Sur la contextualisation biblique

Professeur Paul WELLS

 

"Contextualiser" : voilà encore un mot impressionnant qui pourrait faire peur aux non-initiés! Avec le terme "herméneutique", il contribue à transformer le texte biblique en terrain miné!

Dans la mythologie grecque, Hermes est le messager qui porte aux mortels les jugements des dieux sur les événements du monde. Dans le christianisme, comme dans l'antiquité classique, l'interprétation est une activité destinée à faire connaître l'autorité des paroles divines, à rappeler son actualité permanente et à inviter chacun à y obéir quotidiennement dans tous les comartiments de la vie.

A partir du 18e siècle, une étape est franchie et l'interprétation biblique prend une orientation nouvelle, les questions révolutionnaires formulées à la lumière des progrès de la connaissance humaine, sont posées aux textes, et l'authenticité comme l'autorité des données bibliques sont mises en question.

L'herméneutique moderne est ainsi née comme discipline. Son but n'est plus de chercher à expliquer le sens d'une parole dont l'autorité est reconnue. Elle s'interroge plutôt sur la possibilité que des textes, largement discrédités, aient une signification et une utilité pour un public sceptique. Elle consiste donc à expérimenter "l'autorité du texte en faisant ressortir sa capacité à fournir une explication cohérente du "vécu" de ses auditeurs".(1) D'une certaine façon, les projecteurs ne sont plus braquées uniquement sur le texte, mais sont tournés vers les lecteurs/auditeurs, vers leur culture et leurs besoins. Avec l'arrivée de la période romantique, un "grand renversement" s'opère : "l'interprétation consiste à transposer l'histoire biblique dans un autre monde avec une autre histoire et non à placer ce monde dans la perspective de l'histoire biblique."(2)

De là, ce n'est qu'un tout petit pas à franchir pour arriver aux questions qui nous préoccupent aujourd'hui par rapport à la "contextualisation". Si, dans une démarche herméneutique, l'idée de contextualisation est évoquée, cela revient simplement à poser la question suivante :

Comment une parole, qui a eu un sens clair dans un contexte socio-cuturel qui n'est pas le nôtre, peut-elle être comprise par nous, et quel sens correspondant a-t-elle dans cette nouvelle situation?

Il s'agit de passer d'un horizon à un autre tout différent. Dans le cas particulier de l'interprétation de la Bible, ces horizons sont éloignés dans le temps : autrefois et aujourd'hui, jadis et maintenant. L'objectif est de discerner les éléments qui permettent ou empêchent que le sens du texte original, ses propositions, ses affirmations, ses histoires... soient compris de nous, gens de la fin du 20e siècle.

 

I Le contexte biblique

1. En venant sur la terre, Jésus-Christ a accepté les limites imposées par une société, une culture, une époque et un langage.

Toute la révélation biblique, dans ses différentes composantes, en est également marquée. Rien dans la Bible, même ce qui est le plus absolu, n'est intemporel. Tout est sous l'influence du milieu dans lequel la Parole de Dieu a été donnée. C'est ainsi que Jean Calvin a parlé de "l'accommodation divine" et qu'Herman Bavinck a qualifié d'anthropomorphiques toutes les paroles bibliques, parce qu'elles revêtent la forme propre à notre nature humaine.

 

Exemples :

- L'alliance biblique comporte toujours un préambule historique. Par exemple, les Dix commandements, "principes de sainteté", qui sont parmi les paroles bibliques les plus universelles, sont précédées d'une référence à la situation historique : "je vous ai sauvés du pays de l'esclavage."

- Romains 12:1,2 présente un cas intéressant de contextualisation. La même vérité est exprimée en deux langages différents : celui de la culture hébraïque et celui de la culture grecque.

2. L'autorité du texte est liée à son auteur (auctor ). Dans le cas de l'Ecriture, les commandements, les ordonnances, les promesses, les histoires sont imprégnés du caractère de Dieu lui-même. L'Ecriture a pour sens profond celui que Dieu, son auteur ultime, a voulu lui conférer. Sa signification humaine, la pensée des auteurs humains qui ont parlé de la part de Dieu n'en ont pas d'autre, même si ce sens leur était partiellement incompréhensible ou caché.

S'il y a des éléments de la Bible qui sont périmés aujourd'hui, ils avaient uune pleine autorité dans leur contexte d'origine. Chaque parole de la révélation divine, y compris les iota et les traits de lettre, est revêtue de l'autorité divine. Cette autorité ne se modifie pas de façon qualitative, par un "plus" ou par un "moins" même si certaines parties de la Bible sont plus lourdes de signification, pour nous, en exposant le message central de l'histoire du salut.

 

Exemple :

- L'institution sacrificielle de l'Ancien Testament est périmée à cause de la mort de Christ. Avant la venue de Jésus, elle avait une place centrale dans la vie du peuple deDieu. Aujourd'hui, elle a toujours une sorte d'autorité, même si elle n'existe plus dans la pratique de l'Eglise, puisque, comme le montre l'Epître aux Hébreux, elle était "modèle" ou "exemple" des "choses à venir".

 

3. Est périmé ce qui est accompli dans l'histoire du salut et incorporé dans une révélation nouvelle supérieure à la précédante, car plus claire. Le principe qui préside au développement de la révélation biblique est celui du "toujours plus".

 

Exemple :

- Le Nouveau Testament nous indique comment le culte de l'Ancien est remplacé par un nouvel ordre qui est "plus spirituel", en nous montrant ce qui conserve une autorité pour l'Eglise chrétienne. La distinction entre la Loi morale, qui est permanente, et la loi nationale et cultuelle de l'Ancien Testament, est faite dans l'enseignement des apôtres. Ceci ne se fait pas du jour au lendemain, mais progressivement, au rythme selon lequel s'opère l'assimilation des païens dans l'Eglise.

 

II Contextualisation et histoire

1. L'histoire du christianisme est une histoire de contextualisation réussie. S'il n'en était pas ainsi la foi chrétienne n'aurait pas duré et des millions de personnes, sur tous les continents, même sur ceux dont la culture est la plus éloignée de la culture hébraïque, ne se seraient pas convertis.

 

Exemples :

-La doctrine de la mort du Christ a été contextualisée dans différentes situations culturelles. Dans le Nouveau Testament, on trouve les notions de rançon, de sacrifice, de rédemption, de substitution, de satisfaction, d'expiation, de propitiation, etc.

Ces notions variées se rapportent toutes à l'oeuvre de la croix. Pour présenter celle-ci en tenant compte des circonstances culturelles de leurs époques, l'un ou l'autre de ces notions a été accentuée : Origène, la notion de rançon; Anselme, celle de satisfaction ; Calvin, celle de sacrifice. Ces contextualisations sont légitimes. Elles accentuent un élément biblique sans pour autant rejeter ou contredire les autres.

- Pourtant, affirmer, avec Abelard ou la théologie libérale, que la croix est un "exemple", constitue une contextualisation inacceptable. Cette notion s'inscrit en opposition avec le langage biblique, qui l'exclut même. Elle accentue, certes, un élément biblique mais au point de gommer sa complémentartité avec d'autres. La notion d'une mort exemplaire de Christ exclut, en effet, celle de l'expiation.

2. Contextualiser, c'est "présentiser", rendre présent, le message d'un texte, ou de plusieurs textes bibliques. C'est un acte, à la fois, objectif, puisqu'il est lié à un texte précis, et subjectif, puisque notre mentalité, marquée par notre milieu et l'époque où nous vivons, entre en jeu dans notre interprétation.

L'interprétation d'une affirmation/proposition de l'Ecriture, qui a déjà été faite dans le développement historique de la tradition chrétienne, constitue une sorte de préalable à prendre en compte dans la situation présente de l'Eglise. Les interprétations précédentes de l'Ecriture sont importantes à considérer. Dans des contextes différents du nôtre, des chrétiens ont déjà "lutté" avec le texte. Pour se séparer de leurs interprétations, il faut avoir des raisons bibliquement motivées. Autrement, notre attitude est celle de l'impérialisme culturel (1 Co 14:36).

Une bonne contextualisation du texte biblique s'obtient en "tirant" celui-ci, en le transposant, du passé dans le présent de telle sorte que son sens originel ne subisse pas de modification. Il n'y a pas création d'une "nouvelle" vérité, dont le sens s'opposerait au sens premier du texte.

Ainsi, même si un peu de la plénitude du sens d'un texte biblique est perdu dans notre interprétation, il n'y a pas "trahison" ; on ne fait pas dire à ce texte quelque chose d'étranger à son message.

3. Ainsi, dans la contextualisation :

i) la vérité biblique reçoit une signification adaptée au temps présent ;

ii) cette signification élargit et transforme notre vision de la vérité biblique et "illumine" notre situation actuelle.

 

Exemples :

- Pour les chrétiens persécutés sous des régimes totalitaires, l'Apocalypse prend unenouvelle signification. Certaines de ses images, comme "le dragon", la "grande prostituée", qui semblent exagérées pour décrire les systèmes politiques en Occident, ont un relief tout autre en période de persécutions et sont source de grand encouragement.

- Et pour chacun, des textes considérés comme anodins lorsqu'on est en bonne santé, revêtent une grande force dès lors qu'une maladie grave est diagnostiquée...

 

III Contextualisations légitimes et illégitimes

Le caractère légitime ou non d'une contextualisation soulève de très nombreuses questions. Comment distinguer entre une contextualisation qui "traduit" l'Ecriture en notre milieu et celle qui la "trahit"? Le caractère objectif du texte, c'est-à-dire le fait qu'il énonce une idée et non l'idée opposée, exclut les interprétations subjectives dont la fomulation commence souvent par les mots : "à mon sens". Le texte constitue une contrainte pour son interprète qui doit s'interdire de jouer aux ventriloques.

Les chrétiens ont toujours distingué entre la vérité et l'erreur. Autrement, le christianisme n'aurait pas évité le syncrétisme, menace encore actuelle pour l'Eglise, aujourd'hui, et il aurait disparu. L'exercice de ce discernement, aidé du Saint-Esprit, conduit à opérer des contextualisations légitimes et à refuser celles qui ne le sont pas.

 

Exemples :

- Certaines traditions - comme, par exemple, la messe, la mariologie, la doctrine dupurgatoire, le culte des saints ou des reliques - se sont établies à la suite des contacts que l'Eglise a eus avec le paganisme tout au long de son histoire. Elles ne peuvent pas être considérées comme une contextualisation légitime ou comme un développement de la vérité biblique. Les protestants l'admettent sans peine.

- Nos traditions ne relèvent-t-elles pas aussi de notre culture passée? Nos interprétations ne sont-elles pas, bien souvent, tributaires de notre propre culture?

Comment se justifie le baptême des enfants ou la confirmation, à la lumière de l'Ecriture, par rapport aux pratiques couramment acceptées, dans le protestantisme, pour des raisons de tradition?

 

1. Une contextualisation, si elle est légitime, illumine notre situation sans modifier la vérité fondamentale de la Bible et sans contredire cette vérité. La "nouvelle" expression de la vérité n'est jamais entièrement nouvelle, inédite.

 

Exemple :

-La doctrine de la Trinité de Nicée-Constantinople est une nouvelle formulation des affirmations bibliques, non une nouvelle vérité . Elle est implicite dans l'Ecriture. Comme certains l'ont dit, elle est une réponse aux questions déjà exprimées dans le Nouveau Testament et que ses textes permettent.

Une "nouvelle formulation" de la doctrine aide l'Eglise à distinguer entre la vérité et l'erreur et à "sauvegarder", sur la disquette de l'histoire, le dépot de la foi.

2. Dans la Bible, un enseignement, une norme revêt souvent une expression typique de l'époque, la vérité ainsi révélée s'accordant avec l'ensemble de l'Ecriture, selon le principe d'interprétation dite de l'analogie de l'Ecriture. Autrement dit, une interprétation doit être en harmonie avec ce qui est dit dans d'autres textes bibliques, dont le sens est plus clair ou moins clair. La prise en considération de l'ensemble des textes bibliques permet d'éviter une mauvaise interprétation d'un texte particulier.

Une contextualisation est illégitime lorsqu'elle contredit une vérité biblique et s'inscrit en opposition ou en dissonance avec l'enseignement global de l'Ecriture.

 

Exemple :

- Plaider en faveur de l'accession de la femme au ministère pastoral en s'appuyant seulement sur les différences de contexte social entre les temps bibliques et aujourd'hui est illégitime, car cela implique que les apôtres aient simplement "subi" les idées de leur époque et qu'il convient de faire de même aujourd'hui.

Cela revient à supposer que la révélation s'adapte simplement aux idées d'une époque et peut faire de même aujourd'hui.

3. Il y a contextualisation illégitime si un élément du message biblique qui s'accorde avec notre mentalité est opposé à un autre qui est ainsi négligé ou contredit. Une telle interprétation force le sens d'un texte en dehors de l'analogie de l'Ecriture et, souvent, sous prétexte de nouveauté, ne craint pas de s'écarter des interprétations traditionnelles des symboles et des confessions historiques des Eglises. Les paradoxes ou les "contradictions appparentes" de la Bible se trouvent ainsi éliminés.

 

Exemples :

- Les passages "universalistes" de l'Ecriture, où les mots "tous" ou "monde" sont sélectionnés pour justifier le salut universel, tandis que les textes bibliques particularistes ou faisant état du jugement des non-élus sont laissés de côté.

- La réalité de la liberté laissée à la volonté humaine sert à ruiner celle de l'élection divine.

- Une mise en contraste stricte de la Loi et de l'Evangile peut être utilisée pour affirmer que la Loi n'a plus a être obéie dans la vie chrétienne.

Toute interprétation "nouvelle" négligeant le principe de l'analogie de l'Ecriture (ou, de façon seconde, la tradition confessionnelle du christianisme) au profit de l'analogie du présent doit être suspectée. Dans ce cas, en effet, la culture ambiante, les circonstances historiques, le subjectivisme ou les "églisocrates" exercent une influence illégitime, étrangère à l'enseignement global de l'Ecriture.

 

4. Un enseignement biblique dûment identifié selon le principe de l'analogie de l'Ecriture doit être mis en application sans réserve dans notre contexte culturel, même si cela nous oblige à nous démarquer de nos contemporains.

 

Exemples :

- L'enseignement biblique sur les rôles respectifs des sexes n'est ni une photocopie du "patriarcat", ni une justification de l'égalitarisme moderne (si on se limite aux textes qui disent "ni homme ni femme en Christ"). Parler de "patriarcat biblique" comme s'il n'y avait eu que cette seule forme sociale pendant les siècles couverts par la Bible est inexact, comme il est anachronique de parler de "féminisme biblique". Le message biblique en ce domaine est tout autre.

- Ignorer le caractère distinctif du message biblique, qui est une révélation "spéciale", aboutit à des réductionismes simplistes.

5. Dans les débats portant sur le "contexte", aucun des quatre contextes concernés ne doit être négligé :

(i) L'Eglise du passé et (ii) celle du présent ; (iii) le monde du passé et (iv) le monde actuel. L'Evangile, qui est un scandale, n'est agréé ni par le monde passé ni par le monde actuel ; seule, la révélation le recommande.

Notre comportement, aujourd'hui, doit recevoir non l'approbation de ce qui est acceptable, mais celle de Parole de Dieu, de l'Evangile.

 

Exemples :

- Si l'Eglise formule des doctrines (par exemple, la réincarnation, l'éternité de la matière, la légitimité des unions homosexuelles, etc.) ou admet des pratiques non autorisées par l'Ecriture, elle ajoute à la révélation biblique et, en quelque sorte, porte atteinte à l'autorité souveraine de Christ dans sa Parole.

- Il faut se méfier des interprétations qui proposent que nos pratiques sont tout simplement équivalente de ce que nous trouvons dans la Bible ; par exemple, supposer que les "langues" qu'on peut entendre aujourd'hui constituent le même phénomène que la glossolalie des Actes. Au lieu de considérer nos idées ou nos comportements modernes comme correspondants à l'enseignement biblique, il est préférable de les éclairer à la lumière de celui-ci.

 

IV L'alliance et l'Esprit dans l'interprétation biblique

Pour bien interpréter le texte biblique, il faut se rappeler que nous faisons partie d'un peuple avec qui Dieu a fait alliance. Ce peuple a un statut différent de celui du monde. S'écarter des dispositions du contrat biblique, pour des raisons d'opportunité, c'est, en quelque sorte, rompre l'alliance que Christ a établie avec son Eglise.

1. Notre interprétation biblique est, comme toutes les activité de notre vie, placée sous l'autorité de Christ. Ce n'est pas un travail neutre, mais une tâche ecclésiale qui doit aussi respecter la véritable tradition de l'Eglise. La mise au placard des Confessions historiques - pour des raisons sociologiques, ou autres - est un danger.

Le sola Scriptura est souvent remplacé, dans le protestantisme moderne, par "seul avec l'Ecriture" et a, pour résultat, presque inévitable, une fausse contextualisation.

 

Exemples :

- On ne prend en considération que les seuls textes qui "nous parlent" spirituellement ou autrement.

- On ne retient que les textes jugés crédibles étant donné le développement des connaissances modernes : un "canon dans le canon" se trouve établi.

- Nous sommes des individualistes primaires et nous pensons pouvoir nous passer, dans notre "sagesse", des meilleurs arguments théologiques (qui, en tout cas, ne changeront pas nos idées).

2. Le Saint-Esprit a un rôle important dans l'interprétation biblique. Il guide son peuple toujours de la même manière, c'est-à-dire en l'incitant :

- de refuser d'interpréter un passage de l'Ecriture contre le sens clair de l'ensemble du message biblique,

- de ne rien ajouter d'inédit, d'entièrement nouveau - une doctrine, un commandement ou une révélation - à ce que la Bible enseigne,

- de s'opposer à l'idée que l'Ecriture n'est plus actuelle au 20e siècle et que les connaissances scientifiques la clarifient avantageusement.

Le rôle de l'Esprit, envoyé par Christ et sous son autorité, consiste à faire ressortir les vérités déjà formulées dans la Bible et à nous guider dans leur compréhension après nous les avoir fait discerner.

L'Esprit n'ajoute rien à la Parole (Jn 16:13-15). Il vivifie la Parole pour que son message s'incarne dans la vie du peuple de Dieu ; il en sera ainsi dans tous les siècles jusqu'à la fin du monde.

Nous sommes appelés à discerner les esprits, car si l'Esprit ne nous guide pas conformément à l'enseignement du Christ et de sa Parole, d'autres esprits nous conduiront : l'esprit du monde ou des esprits encore plus sombres.

3. Si l'Esprit est vraiment à l'oeuvre, comment s'explique la diversité déroutante des interprétations bibliques? Elle tient au nombre déconcertant de paramètres à faire entrer en jeu : le moment historique qui conditionne notre compréhension, notre héritage théologique ou ecclésiastique, notre milieu de vie, le niveau de notre intelligence, les choix que nous avons déjà faits dans la vie, l'esthétique, nos sentiments, notre volonté, l'opinion de ceux que nous respectons, ce qui est crédible dans notre contexte, notre respectabilité, notre choix politique etc.,

Pourtant, malgré tant de difficultés, l'Esprit Saint arrive à mettre en évidence le message de la Bible et il n'est pas vraiment étonnant que les chrétiens, depuis des siècles, se soient mis d'accord sur le message central du salut et aient réussi à formuler des Symboles, des Confessions et des Catéchismes! Ainsi, l'Eglise a continué à confesser la vérité dans la diversité complémentaire de confessions particulières.

4. Dans l'Eglise comme en dehors d'elle, on trouve deux types d'interprétation de la Bible : celles qui sont autorisées par l'Ecriture et celles qui ne le sont pas.

Les premières sont concordantes entre elles, dans le cadre de la communion universelle des saints en dépit des différences de moments historiques, de culture, d'intelligence, de sentiments, etc.

Les secondes sont en contradiction avec le sens clair du message central de la Bible. La discordance d'interprétation peut se situer à un niveau d'interprétation soit simple, soit sophistiqué.

 

Conclusion

La multiplicité des interprétations est souvent perçue, aujourd'hui, comme démobilisante vis-à-vis de la Bible. Pourtant, soyons et demeurons assurés que le texte biblique est clair dans son message fondamental, celui du salut en Christ. Il en est ainsi même si la compréhension de certaines de ses parties nous paraît, ou est, difficile.

Il faut savoir résister à la mode actuelle qui, sous prétexte de prendre en compte diverses données culturelles - l'intention de l'auteur, sa mentalité, sa culture, la société de son époque etc. -, évacue finalement ce que la Bible dit, à l'évidence, simplement et clairement. Cette pratique mine l'autorité de la Bible et constitue, en fait, un nouveau cléricalisme, puisque les "fidèles" ne peuvent plus lire et comprendre la Bible tout seuls. Or, il est certain que Dieu a veillé à ce que sa révélation écrite, bien traduite, soit directement accessible dans la plupart de ses parties.

Le Saint-Esprit éclaire les paroles de la Bible pour ceux qui la reconnaissent pour ce qu'elle est et ce qu'elle dit être : la parole du salut suffisamment limpide sans l'aide de savants, surtout si ceux-ci portent atteinte, d'une manière ou d'une autre, au message central et clair de la Bible.

Telle est la souveraineté de l'Esprit.

 

Annexe :

 

Un exemple : L'apôtre Paul, égalité ou patriarcat?

Dans les épîtres de Paul, il existe deux sortes d'affirmation conçernant les rapports homme/femme, à savoir la position partriarcale (la soumission, le silence, etc) et l'égalité ("ni homme, ni femme en Christ). Comment comprendre cette apparente incohérence de la part de l'apôtre?

Si l'on considère que l'Ecriture est faillible, qu'elle n'est qu'un simple témoignage humain, on a vite fait de couper le noeud gordien en constatant que Paul se contredit. A chacun de choisir ce qui lui agrée dans son enseignement.(3)

D'autres, pour qui l'autorité de l'Ecriture se définit autrement, pensent pouvoir utiliser des considérations relevant de la contextualisation pour résoudre le problème posé par ces deux affirmations. Ils procèdent de la façon suivante :

 

1. Ils constatent, tout d'abord, que les affirmations de Paul ne sont pas des ordres "nus", des vérités spirituelles éternelles : leur sens dépend du domaine dans lequel elles s'appliquent ;

 

2. Ensuite, ils considérent la logique qui sous-tend ces affirmations. Celles-ci n'ont pas toutes la même importance : certaines sont primordiales et d'autres secondaires. En ce qui concerne les rapports homme/femme, ils remarquent :

i) que Paul considère l'égalité comme centrale ;

ii) qu'il indique que l'égalité totale existera dans le royaume à venir. L'Eglise est le lieu où cette réalité eschatologique est manifeste maintenant (le "pas encore" et le "déjà") ;

iii) que dans le contexte de l'Eglise chrétienne, la rédemption a plus de "poids" que la création ;

iv) que Paul ne critique pas la structure de la société de son temps (le patriarcat ou l'esclavage) ;

v) qu'en raison du contexte culturel dans lequel il vit, l'apôtre ne voit pas la nécessité d'harmoniser ce qui lui paraît secondaire avec son principe fondamental : l'égalité ;

vi) qu'aujourd'hui, étant donné les modifications intervenues dans la conception de l'autorité aussi bien dans la société que dans l'Eglise, il est possible d'appliquer le principe d'égalité sans trahir Paul ;

vii) que Paul était un homme de son temps comme nous sommes du nôtre.

 

3 Enfin, ayant discerné ce qui est permanent - le principe eschatologique du royaume - et ce qui est relatif, on peut laisser de côté ce dernier sans porter atteinte à l'autorité de l'Ecriture, sans être infidèle au sola Scriptura , car le principe de l'analogie de l'Ecriture est respecté.(4)

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Que faut-il penser de ce type de démarche? S'agit-il d'une forme vraie ou d'une forme fausse de contextalisation? L'autorité de l'Ecriture est-elle vraiment maintenue?

Voilà les quatre raisons pour lesquelles ce type de démarche correspond à une contextualisation illégitime, qui porte atteint à l'autorité réelle de l'Ecriture.

 

1 L'Ecriture n'interprète pas vraiment l'Ecriture

Apparemment, on peut avoir l'illusion du contraire, puisque le relatif est interprété à la lumière de l'absolu.

Mais, en fait, l'Ecriture est interprétée contre l'Ecriture pour écarter les affirmations évidentes de certains textes.

Ce genre de démarche a été et est pratiqué, par les libéralismes de toutes sortes. Par exemple, vis-à-vis des deux natures de Christ : comme il est évident que Jésus est un homme, les passages bibliques concernant sa divinité relèvent de la mythologie de son époque.

 

2 L'apparente inconséquence de Paul ne peut qu'être attribuée à une insuffisance dans la révélation divine Evoquons tout d'abord, avant de les écarter, deux hypothèses possibles :

i) ou bien Paul n'était pas conscient d'avoir à appliquer son principe central (l'égalité homme/femme) au système patriarcal et il n'a pas jugé obligatoire de le modifier.

ii) ou bien il en était conscient, mais il n'a pas voulu perturber les habitudes sociales de ses contemporains par une innovation de taille.

Cette deuxième hypothèse est peu vraisemblable et ne correspond pas à la psychologie paulinienne que ses écrits font ressortir.

Paul était-il donc inconscient ( première hypothèse)? Cete hypothèse ne s'oppose pas, nécessairement au principe biblique de la Réforme, l'analogie de l'Ecriture, selon lequel l'ensemble de l'enseignement biblique est la matrice de l'interprétation de ses parties. Les prophètes bibliques n'ont souvent compris qu'une partie du sens de leurs prophéties au moment où Dieu les leur confiait.

En fait, l'apparente inconséquence de l'apôtre, les deux perspectives non-complémentaires restées dans ses paroles, ont une seule explication : l'insuffisance de ce que Dieu a révélé par Paul. Autrement dit, et cela ne nous paraît pas acceptable :

a) Dieu ne nous aurait pas fait connaître de façon non-abiguë ce qui est central (le principe d'égalité eschatologique) dans le message biblique;

b) l'Ecriture ne serait pas la seule norme de la foi, puisque les traditions et l'apport de notre culture du 2Oe siècle seraient nécessaires pour discerner ce qui est le vrai principe ;

c) la sagesse de Dieu, qui a laissé son Eglise errer pendant deux mille ans, serait prise en défaut.

 

3 La clarté de la révélation biblique est compromise par cet argument

Cette interprétation du problème patriarcat/égalité suppose également que l'Ecriture n'est pas limpide dans son enseignement. Pour la rendre claire, il convient de mettre en évidence ce qui est fondamental, en négligeant des affirmations que Dieu a jugé bon de nous faire connaître, c'est-à-dire des affirmations qui ne doivent rien à l'interprétation humaine. Autrement dit, le lecteur du 20e siècle pourrait s'arroger le droit d'expliciter ce que Paul a voulu dire, mais qu'il n'a pas dit.

Pour en arriver là, des spécialistes sont, on le comprend bien, nécessaires. Se diriger dans le labyrinthe des intentions de Paul et dans celui de cultures différentes est loin d'être aisé. Ne s'agirait-il pas là d'un nouveau cléricalisme?

 

4 Une contextualisation illégitime

Ce type d'interprétation prend appui sur le "contexte" culturel pour s'écarter de l'enseignement avancé par l'Ecriture. Est-ce légitime?

Formellement, oui, car bien des éléments de la vie quotidienne diffèrant d'une époque ou d'une culture à l'autre, nous concrétisons les principes bibliques dans une mutitude de circonstances.

Mais, fondamentalement, la réponse est non, car aucune application de l'enseignement de l'Ecriture ne peut s'effectuer contre cet enseignement. L'Ecriture elle-même ne le permet pas. En effet,

i) les contextes différents, passés ou présents, peuvent éclairer le sens apparent de l'Ecriture en vertu du principe de complémentarité et non d'opposition ;

ii) la contextualisation du message de l'Ecriture ne peut pas être légitime si elle consiste à prélever un des éléments de ce message pour écarter les autres. Ceci suppose un tri dans l'Ecriture selon l'"analogie du présent " ;

iii) aucune théorie construite par l'homme ne peut s'arroger l'autorité du message biblique et fonder une pratique sociale, familiale ou ministérielle.

 

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Conclusion

En bref, les chrétiens qui se préoccupent de telles contextualisations - illégitimes, pensons-nous, s'ils ont bien le souci de ne porter aucunement atteinte à l'autorité de l'Ecriture, considèrent cependant que, dans la révélation biblique, il y a le permanent et le temporaire. Or, dans ce cas, il n'est pas légitime :

i) d'établir une hiérarchie entre des textes contradictoires : c'est arbitraire, car l'Ecriture et l'apôtre ne font pas cette distinction ;

ii) d'affirmer que l'"égalité" (homme/femme) est le principe eschatologique permanent, puisque l'Ecriture utilise le rapport homme/femme de façon "inégalitaire" en parallèle avec celui de

Christ et de l'Eglise (Ep 5) : ce dernier rapport est permanent, au moins jusqu'à la fin du temps ;

iii) de mettre en opposition les notions de permanent et de temporaire, alors que, dans l'Ecriture, des vérité éternelles s'expriment de façon temporelle, prennent chair sans antinomie.

Pour maintenir vraiment l'autorité de la Bible et les principes d'herméneutique biblique de la Réforme, il convient de trouver une autre manière d'interpréter ces données, qui leur donne tout leur sens sans rejeter l'une au profit de l'autre. Il faut rechercher et trouver comment des affirmations de l'Ecriture, apparemment contradictoires, sont fondamentalement, selon l'analogie de l'Ecriture, complémentaires.

La question n'est donc pas de savoir si l'Ecriture fonctionne comme une référence dans l'interprétation, mais de savoir comment elle fonctionne.

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1 R. Lundin, The culture of interpretation (Grand Rapids : Eerdmans, 1993), 39s.

2 H. Frei, The eclipse of biblical narrative (New Haven : Yale University Press), 3, 130.

3 Voir C. Marquet, Femme et homme il les créa (Paris : )

4 L'article de F. de Coninck dans Hokhma , no.44 (1990) en est une illustration.