L'offre générale de la rédemption particulière

L'EVANGILE ET NOTRE AUJOURD'HUI

Professeur Paul WELLS

  

Eléments de bibliographie

Introduction générale

I. L'offre universelle de la rédemption particulière dans le contexte de l'alliance
1. Introduction
2. La doctrine de la rédemption particulière
3. La doctrine concerne la nature de l'alliance
4. La rédemption particulière et l'offre de l'Evangile
II. Christ présenté aux hommes dans l'Evangile
1. Le fondement de l'offre de l'Evangile
2. La nature de l'offre générale
3. L'intention de l'offre de l'Evangile
4. Les effets de l'offre générale de l'Evangile
III. Les hommes qui viennent à Christ par l'Evangile
1. L'incapacité de l'homme
2. Le commandement de venir à Christ
3. La promesse à ceux qui viennent
4. Jésus-Christ, mort pour moi aussi
Conclusion

 

Eléments de bibliographie

H. Blocher, 'Le champ de la rédemption dans la théologie moderne', Hokhma no 43, 25-48

J. Bunyan, Come and welcome to Jesus Christ. A discourse on John 6:37

W. Cunningham, Historical Theology, II (Edinburgh: Banner of Truth Trust, 1960:1862), 323-369

W. Cunningham, The Reformers and the Theology of the Reformation (Edinburgh: Banner of Truth Trust,1967:1862), 413-470

R.L. Dabney, Lectures in Systematic Theology (Grand Rapids : Zondervan, 1972 :1878), 513ss

R.L. Dabney, 'God's indiscriminate proposals of mercy, as related to his power, wisdom and sincerity' in Discussions Evangelical and Theological (Edinburgh: Banner of Truth Trust, 1967 : 1890), 282-314

P. Helm, Calvin and the Calvinists (Edinburgh: Banner of Truth Trust, 1982)

P. Helm, 'The logic of limited atonement' in Scottish bulletin of evangelical theology (1985:3/2), 47-54

A.A. Hodge, The Atonement (Cherry Hill, NJ : Mack, sd) 'The design or intended application of the atonement', 199-247

M. Johner, 'L'universalité et la particularité du salut chrétien' La Revue Réformée (1988/4)

A.C. de Jong, The well-meant gospel offer. The views of H. Hoeksema and K. Schilder (Franeker : Wever, 1954)

I. Murray, The Forgotten Spurgeon (Edinburgh: Banner of Truth Trust, 1978), 69-116

J. Murray, 'The free offer of the gospel' in Collected Writings, IV (Edinburgh : Banner of Truth Trust, 1982),113-132

R. Nicole, 'John Calvin's view of the extent of the atonement' in Westminster Theological Journal (1985/2), 197-225

J. Owen, Works , X, (Edinburgh: Banner of Truth Trust, 1960 : 1850-1853)

J.I Packer, Among God's Giants (Eastbourne : Kingsway, 1991), ch. 8: 'Saved by his precious blood. An introduction to J. Owen'sThe death of death in the death of Christ.'

P. Toon, Hyper Calvinism in English Nonconformity (London : The Olive Tree, 1967)

F. Turretin, The atonement of Christ (Grand Rapids : Baker,1978 : 1859), 114ss

B.B. Warfield, 'God's immeasurable love' Biblical and Theological Studies (Philadelphia : P&R, 1952), 505-522

P. Wells, Entre ciel et terre , (Lausanne : Ed. Contrastes, 1991), Appendice II

H. Witsius, The Economy of the Covenants between God and Man, I (Escondido, CA. distr. P&R, 1990 : 1822), 255-270

 

Introduction générale

Chaque époque trouve matière à contestation dans l'Evangile de Jésus, mort et ressuscité. Déjà, à l'époque des apôtres, ce message était scandale et folie pour ses auditeurs, juifs ou grecs. Plus près de nous, la notion de miracle a été l'objet de grands débats, voir Hume ; au siècle dernier, celle de création était la cible du darwinisme ; dans notre siècle, qui n'a pas d'"âme", la morale chrétienne est largement fustigée depuis 1945. Après "le paradis de la pilule" de John Updike, nous sommes entrés dans la purgatoire du préservatif.

Aujourd'hui, "ça déménage" dans tous les domaines. Il y a quelque vingt ans, la foi chrétienne était l'objet d'un black-out, parce que jugée incongrue, dans les discussions intellectuelles sur les problèmes de société ; les Beatles était alors plus célèbres que Jésus-Christ ! Dans les années '9O, un revirement semble se produire.

 

Le nouvel échiquier

La poussée de l'islam, la montée des intégrismes de toutes sortes, le New Age à la Shirley Maclaine, la persistance du christianisme à l'Est à l'époque de l'effondrement du totalitarisme, même s'il serait exagéré de parler de "la revanche de Dieu", sont autant de faits symptomatiques d'un dépoussiérage du religieux. Pourtant, ce tournant ne semble pas vraiment profiter à la foi chrétienne traditionnelle. Le retour du religieux n'est un retour ni à l'Eglise, ni au dogme.

Il y a quelque temps, j'ai eu l'occasion de discuter avec un radical de gauche déçu, dont j'ai retenu les paroles : "Ce qu'il nous faut, disait-il, c'est un renouveau spirituel de l'humanité, mais ceci ne peut pas être un retour au christianisme." Cette opinion est devenue courante chez de nombreuses personnes qui sont en recherche. Le christianisme leur semble une voie sans issue pour des raisons souvent confuses, dont certaines sont des "tartes à la crème", d'autres plus justifiées. Le christianisme est la religion des conquisitadors et des inquisiteurs, et par trop associé à la débâcle colonialiste et à la misère du tiers-monde. Il est la religion de l'anti-plaisir, de l'anti-féminisme, des dégâts écologiques, du dogme imposé et non de l'épanouissement personnel, des guerres de religion et non du développement pacifique... en bref, du passé et non de l'avenir.

Ces opinions, si elles ont perdu un peu de leur virulence d'antan, flottent toujours dans l'air de notre temps.

 

Inacceptable et intolérable

Pourtant, l'Evangile demeure la bête noire de nos contemporains, essentiellement à cause de son exlusivisme . Oser affirmer qu'un seul chemin mène à un seul vrai Dieu, en passant par un homme, vivant dans un lointain historique, et par une croix, celle sur laquelle il a été crucifié, relève de l'inacceptable. C'est dénier aux autres religions tout accès à Dieu et aux hommes de bonne volonté la possibilité d'être reconnus, si du moins Dieu existe. Pour la plupart des personnes autour de nous, toute religion a sa part de vérité et d'erreur, et nulle n'ignore que bien des non-croyants, font plus pour les malheureux que les croyants. L'important pour elles, est que chacun trouve sa voie et l'harmonie intérieure ; peu importe les moyens, dès lors que la vie ici-bas est meilleure et que demeure l'espérance qu'il en sera de même après le passage dans "le grand bleu". "Si le christianisme est ton truc, tant mieux pour toi, mais laisse aux autres leurs découvertes !"

Une foi qui prétend être la seule véritable ne peut être qu'impérialiste et, par conséquent, favorable aux exclusions sur la terre et dans le ciel : elle est fondamentalement intolérante. Son Dieu n'est pas universel mais sectaire.

 

Le rouleau compresseur-banaliseur

Nombreux sont aussi les chrétiens qui buttent sur cette difficulté. Et bien trop souvent, ils renoncent à l'idée que le christianisme est une religion unique permettant de connaître le "seul vrai Dieu" en Jésus-Christ. Ils admettent implicitement que toutes les religions ont le même Dieu, que "nous irons tous au paradis" car le parapluie de son amour nous couvrira tous. Ils estiment qu'en conséquence l'évangélisation est une entreprise douteuse. Cette conception est loin d'être l'exception dans le protestantisme contemporain.

A la manière d'un rouleau compresseur, notre société aplatit et banalise tout jusque dans le domaine des croyances et des comportements sociaux où le bien et le mal sont des notions au sens incertain. Le possible, l'agréable et les choix personnels sont cool . Les attitudes les plus bizarres passent mieux qu'une lettre à la poste. Tout est en mouvement permanent ; ce qui est admis aujourd'hui ne le sera pas nécessairement demain. La laïcité adoptée par d'anciens pays catholiques s'accommode sans hostilité de manifestations à caractère religieux liées à la qualité de citoyens. La tolérance oblige à considérer les "valeurs" des autres comme égales aux nôtres. Nous sommes des individualistes primaires : le monde, c'est "Moi". Ainsi parle Lipovetsky : honni soit qui mal y pense !

Cette mentalité est présente dans l'Eglise et chez les chrétiens.

L'universalisme dans le domaine du salut n'a-t-il pas pour corrélat inévitable le relativisme dans celui de l'éthique ? Résultat : un christianisme-filtre au goût de consensus mou. Attention ! Ce christianisme-là met en danger la santé spirituelle... et le témoignage, si celui-ci préoccupe encore...

 

I. L'offre universelle de la rédemption particulière dans le contexte de l'alliance

 

1. Introduction

La question de la rédemption particulière, selon Robert Dabney, est une des plus délicates dans toute la théologie calviniste. Il n'en est pas ainsi à cause de ses problèmes inhérents, mais à cause des controverses. C'est par rapport à ce point des Canons de Dordrecht que se concentrent les attaques des défenseurs de la "rédemption universelle".

Un problème est que le langage est imprécis. Packer, comme Dabney, critique l'expression "limited atonement". La rédemption n'est pas limitée ; Dieu accomplit exactement ce qu'il veut dans le salut des hommes, sans limitations. D'ailleurs, même du côté de la "rédemption universelle", sauf si on veut affirmer l'universalisme du salut pur et simple, cette rédemption est limitée, non par le dessein de Dieu, mais par la volonté humaine. Pour le calviniste, Dieu sauve des pécheurs. Chaque mot de cette affirmation reçoit tout son poids.

En posant la question de la portée de la rédemption, nous sommes au coeur de l'Evangile, non seulement dans le sens théologique, mais aussi dans le sens pratique. La grâce de Dieu sera-t-il mis en échec ? Christ est-il mort en vain ? Un faux pas dans ce domaine arrive à changer tout le sens de l'Evangile. La rédemption particulière est le message de toute l'Ecriture ; le modifier conduit à une métamorphose de toute la doctrine biblique. Changer le sens de l'adjectif "particulier" ou "limitée" et le sens du nom "rédemption" se trouve aussi changé. Et quand on modifie le sens de la rédemption acquise à la croix, le sens de l'élection, du péché, de la grâce et de la persévérance sont tous changés ! Nous avons une religion différente ! (Packer)

 

2. La doctrine de la rédemption particulière

Christ s'est-il livré pour une épouse qu'il ne connaît pas, se mariera-t-il avec quiconque le prendra  ? La question de Spurgeon situe bien le sujet. La volonté de Christ est-elle de sauver les siens ou de rendre un salut hypothétique disponible à quiconque le veut ?

La question de la rédemption particulière ne concerne pas :

- la suffisance du sacrifice de Christ. Il l'est pour toute créature et même pour ceux qui auraient pu être créés ;

- l'adaptabilité à tous. Dieu aurait pu, par le sacrifice de Christ sauver chaque être vivant ;

- sa relation à tous. Dans un sens objectif, le sacrifice de Christ concerne tout homme, au même titre ;

- l'offre universelle. Le salut est porté à la connaissance du non-élu qui entend l'Evangile, autant que pour l'élu. (A.A. Hodge)

Cette doctrine concerne uniquement la question de savoir pour qui le Père a livré son Fils à la mort et pour qui le Christ s'est donné afin de les délivrer. En général, les réformés ont souscrit à l'expression d'Augustin par rapport à la rédemption : "suffisant pour tous, efficace pour les élus". Ceci indique que, dans la nature du cas, la dignité et la valeur de la croix est suffisante pour tous les hommes, mais que dans la volonté divine, cette oeuvre s'applique concrètement au peuple de Dieu. La suffisance de l'oeuvre n'est donc pas indicatif d'une volonté de sauver tous.

Si donc la rédemption est particulière, c'est à cause de l'intention de Dieu en établissant Christ comme garant et satisfaction pour le péché des hommes. Cette intention s'explique par les considérations suivantes :

- la rédemption est une conséquence de l'élection et non l'inverse

- l'amour de Dieu est spécifique et profond et non général

- la mort de Christ est une transaction alliancielle et non un acte imprécis

- le sacrifice de Christ est méritoire pour son peuple et non pas pour tous de façon indéfinie

- les fruits de la mort de Christ comprennent la foi et le repentir de ceux qui croiront en lui et non une simple possibilité de croire.

La rédemption particulière affirme donc que dans l'intention de Dieu et de Christ, Jésus est mort pour son peuple et uniquement pour lui ; que chaque individu faisant partie de ce peuple sera inévitablement sauvé ; et que personne d'autre ne recevra les bienfaits de la grâce spéciale.

 

3. La doctrine concerne la nature de l'alliance

C'est dans le contexte de l'alliance divine que nous pouvons comprendre l'origine, la nature et les consquences de la mort de Christ. L'absence de cette perspective est à l'origine de l'arminienisme qui oppose Dieu et l'homme en se concentrant sur la question de la capacité de la volonté humaine. Du côté réformé, également, quand on n'a pas bien articulé la doctrine de l'alliance on n'a pas bien situé le rapport entre la rédemption particulière et l'offre universelle du salut en Christ. Le résultat a été l'universalisme hypothétique d'Amyraut d'un côté et l'hyper-calvinisme de l'autre.

La pensée réformée a distingué, et la distinction est profondémment biblique, l'alliance de rédemption, une alliance éternelle entre le Père et le Fils pour sauver un peuple par la croix, et l'alliance de grâce qui est le moyen historique pour réaliser cette alliance. Turretin dit que les conditions de la médiation de Christ sont double. Christ est donné pour les hommes comme rédempteur ; et des hommes sont donnés au Christ. Ces deux actes doivent concerner les mêmes personnes sauvées. Autrement, Dieu serait mis en échec.

Pour accomplir cette alliance de rédemption Jésus s'engage à entreprendre deux activités :

- sa mort par laquelle il s'est donné comme garant et satisfaction des péchés des hommes (une transaction légale)

- et sa résurrection par laquelle il est le chef de la nouvelle humanité, de l'Eglise, et à qui des hommes sont donnés en récompense.

Selon Turretin, la raison, la portée et l'efficacité de ces deux actes de Christ sont les mêmes. Dans le premier acte, Christ est donné pour les hommes ; dans le deuxième, il leur applique sont salut.

Cette logique est-elle biblique ? Ce n'est pas avec les écrits de l'apôtre Jean et, en particulier, le chapitre 17, que l'on va prouver le contraire ! Tout ceci est vrai de l'alliance de la rédemption.

Mais cette alliance de rédemption va se réaliser historiquement. L'alliance de grâce est le moyen de réaliser l'alliance de la rédemption. Du point de vue de Dieu, la grâce de Christ va être appliquée aux élus. Mais du point de vue de l'homme, ces élus font partie d'une masse de pécheurs de laquelle ils doivent être appelés. Vont-ils venir pour être sauvés ? Oui, mais ils doivent, avec les autres, entendre le même message qu'eux pour recevoir la rédemption qui est accomplie pour eux en Christ. Ils doivent être appelés, recevoir Christ pour leur salut et se confier à lui. Pour accomplir ceci, Dieu a choisi l'annonce universelle de la bonne nouvelle en Christ.

 

4. La rédemption particulière et l'offre de l'Evangile

L'arminien aura deux réactions au moins par rapport à cet argument. D'abord, il dira que la rédemption particulière décourage toute annonce de l'Evangile. Nous y reviendrons dans un instant. Il dira aussi qu'il s'agit ici d'une perversion du langage biblique.

La Bible, en effet, ne dit-elle pas que Dieu aime le monde, que Christ s'est donné pour tous, qu'il est mort pour le salut de tous, etc ? Le calviniste serait donc coupable d'une réstriction non-biblique. Cette proposition, attirant par sa simplicité, est erronée. Voici pourquoi (Cunningham). La Bible dit aussi, dans exactement les mêmes termes, que Dieu aime l'Eglise, que Christ s'est donné pour beaucoup et qu'il est mort pour ses brebis. L'arminien est obligé à dire, de son point de vue, qu'il s'agit de deux sortes d'amour, différents en degré. Pourtant l'Ecriture affirme la même chose dans les deux cas. Nous ne pouvons que conclure qu'il s'agit du même amour et des mêmes bénéficiaires.

Il est donc juste d'interpréter le sens des expression générales, des "tous" de l'Ecriture, à la lumière de l'expression restrictive et non l'inverse. Il est même impossible, comme le remarquent Cunningham et A.A. Hodge, d'expliquer en quoi consiste l'amour spécifique de Dieu pour les siens, si nous affirmons, au départ, que cette amour est général. Dieu n'aurait pas plus d'amour, s'il en était ainsi, pour un des brebis de Christ, que pour le plus grand loup qui ravage la bergerie ! Ce qui est ridicule.

Mais est-ce que la rédemption particulière décourage toute annonce de l'Evangile ? Nous argumenterons le contraire dans ce qui suit. Sans la rédemption particulière, il n'y aurait aucune vraie annonce de l'Evangile possible.

Dabney a dit qu'il s'agit ici du même type de problème que celui de la souveraineté de Dieu et de la liberté humaine. Si Dieu n'avait pas donné la liberté à l'homme, il n'y aurait pas de liberté pour lui, ni de responsabilité réelle. De même, si le Christ n'avait pas sauvé les siens, il n'y aurait pas eu un offre de l'Evangile sous la forme que nous le trouvons dans l'Ecriture. Je pense que c'est vrai, mais ces considérations sont assez théoriques. Essayons d'être plus concrêts... Pourquoi la rédemption particulière nécessite-t-elle une offre générale ?

"Je ne pourrais pas prêcher comme un arminien" a dit Spurgeon ! Il y a trois raisons pour lesquelles la rédemption universelle des arminiens, malgré les apparences, ne permet pas une annonce authentique de l'Evangile :

- Christ est mort pour sauver les perdus mais, en fait, personne n'est sauvé par la croix. Tout reste à faire... "Je préfère, croire à une rédemption qui est efficace pour tous pour qui elle est destinée, qu'à une rédemption universelle qui n'est efficace pour personne, sauf si la volonté de l'homme la rend telle." (Spurgeon)

- Si Christ n'est pas mort pour certains de façon précise, l'homme est l'architecte de son salut. C'est lui qui se sauve... par sa réponse. Mais qui va répondre ? Personne peut-être... Qui le peut ? "Quelqu'un insistera que Christ est mort pour tous. Mais pourquoi tous ne sont-ils pas sauvés ? Parce que tous ne veulent pas croire. C'est à dire que la foi est nécessaire afin que le sang de Christ soit efficace pour la rédemption. Nous tenons cela pour un gros mensonge." (id)

- Dieu veut le salut des hommes, mais son désir est impuissant. Il attend la réponse de l'homme. "Si l'intention de Christ était de sauver tous les créatures, ô combien il a dû être profondémment déçu !" (id)

Donné ces conditions, tout prédicateur doit prendre sa retraite... ou rechercher des moyens super-puissants pour faire passer son message. Ces moyens... nous les connaissons, n'est-ce pas ?... Les conditions de la prédication réformée sont tout autre. A cause de la rédemption particulière des hommes et des femmes ont été sauvés à la croix. L'offre générale n'implique pas logiquement que la rédemption est universelle. En tout cas, parler de la rédemption universelle et de l'offre universelle est une exaggération. Comment prétendre que la rédemption de la croix a pu être offerte à ceux qui sont morts avant son incarnation en dehors du peuple de Dieu ou ceux qui n'ont jamais entendu, dans des tribus lointains, la prédication de l'Evangile ?

L'offre est générale, à tous ceux qui l'entendent, parce que Christ est le médiateur entre Dieu et les hommes en général (1 Tm 2:5). Cet office est publique, comme est la croix. L'offre est donc générale parce que Dieu est le Créateur de tous les hommes et Christ est le médiateur désigné. L'homme est "responsabilisé" par l'offre de l'Evangile, car en elle il entend qu'il ne peut pas prétendre au salut par sa force, et ce qu'il doit faire pour être sauvé. Par l'offre de l'Evangile Dieu appelle de façon efficace et sauve ceux pour qui Christ est mort.

Ainsi, dans l'offre générale de l'Evangile Dieu se situe en position de souverain vis-à-vis de sa créature. Elle met tout homme dans la position normale, vis-à-vis de Dieu en lui indiquant que son devoir est de se confier à Dieu par la foi.

Si Spurgeon ne pouvait pas prêcher comme un arminien c'est pour cette raison : parce que, pour lui, l'homme est demandeur et non pas Dieu. L'arminienisme se trompe en assumant que la situation du pécheur est naturelle et en argumentant sa responsabilité à partir de sa capacité. Ainsi l'homme s'élève à la foi. Le calvinisme met tout homme qui entend devant sa responsabilité de croire et le fait dépendre de Dieu pour recevoir la foi comme don.

Nous allons maintenant considérer les deux aspects de la médiation de Christ comme ils s'expriment dans l'Evangile : la présentation de Christ aux hommes et l'appel des hommes à Christ.

 

II . Christ présenté aux hommes dans l'Evangile

Quatre aspects de cette question se présentent à nous : le fondement de l'offre générale de la rédemption en Christ, sa nature, sa manière et ses conséquences.

 

1. Le fondement de l'offre de l'Evangile

Dans l'offre de l'Evangile Dieu ne met pas sa sitution de souverain entre parenthèses. Il demande que toutes ses créatures vivent par la foi. Pour cette raison, c'est normal que l'appel de l'Evangile procède et tire son efficacité de Dieu le Père lui-même. Paul dit que "c'est par Dieu que vous êtes en Christ-Jésus" et que c'est le Père qui "nous a délivré du pouvoir des ténèbres et nous a transportés dans le royaume de son Fils bien-aimé (1 Cor 1:30; Col 1:13).

Pourquoi cette action du Père ? Parce que c'est lui qui propulse à Jésus-Christ les hommes qu'il lui a donnés en récompense. Jésus lui-même le dit en Jean : "tout ce que le Père me donne viendra à moi... nul ne peut venir à moi si le Père qui m'a envoyé ne l'attire"(6:37,44). Cet acte du Père exprime ses attributs : sa souveraineté, sa liberté, sa grâce et son amour. L'Evangile, l'instrument par lequel les enfants de Dieu viennent à Christ ne peut être que l'expression de Dieu de les sauver dans son amour. John Murray affirme que l'amour est à la source de tous les dons de Dieu aux impies. Derrière l'offre générale se trouve l'amour de Dieu, qui n'est pas un sentiment vague envers le pécheur mais une disposition favorable et réelle qui s'exprime dans le fait même que Dieu lui indique le chemin du salut. "Est-ce que je désire la mort du méchant ?... N'est-ce pas qu'il se détourne de sa voie et qu'il vive"(Ez 18:23,32).

L'offre de l'Evangile n'a pas pour but la révélation de l'amour de Dieu aux hommes. Elle en est le moyen . Son but est le déploiement des attributs de Dieu : la gloire de Dieu lui-même qui est amour. La gloire de Dieu et la réalité de son amour envers ses créatures, exprimées dans l'offre générale, doivent aussi déterminer l'esprit dans lequel l'Evangile est prêché. Ne sommes-nous pas trop souvent coupables d'un amour froid (J. Duncan) envers Dieu et notre désir de voire des personnes venir à Jésus-Christ n'est-elle pas amoindri pour cette raison ?

 

2. La nature de l'offre générale

Si Christ est mort pour les siens seulement, comment présenter Christ dans l'Evangile ?

Nous savons comment l'arminien le fait ; Packer parle de "l'Evangile moderne". Voici sa structure : "Dieu vous aime et un plan merveilleux pour votre vie ; Christ est mort pour tous les hommes ; il veut être votre sauveur ; acceptez-le".

L'arminien pense que le calviniste n'a pas d'Evangile pour tous les hommes si Christ n'est mort que pour les siens, alors que le calviniste sait que dans le système arminien la rédemption est limitée. La mort de Christ n'est suffisant pour personne, sa volonté de sauver est impuissante et il dépend de la bonne volonté supposée du pécheur. Herman Bavinck a dit que l'arminienisme est irreligieux. Il a raison dans le sens que Dieu dépend de et a besoin de l'homme.

Où est le problème de l'arminienisme ? Pour reprendre une distinction de Dabney, il vient d'une confusion en ce qui concerne le mot "atonement" ou rédemption. Le sacrifice de Christ n'a pas la nature d'une échange en affaires ; il est impartie à tout individu sauvé comme une entité. Si tous étaient élus il n'y aurait pas de différence dans la nature du sacrifice. Dabney argumente que dans le NT l'expiation du péché par le sacrifice de Christ est impersonnelle et légale, alors que la réconciliation est personnelle. Par la vocation efficace l'expiation impersonelle nous est appliquée de façon personnelle et positive et nous sommes réconciliés avec Dieu. Dans la médiation de Christ l'expiation est un acte simple et impersonnelle, alors que la réconciliation est multiple et concerne les individus réconciliés. Cette distinction est une application pratique de la différence, souligné par A.A. Hodge, entre les alliances de grâce et de la rédemption.

Alors, quand Christ dit en Jean 6:37 que les siens viendront à lui et qu'il ne les jettera pas dehors, il déclare son intention de faire précisément ce que veut son Père. Christ poursuit sont travail avec la résolution ferme d'attirer à lui tous ceux qui appartiennent au Père. Il a la puissance pour sauver ; l'office du médiateur exercé formellement à la croix, il l'exécute dans l'application du salut et dans son intercession pour ses enfants. Tous les siens viendront à lui et, comme le dit John Bunyan, "Christ ne trouvera rien de déplaisant en eux".

Dans l'offre générale il existe deux applications de cette vérité. Nous annonçons l'expiation à tous, car le sacrifice de Christ est impersonnelle. Dans la prédication de la croix l'amour de Dieu est annoncé à tous, sans respect de leur élection ou de leur non-élection. C'est la croix que propose la prédication évangélique et c'est-là seulement que l'amour de Dieu est connu. Le prédicateur n'a pas de mandat pour s'avancer au-delà de la croix et pour dire "Dieu vous aime" ou que "la grâce de Dieu se manifeste à tous sans conditions". L'amour de Dieu ne s'exprime pas directement envers le pécheurs, mais seulement par la médiation de la croix. Les rapports entre Dieu et les pécheurs sont des rapports de jugement et de grâce qui ne sont connus qu'au Calvaire. Que savons-nous de l'amour de Dieu, de sa grâce pour le pécheur X ? Rien. Il a peut être le SIDA, il va mourir dans six mois et être damné éternellement. Est-ce que Dieu a un "plan merveilleux" pour sa vie à lui ?

En deuxième lieu, le prédicateur, comme Dieu lui-même, est sous l'obligation de sa cacher derrière la croix dans ses déclarations. Il n'est pas celui qui administre la grâce de Dieu. Il proclame le nom de Dieu "riche en miséricorde". L'annonce interpelle des personnes, mais ne leur offre pas de grâce individuelle . C'est Christ lui-même qui applique sa grâce individuellement, c'est sa tâche de mener à bien son oeuvre et non pas la nôtre.

Soyons donc plus modestes, plus dépendants de Christ, plus zélés pour la croix que l'arminien et plus désireux de voir l'oeuvre de Christ se poursuivre et des pécheurs réconciliés. Ils viendront à cause de lui et malgré nous !

 

3. L'intention de l'offre de l'Evangile

Quelle est l'intention de Dieu en offrant l'Evangile à tous, même à ceux qui ne croiront jamais ? La quasi-totalité des attaques des arminiens contre la position calviniste se focalisent ici. Si Dieu offre sa miséricorde à tous, y compris à ceux qu'il sait ne vont pas croire, comment éviter la conclusion que sa sagesse et sa puissance viennent à manquer ou que sa sincérité est compromise ?

K. Schilder a défini précisément le sens du mot "offre". Il ne s'agit pas d'une intérrogation qui suscite une réponse indifférente, comme "voulez-vous une autre tasse de café". Là, on peut décliner, sans conséquences. Mais l'offre de l'Evangile est selon les principes de l'alliance et aucun homme n'a pas le droit de répondre non. Pour comprendre la nature de l'offre de l'Evangile, il faut bien développer ce point.

Tout d'abord, l'appel général est sérieux et bien-intentionné. Dieu veut dire exactement ce qui est proposé dans l'offre. Du côté divin, l'offre de l'Evangile n'est pas conditionné. Il est absolu. Dieu affirme qu'il sauve, qu'il le fait par sa grâce, qu'il accomplit ce qu'il promet, que sa parole est certaine et qu'elle s'accomplit. Comme le dit Spurgeon, aucun homme qui a pris Dieu au sérieux n'a jamais manqué de sauveur. L'offre de l'Evangile propose un salut qui dépend de Dieu et non pas de l'homme et il s'accomplit là où l'homme reconnaît le Seigneur. Dieu s'engage à créer un coeur nouveau, à donner la foi et à régénérer tous ceux qui regardent vers lui pour leur salut.

Du côté de l'homme, comme le dit John Bunyan, la promesse de Dieu est conditionnée. Elle appelle à l'obéissance à l'Evangile, à repentir, à recevoir le message et à se convertir. La conversion humaine est l'expression de la régénération donnée par Dieu de façon absolue. Dans la réponsé humaine à l'alliance entre en ligne de compte les "si" et les "et". "Si tu".... "viens et vois..." etc. Ainsi l'offre général qui repose sur le fait que Dieu est absolûment capable de sauver comprend une exhortation qui est lancée à l'homme pour qu'il reçoive l'Evangile dans les conditions indiquées. Dieu est parfaitement sérieux et capable dans son offre. L'homme, comme créature, est appelé a recevoir cette parole dans l'obéissance et la foi. L'offre générale est universelle dans un sens : elle s'accomplit efficacement en tous ceux qui se soumettent à ses conditions. Christ n'a jamais mis dehors une personne qui est venu à lui en réponse à l'Evangile.

L'arminien dira que Dieu se moque du pécheur, parce qu'il ne peut pas venir, selon le schéma calviniste. Et c'est vrai qu'il ne le peut pas. Mais son devoir est-il limité par sa capacité ? Certes, non. L'homme ne vient pas parce qu'il ne veut pas. Il est responsable de son non-vouloir, c'est sa condition qui n'est pas normale vis-à-vis de Dieu et qui n'est pas justifiée. Le fait que Dieu invite en tout sérieux, mais que l'homme ne veut pas venir indique toute la gravité de sa situation, toute l'anormalité du péché qui refuse de reconnaître la grandeur de l'amour de Dieu exprimée dans l'Evangile. Ainsi, Packer dit que la compassion de Dieu envers les pécheurs leur invite d'avoir compassion d'eux-mêmes.

Dieu n'est pas sincère dans un tel offre, dira l'arminien. S'il désirait vraiment le salut des pécheurs, il l'accomplirait en tous ceux qui entendent. Mais puisqu'il ne le fait pas, sa compassion ne peut être que nominale. Ainsi, en ce qui concerne Matthieu 23:37 : "Jérusalem, Jérusalem... combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes et vous ne l'avez pas voulu !", l'arminien dit que la compassion de Dieu est réelle, mais frustrée par la résistance de l'homme. Quelquefois les calvinistes n'ont pas bien réagi face à ce problème. Calvin et Turretin n'ont-ils pas affirmé que dans ce texte la compassion de Christ, liée à son humanité et sa souffrance, le met en dehors de la situation de sauver les juifs, qui n'est pas le plan de Dieu. Avec d'autres, j'hésite devant cette explication.

Dabney me semble proposer une explication qui serre de plus près le sens des textes qui parlent, comme 1 Timothée 2, du désir de Dieu de sauver et de sa compassion. Dieu exprime réellement son désir du salut de tous les hommes dans l'Evangile. La compassion de Dieu pour les perdus est réelle, sincère et profonde. Dieu peut désirer ce qu'il n'a pas décrété sans se contredire. Il existe en Dieu des raisons secrètes, que nous ne connaissons pas, et qui sont cachées dans son conseil non-révélé, qui font que la compassion de Dieu ne se réalise pas concrètement. William Cunningham et John Murray adoptent cette position pour dire qu'il y a, en Dieu, une velléité de réaliser ce qu'il n'a pas décidé dans sa volonté secrète. Comme le dit Dabney : "Propensions thus self-regulated, while actually felt, are not futile ; and their direction to a subordinated end displays neither vacillation, change, nor weakness, but the most consistent wisdom."(art,306) Georges Washington a signé la condemnation à mort de l'espion André ; il a pleuré de compassion en le faisant, mais des raisons supérieurs ont motivé sa décision et devant elles sa compassion réelle a dû céder.

Dans l'offre du salut par l'Evangile de la croix s'exprime la compassion de Dieu pour le pécheur, le désir de son repentir et un offre authentique et réel de la grâce. Voici un grand paradoxe. La manifestation publique de l'expiation de la croix et de l'amour de Dieu devient l'occasion de la perdition du pécheur. Combien grande est la perversité du péché ! Qu'y a-t-il de plus horrible que ce mépris de l'amour divin ? "Dieu, en effet, n'a pas envoyé sont Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui."(Jn 3:17) "Ce verset affirme que le résultat de condemnation n'était pas le dessein primaire de la mission de Christ... qui était de manifester Dieu comme compassion envers tous dans le sacrifice de Christ." (Dabney)

Ceci indique que notre intention en prêchant l'Evangile ne peut être autre que celle de Dieu : la compassion pour les perdus, la manifestation de l'amour de Dieu à la croix et le désir de leur salut. Est-ce la la motivation de votre prédication ? Nous voyons ici, l'ennemi qui nous affronte : la perversité du péché dans tout sa rebellion contre l'amour de Dieu. Nous avons à utiliser toutes les armes à notre disposition pour démasquer cet ennemi comme le déstructeur de l'homme et révéler le jugement de ceux qui "préfèrent les tenèbres à la lumière".

 

4. Les effets de l'offre générale de l'Evangile

Cunningham affirme que l'Ecriture n'établit pas de lien logique entre la valeur infinie du sacrifice de Christ et l'offre générale de l'Evangile. La rédemption particulière qui résulte de la volonté divine actualise et personalise l'offre générale. Dieu offre le salut en Christ mais projette sa lumière dans le coeur des individus. Comme le dit Spurgeon : "God pitches on individuals". Ceux qui, à la lumière de Jean 6, sont donnés à Christ par le Père viendront à lui. C'est là aussi l'intention de Christ - de ne pas négliger le salut de ceux qu'il a reçus du Père. Sa mission est de communiquer sa grâce aux siens et de rendre efficace leur venue.

L'offre de l'Evangile qui aboutit à la vocation efficace du pécheur réalise dans son cas ce pour quoi la croix existe :

- au don de son Fils à la croix correspond le don de l'Esprit qui témoigne du Fils ;

- à la compassion manifestée publiquement dans la livraison du Fils pour les pécheurs correspond l'amour indicible de Dieu pour ses élus ;

- à la mort de Christ qui a des bénéfices générales pour toute l'humanité correspond la mort de Christ comme garant de ses enfants qui procure la vie éternelle ;

- à la mort de Christ qui procure une rémission générale du jugement divin correspond, pour les élus, la justification, la propitiation et la foi.

De la même parole d'invitation procède deux résultats : la vocation efficace de certains pécheurs et la perdition d'autres. L'Evangile ne perd personne ; la perdition est un effet secondaire du message de la croix résultant de la dureté terrible du coeur de l'homme naturel. La vocation du prédicateur est tragique et dramatique. Sommes-nous suffisamment conscients de sa gravité, de la lutte spirituelle dans laquelle nous sommes engagés, contre les puissances des ténèbres qui règnent non seulement dans les lieux célestes mais aussi dans les coeurs de ce qui nous écoutent ?

N'est-ce pas un des effets la rédemption universelle de l'arminienisme de proposer un salut moins que personnelle. Pouvons-nous être moins personnelle que Dieu dans la forme de l'annonce de l'Evangile, tout en remettant tout entre ses mains avec la confiance que Dieu va appeler les siens ?

 

III. Les hommes qui viennent à Christ par l'Evangile

Des hommes viendront à Jésus-Christ recevoir le salut. Comment ? Parce qu'ils en sont capables ? Non. Parce qu'il est capable de les sauver. Christ est un sauveur tout suffisant et la grâce est reçue de sa main. Celui qui trouve Christ trouve la vie. Comme le dit John Bunyan "Il y a en Christ une gloire telle que, une fois découverte, elle attire le coeur à lui et le fait venir." C'est pour cette raison que la proclamation de l'Evangile prend la forme d'une promesse offerte à tous. Ainsi a prêché Jésus lui-même. Pensons aux affirmations, il y en a sept, qui commence par "Je suis". Jésus dévoile qui il est dans sa suffisance messianique et il ajoute une promesse à celui qui le reçoit dans cette capacité. La proclamation générale de l'Evangile prend donc la forme de l'alliance : elle est :

- kéryme annoncé à tous,

- promesse des récompenses comme fruits de la grace,

- demande de soumission de la créature à ses conditions

- commande de repentir et de foi.

La prédication de la bonne nouvelle doit comporter ces aspects. C'est pour cette raison, après avoir déclaré que Dieu veut que "tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité" c'est-à-dire après avoir indiqué la compassion de Dieu et comment elle se manifeste, que Paul affirme qui'l a été établi prédicateur et apôtre pour cette raison (1 Tm 2:4-6).

Qui viendra donc ? Celui qui a été saisi par la toute suffisance de Christ et qui le prend à sa parole. Il est nécessaire d'insister sur ce point dès le départ, parce que toute position théologique qui le néglige en arrive inévitablement à composer avec la capacité de l'homme comme sujet du salut. Le messie est tout capable parce que l'homme est incapable.

 

1. L'incapacité de l'homme

L'erreur des arminiens est de poser le repentir et un coeur ouvert comme la condition du don de la grâce. Autrement dit, ils mettent la conversion avant la régénération et confondent les deux. L'homme a-t-il même un peu de chaleur spirituelle ? Non. Il a la température d'un cadavre. Comme le dit Spurgeon, le miracle de la grâce est que Dieu descend en deça du zéro de la mort pour conférer la vie au pécheur.

Aucun pécheur ne peut par nature se donner à Christ. La tâche douloureuse de la prédication est de le faire savoir. L'arminien dira que l'homme est pécheur, mais que ceci ne l'empêche pas de venir. Nous avons tous la tentation de glisser vers cela dans notre pratique homilétique. Mais l'Evangile informe l'homme qu'il ne peut pas venir à Christ pour l'accepter. Il en est entièrement incapable de venir. Sa situation spirituelle est sans espoir et c'est précisément là où le pécheur convaincu trouve son espérance réelle. Spurgeon insiste encore que nous avons à noyer l'auto-suffisance de l'homme jusqu'à ce qu'il reconnaît que sa situation est désespérée et qu'il est sans aide. Quand un homme sait et ressent la tragédie d'être pécheur devant un Dieu saint, croire en son acceptation et le pardon est un miracle de la grâce. Le pécheur est enfermé avec Dieu et doit dépendre de lui seul pour son salut.

La prédication de l'Evangile enferme donc le pécheur avec Jésus-Christ, pour qu'il se rende compte qu'il n'y a aucune espérance, son seul recours est Christ lui-même, et qu'il crie "Mon Dieu, je suis déséspéré, sauve-moi par ta grâce !" L'homme se reconnaît incapable et psychologiquement il ne peut que dépendre de Dieu pour son salut. C'est-là le moteur qui le pousse vers Christ. Le géolier de Philippes quand il demande "Qu'est que je dois faire pour être sauvé ?" ne pense pas qu'il peut faire quelquechose de positif. Il sait qu'il est cuit. Spurgeon dit qu'il y a dix mille fois plus d'espérance dans le calvinisme que dans l'arminienisme qui dit qu'il y a de la place pour tous, mais que s'ils ne veulent pas venir ils ne viendront pas et c'est là la fin de la chose. Non, pour le calvinisme le pécheur est un cadavre mais Christ est la résurrection et la vie. Il ne veut pas venir, mais Dieu lui donnera la volonté de venir, il est aveugle, mais Dieu dit "je ferai marcher les aveugles sur un chemin qu'ils ne connaissaient pas."(Es 42:16)

Le Saint-Esprit en créant la vie en l'homme mort dans ses péchés accomplit un miracle de la grâce. Le pécheur veindra-t-il ? Non, il ne veut pas venir à Christ. Mais il viendra. Il recevra la vie, car Dieu accomplira en lui ce dont il est lui-même incapable. C'est pour cette raison que la doctrine de la rédemption particulière est au coeur de l'offre de l'Evangile, car elle est le seul espoir que les hommes viendront pour recevoir le salut. Si Christ n'a pas sauvé les pécheurs X,Y et Z, notre parole ne le fera pas. S'il est vraiment mort pour eux, ils viendront ! Ils viendront parce qu'ils sont pécheurs. Le célèbre John Duncan a dit que quand nous entendons Christ qui nous appelle de venir à lui, nous ne voulons pas et nous ne pouvons pas. Mais quand nous entendons ce qui suit, que cette parole est pour "ceux qui n'ont pas d'argent", pour "ceux qui ont soif", pour "ceux qui sont fatigués et chargés", nous nous rendons compte que cette parole est pour nous et correspond à notre situation. On se jette sur Christ, dont l'Esprit est vie et dont l'invitation est bien-intentionnée, comme ultime recours.

 

2. Le commandement de venir à Christ

Parce que Dieu est le souverain de l'alliance, il demande au pécheur de recevoir l'Evangile. Il s'agit d'un commandement. Esaïe 55, qui comporte une quizaine d'impératifs, est typique : "venez... cherchez... invoquez... écoutez..."

L'arminien dit que le calvinisme est en porte à faux si le pécheur ne peut pas venir et que ce commandement est donné à tous. Dieu perd son temps avec la plupart, si certains uniquement viendront. Nous pouvons répondre en plusieurs points.

1. Formellement, comme le dit Dabney, les préceptes de Dieu ne constituent pas un test de la capacité de l'homme pécheur de les accomplir. Qui peut "aimer le Seigneur de tout son coeur" ? Personne. Mais il est de la nature de Dieu de le lui demander. John Owen a insisté sur ce point. Le devoir de tout pécheur non-régénéré est de se tourner vers Christ dans le repentir et la foi pour être sauvé. Il doit croire que :

- l'Evangile en général est vrai

- le salut est seulement par la foi en Christ

- tout pécheur a besoin d'un sauveur

- Christ le sauvera s'il s'abandonne à lui conformément aux indications de l'Evangile.

L'offre de l'arminien manquera l'urgence de l'obligation. Elle serait de l'ordre de la possibilité : "Permettez-moi de vous aider avec ce trésor".(Schilder)

2. Matériellement, la volonté régénérée a besoin d'indications claires de comment se comporter en écoutant l'appel de l'Evangile. Comment pourrait-il en être autrement ? Les élus se trouvent dans la masse de l'humanité perdue. L'appel ne peut être que général, car les élus qui viennent sont au milieu des autres. L'alliance de grâce, dit C. Hodge, est proposé à toute l'humanité et la condition dans cette alliance est la foi. La foi n'est pas la cause du salut, mais la condition du salut là où Dieu manifeste publiquement sa grâce. Dieu indique ainsi aux siens comment ils peuvent répondre à l'appel.

3. Quand Dieu régénère l'homme est passif par rapport à cet acte, mais la régénération réanime la liberté humaine en créant une nouvelle disposition libre de la domination du péché. Comme le dit A. Kuyper, "né de nouveau et efficacement appelé, l'homme se convertit." Kuyper souligne que dans le NT la conversion est appelée presque 140 fois un acte de l'homme, et seulement 6 fois un acte du Saint-Esprit ! Quand donc, l'Ecriture exhorte à l'homme de se convertir, il s'agit d'une réponse humaine à l'Evangile qui est une conséquence de la régénération.

Cette réponse est le résultat du fait que Dieu régénère ceux pour qui Christ est mort. La volonté divine est de rendre capable l'homme en le restaurant à la liberté. Deux conséquences importantes existent en ce qui concerne la proclamation de l'Evangile :

1. Dans l'offre général, nous n'encourageons pas les hommes à naître de nouveau. Pouvons-nous leur demander de croire que Christ est mort pour tous et donc pour eux personnellement ? Pouvons nous dire "Croyez, car Christ est mort pour vous personnellement ?" John Owen affirme que non. Cette connaissance nous est cachée. L'application personnelle de la mort de Christ appartient au don divin de régénération. L'expiation est impersonnelle et la réconciliation est personnelle. Notre offre de l'Evangile, si elle s'adresse à chaque homme doit rester impersonnelle. Nous devons exhorter et commander les hommes à se repentir et à croire, leur dire qu'ils doivent le faire et que, sous ces conditions, ils seront sauvés.

2. L'orthodoxie calviniste a quelquefois oublié cet aspect de la prédication. Nos prédications sont trop souvent une déscription théologique, théorique et aride, de ce qu'est la repentance et la foi. Par peur de l'arminienisme nous risquons de décharger l'homme de devoir de se tourner vers Christ. Mais c'est en se confiant radicalement à Christ que l'on est sauvé, non pas en prenant conscience intellectuellement de la nature de la régénération. Nous donnons l'impression que le fait de savoir ce que c'est est suffisant. Ainsi l'orthodoxie produit la présomption, qui engendre le formalisme. Nos communautés se peuplent de "chrétiens" irrégénérés qui se croient sauvés par la connaissance. Mais c'est l'abandon à Christ qui sauve ! Nos appels à la foi peuvent-elles être moins pressants que ceux de Christ, parce que le fantôme de l'arminienisme plane ?

 

3. La promesse à ceux qui viennent

Packer dit que dans l'offre de l'Evangile nous ne faisons pas venir les hommes à Christ mais nous apportons Christ aux hommes. Ceci nous fait sauter, mais après réflexion, je pense que c'est vrai. C'est la régénération qui fait venir à Christ, et nous ne faisons que mettre en avant la bonne nouvelle avec sa promesse.

Dieu donne ce qu'il ordonne dans l'Evangile. Il sait qui viendra, il rend capable l'homme qui vient, et il encourage de recevoir Christ en ajoutant sa promesse. Celui qui vient sera reçu. Mais comment vient-on ? John Bunyan dit que le movement est spirituel ; poussé par un sens de besoin absolu, du danger du péché, on vole à Christ pour le secours. La promesse d'une bonne réception, le "bienvenue" de Bunyan, renforce la volonté de tout abandonner pour lui. (Lc 14:26,27)

Pouvons-nous décider pour Christ ? Etre sauvé en signant une carte de décision ? Nous avancer pour le salut ? Décidémment non. Packer dit que ces manifestations modernes impliquent que l'on décide pour soi-même et que l'affaire reste avec nous. Décider implique une auto-motivation. "Venir à Christ" par contre, est un acte qui s'accomplit dans le renoncement de soi et l'abandon à la fiabilité de la promesse. On ne vient pas parce que nous pouvons le faire, mais parce que Christ promet de nous recevoir. C'est l'engagement de Christ lui-même qui motive le pécheur perdu d'embrasser Christ pour le salut. L'Evangile moderne est nombriliste : elle encourage une obsession avec ce que nous faisons et non un regard vers Christ et ses mérites. Quand on commence ainsi il n'est pas étonnant que la vie chrétienne soit conçue comme une suite d'expériences.

L'Evangile glorifie la largesse de l'amour de Christ dans sa promesse de recevoir ceux qui ne valent rien. N'avons-nous pas perdu ce sens très riche de l'amour de Christ qui acceuille les aveugles et les boiteux, ceux que ne sont rien. Peut-il y a voir un privilège plus grand pour un vaurien que de pouvoir s'asseoir à la table du roi ? Le roi de gloire même nous y invite et promet de nous rassasier. Sa réception royale est une réception personnelle, de la brebis perdue, du fils prodigue, de la pièce d'argent perdue et retrouvé, de la joie dans le ciel pour l'un qui se repent. Christ promet de recevoir ainsi parce que c'est ainsi qu'il est mort. L'appel vient de lui est oriente vers lui. "L'Esprit et l'agneau disent : 'Venez'".(Ap 22:17) La promesse tire toute sa solidité du fait qui Christ ne peut que recevoir ceux pour qui il est mort. Christ est honoré dans son office et dans sa personne quand les pécheurs viennent à lui. Il "pardonne abondamment".(Es 55:7)

 

4. Jésus-Christ, mort pour moi aussi

Turretin fait une distinction, devenue classique dans la théologie réformée, mais souvent oublié aujourd'hui, entre la foi formelle et la foi consolatrice. La foi formelle concerne le fait d'aller à Christ seul pour le salut et comprend une connaissance de notre misère, une réponse au commandement divin et une confiance en la promesse de Christ. Ainsi s'effectue la foi justifiante. La foi formelle est directe, regarde vers Christ et trouve le salut, en dehors de nous, en lui. La foi consolatrice en est la conséquence réflexive, en nous, et assure que Christ est mort pour moi. Elle a pour objet la réalité de la foi en nous. Packer dit qu'il s'agit de la connaissance de l'amour de Dieu qui appartient à l'assurance et qui ne peut pas précéder l'expérience de la foi qui sauve. Normalement le chrétien raisonnera ainsi :

- Christ est mort pour tous ceux qui croient

- je suis venu à Christ et je crois

- donc Christ est mort pour moi aussi.

La foi-consolatrice ne peut pas être proposé comme une raison pour croire ; elle n'est qu'une conséquence de l'acte de la foi.

N'est-ce pas une erreur de l'arminienisme de renverser cet ordre ? Tout comme l'arminien s'aventure au-delà de la croix pour dire "Dieu vous aime" au pécheur, de même il va tout droit à la foi personnelle et demande au pécheur de croire que Christ est mort pour lui personnellement. L'Evangile ne nous demande pas de croire, "Christ est mort pour vous" ; il nous demande de croire en Christ. Spurgeon, comme d'habitude, a visé juste. Croyez que Christ est mort pour vous, dit-il, et vous pouvez croire ce qui n'est pas vrai. On peut aller en enfer en croyant que Christ est mort pour nous, si nous ne sommes pas venus à Christ conformément à l'Evangile ! L'essence de la foi qui sauve ne se trouve pas en cette assurance. La foi qui sauve est celle qui se confie en Christ et qui se repose en lui pour la délivrance. Croire que Christ m'a sauvé n'est que le fruit de la foi qui sauve.

 

Conclusion

La rédemption particulière est la condition d'une annonce générale de l'Evangile. Elle seule correspond aux conditions de l'Evangile en général - que tous sont pécheurs et incapables de se sauver, que Christ est "destiné comme moyen d'expiation pour ceux qui auraient foi en son sang", que la réconciliation est l'oeuvre personnelle de Dieu et que le repentir et la foi sont des devoirs de tout homme. Ces vérités sont faites pour aller au coeur de ses besoins et non pas pour chatouiller son orgueil comme le fait trop souvent la prédication d'aujourd'hui.