER, [5], P. 9.

42 Contre l’avis de Ch. Hodge, [20], III, pp. 868ss, R. Dabney, [4], pp. 852ss et L. Berkhof, [3], p. 735ss qui Incluent aussi une souffrance corporelle.

43 Henri BLOCHER, [5], p. 8.

44 Ibid.

45 Michel JOHNER, [22], p. 39.

46 Ibid.

47 Cité par Michel JOHNER, [22], p. 38, note 62.

48 Henri BLOCHER, [6], p. 23.

49 B. WARFIELD, [38], p. 349 ; voir aussi R. Dabney, [14], p, 525 ; Ch. Hodge, [20], III, pp. 879s.

50 Cf. Ch. HODGE, [20], 1, p. 26 ; II, p. 648 ; III, pp. 879s.

51 B. WARFIELD, [33], pp. 159ss.

52 Henri BLOCHER, [8], p. 41 ; voir de même Malcolm J. Mc Veigh, [36], pp. 370ss.

53 W.G.T. SHEDD, Dogmatic Theology, 1888, Vol. II, p. 712, cité par B. Warfield, [38], p. 350.

54 W. G. T. SHEDD, [33], p, 159, cité par Jean Cruvellier, [11], p. 103.

55 Henri BLOCHER, [6], p. 23.

56 R. MOUW, La culture et le monde à venir, Sator, 1988, pp. 34s.

 

NOTICE BIBLIOGRAPHIQUES

[1] BARTH, Karl, Dogmatique, IV/3 (1959) - voir aussi 11/2 et IV/1- ; IV/3 = fasc. 24 de la trad. Fr. par F. Ryser, Labor & Fides, 1973, surtout pp. 105-123,

[2] BAUCKHAM, Richard J, " Universalism : An Historical Survey " , Themelios, N° 4/2, Janv, 1979, pp. 48-54.

[3] BERKHOF, Louis, Systematic Theology, Banner of Truth, 1988, pp. 392ss, 728ss.

[4] BERKOUWER, G. C. , The Return of Christ, 1961 ; trad. améric. par J. Van Dosterom, Erdmans, 1972, ch. XIII.

[5] BLOCHER, Henri, " La doctrine du châtiment éternel ", Ichtus, N° 32, pp. 3ss.

[6] BLOCHER, Henri, " Le nombre des sauvés ", Ichtus, N°92, 1980, pp. 18ss.

[7] BLOCHER, Henri, La doctrine du péché et de la rédemption, 1983, II, pp. 189ss.

[8] BLOCHER, Henri, " Le champ de la rédemption et la théologie moderne ", Hokhma, N° 43, 1990, pp. 25ss.

[9] BRUNNER, Emile, Dogmatique, Tome III (1950) : trad. française par F. Jaccard, Labord et Fides, 1967, chap. X de la 4ème partie – " Réconciliation universelle et jugement dernier " -, pp. 505ss.

[10] BUIS, H., The Doctrine of Eternal Punischement, Philadelphie, P&R, 1957.

[11] CRUVELLIER, Jean, " La notion du châtiment éternel dans le Nouveau Testament ", Etudes évangéliques, N° 1-2, 3 et 4 du vol. 1954 et le N° 1 du vol. 1955.

[12] CULLMAN, Oscar, Christ et le temps, Neuchâtel, Delachaux à Niestlé, 1947.

[13] CUNNINGHAM W., Historical Theology, Banner of Truth, 1969, Vol. II, pp.   237ss.

[14] DABNEY, R.L., Systematic Theology, Banner of Truth, 1985, pp. 513ss, 852ss.

[15] ELLUL, J., " Le salut universel ", Ce que je crois, Paris, Grasset et Fasquelle, 1987.

[16] HELM, Paul, " Universalism and the Treat of Hell ", Trinity Journal, 4 NS (1983), pp. 35-43.

[17] HELM, Paul, " The Logic of Limited Atonement ", The Sccottish Bulletin of Evancelical Theology, N° 3 (1985), pp. 47-54.

[18] HELM, Paul, The Last Things, Edinburg, The Banner of Truth Trust, 1989, 152 pp.

[19] HICK, J., Death and Eternal Life, Londres, Collins, 1976.

[20] HODGE, Charles, Systematic Theology, Eerdmans, 1982, Vol. II (pp. 545ss), Vol. III (pp. 868ss).

[21] HOEKEMA, Anthony A., The Bible and the Future, Michigan, Eerdmans, 1991, 343 pp. (surtout pp. 19ss).

[22] JOHNER, Michel, " L'universalité et la particularité du salut chrétien ", La Revue Réformée, N° 156, 1988/4, pp. 17ss.

[23] JONES, H. Gresford, " Universalism and morals ", Scottish Journal of Theology, 1950/1.

[24] JONES, Peter, " Sauver et détruire : un aspect de l'enseignement biblique sur l'enfer et la vie éternelle ", La Revue Réformée, N° 156, 1988/4, pp. 41ss.

[25] MENOUD, PH.-H., Le sort des trépassés, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1966.

[26] MURRAY, John, Redemption, Acommplished and Applied, Edinburgh, The Banner of Truth Trust, 1979, 192 pp. (surtout pp. 59ss).

[27] NICHOLLS, B., J., " The exclusiveness and inclusiveness of the gospel ", Themelios, N° 4/2, Janv. 1979.

[28] NICOLE, Roger, " John Calvin's View of the Extent of the Atonement ", Westminster Theolocical Journal, N° 47, 1985, pp. 197-225.

 

[29] OWEN, John, The Death of Death in the Death of Christ (1648), Londres, Banner of Truth, 1959.

[30] PACKER, J. L., " The Way of Salvation : Part III : The Problem of Universalism ", Bibliotheca Sacra, N° 130, 1973.

[31] PINNOCK, Clark (éd.), Grace Unlimited, Minneapolis, Rethany Fellowship, 1975.

[32] ROBINSON, J. A. T., " Universalism - is it heretical ? ", S.J.T. , 1949/2.

[33] SHEDD, W.G.T., The Doctrine of Endless Punishment, Edinburg, The Banner of Truth Trust, 1986, 201 pp.

[34] STOTT, John, La croix de Jésus-Christ, GV/ebv, 1988, 339 pp. (surtout pp. 157ss).

[35] TORRANCE, T. F., " Universalism or election ? ", Scottish Journal of Theology, 1949/3.

[36] VEIGH, Malcolm J., " The Fate of Those Who've Never Heard ? It Depends ", Evangelical Missions Quarterly, N° 21 (1985), pp. 370-379.

[37] WARFIELD, Benjamin B., " Are They Few That Be Saved ? ", Biblical and Theological Studies, Philadelphia, P&R, 1968, pp. 334-350.

[38] WARFIELD, Benjamin B., " God's Immeasurable Love ", Biblical and Theological Studies,

Philadelphia, P&R.

[39] WELLS, Paul, " La portée de la réconciliation ", in Appendice II de Entre ciel et terre, La Revue Réformée, N° 166, 1990/4-5, pp. 169ss.

[40] WELLS, Paul, " L'élection et l'universalisme ", in Polycopié, pp. 64ss.

[41] WRIGHT, N, T., " Towards a biblical view of universalism ", Themelios, 1979/2.