Fréquence Protestante (100.7)
Emission   « Croire aujourd’hui », le 21/07/2001
 
« Que sait-on du procès de Jésus ? »
Pasteur Vincent BRU

Enregistrement sur cassette audio disponible au prix de 60 F auprès de :

Fréquence Protestante
1 rue Denis Poisson
75017 Paris
Tél. : 01 45 72 60 00
Fax : 01 45 72 17 70

Amis auditeurs bonjours !

Nous sommes heureux de nous retrouver pour cette émission « Croire aujourd’hui », avec au micro le Pasteur Vincent Bru, de l’ERE de Paris, en compagnie de Bernard Zoua Bopan.

La question qui nous intéresse aujourd’hui est donc la suivante : « Que sait-on du procès de Jésus ? »

Cette émission s’inscrit dans la série bientôt achevée consacrée au thème : « Que sait-on de Jésus de Nazareth ? » autour du livre qui porte le même titre, paru récemment aux Editions Bayard, sous la direction d’Alain Marchadour.

La question traitée aujourd’hui renvoie au chapitre 6 qui s’intitule : « Le procès de Jésus est-il encore ouvert ? ».

Pour cette émission, je me suis aussi largement inspiré du livre tout à fait passionnant de Jean-Marc Varaut, de l’Institut, intitulé « Le procès de Jésus », paru aux éditions Plon en 1997.

Alors : « Que sait-on du procès de Jésus ? »

La question est importante, à plus d’un titre.

Nous touchons en effet ici à un sujet très sensible, et ce, pour au moins deux raisons.

La première, c’est que les chrétiens se réfèrent volontiers à la Croix, à la mort de Jésus-Christ sur la croix comme au centre même, au cœur même de l’Evangile et de la Foi chrétienne.

Nous touchons là, avec la question du procès de Jésus et de sa mort au cœur même de la foi chrétienne, puisque c’est précisément en vertu de cette mort et de cette croix, et donc aussi de ce procès, que le pardon des péchés nous est accordé et que nous sommes sauvés, par la foi.

Comme l’écrit l’apôtre Paul :

« Christ est mort pour nos péchés, selon les Ecritures » (1 Co 15.3-4).

Et encore :

« Car je n'ai pas eu la pensée de savoir parmi vous autre chose que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié. » (1 Co 1.2)

La deuxième raison qui fait de la question du procès de Jésus un sujet brûlant, un sujet d’actualité, c’est que qui dit procès dit forcément accusateurs, et la question est donc soulevée ici de la responsabilité de ces accusateurs, de ceux qui ont condamné Jésus.

Et qui étaient-ils justement, ces accusateurs ?

Et qui est, en fait, responsable de la mort de Jésus, de la crucifixion ?

Longtemps l’Eglise a eu tendance, hélas ! à tenir le discours simpliste selon lequel les seuls vrais responsables de la mort de Jésus étaient les juifs, le peuple juif, prit dans son ensemble, comme un tout.

Il est un fait en effet que la tradition chrétienne a longtemps véhiculé un enseignement du mépris à l’égard des juifs accusés d’être collectivement responsables de la crucifixion de Jésus, et accusés de ce fait de déicide.

Mais est-ce bien exact ?

Quel que soit le sentiment que l’on puisse avoir à cet égard, il importe de bien peser ce que les documents dont nous disposons nous livre vraiment concernant le procès de Jésus, et de déterminer ainsi comment les responsabilités étaient-elles partagées entre les juifs et les romains, qui par le biais du gouverneur Ponce Pilate, ont bel et bien aussi été impliqués et ont joué une part non négligeable dans la mort de Jésus.

Par delà ces considérations d’ordre juridique, sur lesquelles il est important de faire le point et d’y voir clair, nous tacherons de montrer par-dessus tout en quoi et pour quoi la mort de Jésus, quels qu’aient été ces accusateurs, était en réalité nécessaire, pour l’accomplissement du dessein de Dieu pour le salut du monde.

Le procès de Jésus n’est pas un procès comme un autre.

Le Christ a choisi délibérément ce chemin qui devait le conduire à la croix, selon les Ecritures, et sans rien enlever à la responsabilité réelle de ceux qui l’ont injustement accusé et fait mourir, c’est en réalité pour accomplir le dessein de salut de Dieu que ce procès a eu lieu, et qu’il devait avoir lieu, comme nous le verrons plus loin.

Alors après cette brève entrée en matière, quelles sont donc les sources dont nous disposons sur le procès de Jésus ?

 

1. Les sources

Comme vous pouvez vous en douter, les principales sources du procès de Jésus, les principales pièces à conviction sont les Evangiles eux-mêmes.

Il existe cependant quelques textes de la littérature juive et païenne faisant échos à cet événement, au procès de Jésus.

Je pense en particulier à ce texte du Talmud babylonien, qui est du IIème siècle, et qui dit ceci :

« La tradition rapporte : la veille du sabbat et la veille de Pâque, on a pendu Jésus de Nazareth. Un héraut marcha devant lui quarante jours : il sera lapidé parce qu’il a pratiqué la magie et la subversion et a égaré Israël. Que tous ceux qui connaissent le moyen de justifier ses actes viennent et témoignent pour lui. Mais on ne trouva personne qui témoignât pour lui et ainsi on le pendit la veille de la Pâque. »

Notez que l’expression « pendre » doit être comprise comme une périphrase de la crucifixion de Jésus dont l’identification est certaine du fait de l’addition « le Nazaréen ».

Un autre texte significatif est le fameux passage des Antiquités juives du grand historien juif Flavius Joseph.

Voici ce qu’il dit :

« En ce temps là vivait Jésus, homme sage, si toutefois il faut l’appeler homme. Il accomplissait en effet des choses merveilleuses, il enseignait les hommes qui reçoivent la vérité avec joie et il entraîna à sa suite beaucoup de juifs et beaucoup d’hellènes. Celui-ci était le Christ. Et quand, sur la dénonciation des principaux de notre nation, Pilate l’eut condamné à la croix, ceux qui l’avaient aimé au début lui gardèrent leur affection ; il leur apparut en effet le troisième jour, de nouveau vivant, comme les divins prophètes l’avaient annoncé, ainsi que mille autres merveilles à son sujet. Jusqu’à ce jour encore subsiste la race des chrétiens ainsi nommés à cause de lui. »

Le point important ici par rapport à la question qui nos intéresse du procès de Jésus, c’est que Flavius Joseph attribue à Pilate la décision formelle de condamner Jésus à mort, même si l’initiative de la procédure provient des autorités juives, des grands prêtres.

Pour ce qui est des sources profanes, il faut mentionner un texte de Tacite dans ses Annales, écrites vers 108, où il retrace l’incendie de Rome sous le règne de Néron, et où il parle des chrétiens en disant :

« Celui qui est à l’origine de ce nom est Christ, qui, sous le règne de Tibère, avait été condamné à mort par le procurateur Ponce Pilate. »

L’historien romain Tacite confirme ainsi l’existence de Pilate et la sentence de mort.

Il est à noter que celui-ci ne met pas en cause comme Flavius Joseph l’intervention des juifs, mais attribut la responsabilité de la mort de Jésus à Ponce Pilate.

Il existe enfin un document d’un philosophe stoïcien, Mara Bar Siparion, qui est une lettre écrite à son fils, et dont la datation est incertaine, et dans laquelle il est question d’un roi sage que les juifs ont exécuté.

Ce roi sage est le roi des juifs, Jésus de Nazareth, et la responsabilité de son exécution est ici attribuée exclusivement aux juifs.

En conclusion, Jean-Marc Varaut déduit de ces documents de sources non-chrétiennes :

« De ces documents, les Antiquités juives de Flavius Josephe, les Annales de Tacite, la lettre de Mara Bar Siparion et le Talmud de Babylone, on peut conclure : Jésus a bien existé ; il a été crucifié après une condamnation à mort prononcée par Pilate ; les chefs juifs ont participé à cette action judiciaire. » (p. 18)

Ces textes sont donc intéressants pour fonder historiquement le procès de Jésus et donnent un éclairage sur la façon dont les historiens de l’époque ont perçu cet événement.

Il nous faut cependant nous tourner vers les Evangiles pour connaître dans le détail le déroulement du procès, que nous allons retracer après une pause musicale.

 

II. Le déroulement du procès

Nous poursuivons donc notre enquête sur le procès de Jésus.

Que sait-on du procès de Jésus ?

Que nous apprennent les Evangiles sur le déroulement de ce procès ?

Et à qui doit-on imputer la responsabilité à la fois morale et juridique de la mort de jésus ?

Je dis bien les Evangiles, car il faut noter que les autres livres du Nouveau Testament, tout en développant une théologie de la Croix, en particulier l’apôtre Paul, n’apportent guère de précision sur le déroulement du procès.

Quant aux Evangiles apocryphes, non canoniques, ils n’apportent que peu d’éléments sur la Passion, avec une évidente tendance à aggraver la responsabilité juive dans l’affaire.

Ce sont donc bien les Evangiles, Matthieu, Marc, Luc et jean, qui constituent la source principale du dossier historique du procès de Jésus.

Les Evangiles qui concordent pour l’essentiel dans la narration des faits et des évènements qui se suivent heure par heure : l’entrée de Jésus dans Jérusalem le jour des Rameaux, le complot des grands prêtres contre Jésus, le repas pris en commun avec les douze disciples le jeudi –ou bien le mercredi, la veille de Pâque, si l’on suit l’Evangile selon Jean- , la Cène, la trahison de Judas, l’agonie à Gethsémani, l’arrestation, la comparution devant les autorités juives, le reniement de Pierre, l’audience devant Pilate, à l’aube du vendredi, le détour devant Hérode, le retour devant Pilate, les manifestations provoquées de la foule en faveur de barabbas, le jugement de condamnation de Jésus par Pilate, les flagellations et le chemin de Croix, la crucifixion, l’ensevelissement, le tombeau vide au jour de Pâques.

C’est ainsi que chaque évangéliste a composé un témoignage qui lui était propre, selon sa personnalité et son expérience, ses informations, son style, la communauté à laquelle il appartenait  et celle à laquelle il s’adressait.

Les différences au niveau de la rédaction sont mineures et, malgré quelques difficultés d’harmonisations persistantes – je pense en particulier à la chronologie exacte des évènements entre les Evangiles Synoptiques et l’Evangile selon Jean -, il est relativement facile de retracer dans le détail le déroulement du procès en tenant compte de ces quatre témoignages concordant.

Sur la fiabilité de ses documents, on peut faire valoir le fait que, selon les spécialistes du NT, les récits de la Passion et de la Résurrection, d’abord transmis oralement, ont sans doute été les plus anciennement rédigés, ceux-ci étant directement liés à la célébration de la Pâque.

Qui plus est, chaque Evangile, sans pour autant répondre aux critères de l’historiographie moderne, entend rendre compte avec exactitude des évènements concernant le procès et la crucifixion de Jésus t’elle qu’ils avaient été recueillis auprès des témoins directs ou indirects à Jérusalem, ou dans les premières communautés de la Palestine.

Il ne s’agit pas d’affabulations, ou de gloses, d’interprétations théologiques ultérieures cherchant à rendre compte d’un lointain événement du passé, sans fondement historique solide.

C’est ainsi que l’Evangile selon Luc commence en disant :

1  Plusieurs ayant entrepris de composer un récit des événements qui se sont accomplis parmi nous,

2  suivant ce que nous ont transmis ceux qui ont été des témoins oculaires dès le commencement et sont devenus des ministres de la parole,

3  il m'a aussi semblé bon, après avoir fait des recherches exactes sur toutes ces choses depuis leur origine, de te les exposer par écrit d'une manière suivie, excellent Théophile,

4  afin que tu reconnaisses la certitude des enseignements que tu as reçus.

Il faut noter de même, en ce qui concerne la datation des Evangiles, qui ont sans doute d’ailleurs été d’abord rédigés en hébreux, qu’il n’est pas invraisemblable, comme l’ont montré d’excellents exégètes, que tous les livres du Nouveau Testament ont été rédigés avant 70, avant la chute de Jérusalem et la destruction du Temple, et que les évènements rapportés par les Evangiles sont très proches en réalité.

Comme le note Jean-Marc Varaut :

« Les conclusions de M. Robinson, Tresmontant et Carmignac sont que Matthieu a écrit avant 36, Jean avant 40, Luc entre 40 et 50 et Marc entre 40 et 60, à partir de notes prises peu de temps après, même parfois pendant l’événement. » (p. 25)

Alors quand est-il maintenant du procès de Jésus ?

Retraçons les évènements tels qu’ils sont rapportés par Matthieu, Marc Luc et Jean.

Le récit du procès et de l’exécution de Jésus débute chez les quatre évangélistes par l’épisode de son arrestation au jardin des Oliviers, dans la nuit du jeudi[1] au vendredi, par les chefs religieux escortés d’hommes armés.

Jésus est dénoncé par l’un de ses disciples, Judas, comme il l’avait annoncé au début de la nuit au cours du repas pris en commun.

Nous voyons dans les récits précédant que cette arrestation avait été en fait préméditée de longue date par les autorités religieuses d’Israël.

Les principaux prêtres, les hérodiens, les sadducéens et les pharisiens s’étaient relayés pour tenter de prendre Jésus en défaut afin de le perdre, surtout après qu’il eut chassé les marchants du Temple et menacé ainsi leur autorité.

Judas, donc, sans doute déçu de l’espérance d’un Messie qui aurait chassé l’occupant romain et restauré le trône de David, est allé trouver les membres du Sanhédrin pour leur offrir de leur livrer Jésus.

Jésus est donc arrêté, et les disciples s’enfuient, terrorisés.

Alors question : Mais qui a fait arrêter Jésus ?

Les évangélistes sont unanimes pour désigner les autorités politiques et religieuses d’Israël, le Sanhédrin, avec « les grands prêtres, les scribes et les anciens » comme étant ceux qui ont envoyé la milice du Sanhédrin et ainsi qu’un détachement de la garde du Temple envoyés en renfort pour arrêter Jésus afin de le juger.

Il faut savoir que le Sanhédrin était composé du grand prêtre, Kaiphe, devant lequel Jésus comparaîtra, sans doute aussi des anciens grands prêtres, de juristes spécialisés que sont les scribes et les docteurs de la loi, et, de la noblesse sacerdotale, les anciens.

Ils sont au nombre de soixante et onze, et compose une commission permanente qui siège à Jérusalem, dans le Temple, sous la présidence du grand prêtre.

Le Sanhédrin est la cour suprême pour les infractions à la loi, et s’occupe en même temps de fixer la doctrine, la foi d’Israël.

Mais le Sanhédrin, en plus de ses fonctions juridiques et religieuses, occupe aussi une fonction politique, et dispose à ce titre d’une police sous la direction du commandant du Temple, et procède à des arrestations et prononce des sentences selon la loi juive.

Il faut noter cependant que dans le cas d’une condamnation à mort, le Sanhédrin est tenu d’obtenir la rectification de l’autorité romaine.

Ainsi, ce sont les chefs officiels qui ont décidé de l’arrestation de Jésus, arrestation qui a lieu de nuit afin d’éviter des réactions de la foule en sa faveur.

Il n’est donc pas inutile de dire dès à présent que, contrairement à ce qui a pu être dit et publié depuis la fin du IIème siècle sur le peuple déicide, ce ne sont pas les « juifs », le peuple d’Israël comme tel, qui sont à l’origine de l’arrestation de Jésus, et qui en serait de ce fait responsables.

Comme le dit fort justement Jean-Marc Varaut :

« Le peuple juif n’est pas plus responsable du procès romain, de la condamnation romaine et du supplice romain, quel qu’ait été le rôle initiateur des hiérarques juifs, que le peuple chrétien ne l’est du supplice de Jeanne d’Arc, condamnée, elle, par les grands prêtres et les scribes de son temps, à l’instigation de l’occupant anglais. » (p. 12)

La suite du récit du procès de Jésus nous montre bien en effet que si le Sanhédrin a bel et bien prit la décision d’arrêter Jésus en vu de le juger et de le condamner, de le prendre en défaut, c’est Pilate, le préfet romain qui a formellement, selon le droit pénal romain, et sans y être contraint, prononcé le jugement le condamnant et qui l’a fait crucifier selon le droit romain.

Nous verrons cela après une pause musicale.

 

III. Et après ?

Jésus est donc arrêté par la police  du Sanhédrin et après avoir été ligoté, il est emmené chez Kaiphe, le grand prêtre.

Jean mentionne qu’avant de comparaître chez Kaiphe, les gardes ont d’abord conduit Jésus chez son beau-père, Hannas, son prédécesseur déposé par les romains, mais toujours membre du Sanhédrin.

Il faut noter que tant Hanna que Kaiphe, qui demeura 19 ans en charge (de 18 à 37 ap. JC, jusqu’à la fin de la préfecture de Pilate), étaient perçus par Rome comme de bons et loyaux collaborateurs des occupants romains, et à ce titre, ils furent comblés d’honneurs et de richesses.

Après donc cette brève comparution devant Hanna qui souhaitait l’interroger sur sa doctrine, Jésus est conduit au Temple pour comparaître devant le Sanhédrin.

C’est à ce moment là, selon l’Evangile de Jean, qu’intervient le triple reniements de Pierre.

Au cours de cette réunion nocturne du Sanhédrin Jésus est donc jugé et condamné à mort.

Une nouvelle réunion du Sanhédrin a lieu le matin, sans doute pour convenir des chefs d’inculpation à faire valoir auprès du préfet romain, au terme de laquelle Jésus est envoyé à Pilate.

Luc mentionne qu’avant cela, Jésus avait été gardé toute la nuit dans la résidence du grand prêtre, où il a été maltraité et injurié (Lc 22.63-23.1).

Avant de nous pencher sur le procès romain, la comparution devant Pilate, il faut dire un mot sur la condamnation de Jésus par le Sanhédrin.

Tout d’abord, il faut noter que Jésus a été condamné par le Sanhédrin unanime comme « blasphémateur », et à ce titre, selon la loi juive, passible de mort.

Jésus est accusé par les autorités juives de se placer au-dessus de la loi, au-dessus de l’autorité de la Thora et du Temple, et de se faire Dieu, alors qu’il n’est qu’un simple homme, le fils d’un charpentier.

A la question de Kaiphe :

Mc 14.61  Est-ce bien toi le Christ, le fils Béni ?

Jésus répond :

62  Je le suis. Et vous verrez le Fils de l'homme assis à la droite de la puissance de Dieu, et venant sur les nuées du ciel.

Et c’est alors que la condamnation tombe :

63  Alors le souverain sacrificateur déchira ses vêtements, et dit : Qu'avons-nous encore besoin de témoins ?

64  Vous avez entendu le blasphème. Que vous en semble ? Tous le condamnèrent comme méritant la mort.

Notez qu’il ne s’agit pas là, à proprement parler, et dans le sens juridique du terme, d’une condamnation à mort, mais en quelque sorte, comme l’exprime Jean-Marc Varaut, « d’un arrêt de mise en accusation suivi d’une décision de prise de corps : « Et après l’avoir ligoté, ils l’amenèrent et le livrèrent à Pilate, le gouverneur. » »

Et il poursuit en disant :

« Tout comme une chambre d’accusation estime que les faits retenus constituent un crime et prononce la mise en accusation devant la Cour d’assises, le Sanhédrin a jugé que le blasphème était caractérisé et que Jésus « méritait la mort » ou était « passible de mort », mais ont renvoyé à Pilate qui pouvait soit condamner Jésus, soit l’acquitter. » (p. 60)

Sans négliger le rôle initiateur et décisif des pouvoirs religieux juifs dans la procédure judiciaire qui allait aboutir à la condamnation de Jésus par le gouverneur romain et à sa crucifixion, il faut bien relever la co-responsabilité des autorités juives et romaines dans ce procès, et ne pas imputer aux seuls juifs la responsabilité de la mort de Jésus.

Jésus donc comparait devant Pilate, au prétoire, sans doute au palais d’Hérode, résidence officielle du représentant de Rome, du préfet romain, et siège du gouverneur, sur la colline occidentale, le bâtiment le plus imposant et le point le plus important de Jérusalem.

Le prétoire se trouve à l’intérieure du palais, tandis que le tribunal lui est extérieur, devant la façade, dressé sur une estrade.

La coutume exigeait en effet que le jugement fût prononcé en public.

C‘est là, sur cette estrade, et sur sa chaise curule, qu’après l’interrogatoire de Jésus dans l’auditorium, Pilate prononcera la sentence de mort en présence des accusateurs, les grands prêtres, qui, du reste, n’ont pas voulu le suivre à l’intérieur du prétoire lors de la phase de l’instruction.

Il faut noter qu’à la différence des 61 juges composant le Sanhédrin, le préfet jugeait seul et endossait de ce fait l’entière responsabilité de ces décisions.

Il faut noter de même que ce fut bien un procès romain, et non pas juif, que présida Pilate, et que celui-ci ne s’est pas contenté d’être l’exécuteur des vœux du Sanhédrin, mais à condamner Jésus selon le droit romain, et non pas selon le droit juif.

Sa responsabilité est donc entière dans cette affaire, même s’il est bien évident que le procès n’aurait sans doute jamais eu lieu sans les accusations du Sanhédrin contre Jésus, et sans aussi les vociférations de la foule qui a préféré faire libérer Barabbas, un zélote probablement, plutôt que Jésus, selon la coutume de l’amnistie pascale.

Ainsi donc, la sanction de mort par crucifixion a bel et bien été prononcé par Pilate, et ce, non pas pour les motifs d’accusation du Sanhédrin, mais en vertu de l’accusation mensongère portée contre Jésus de soulever le peuple et de l’exciter à la révolte, en prétendant être le Messie, et donc le roi des juifs.

Pilate a condamné Jésus non pas pour blasphème, pour s’être proclamé Fils de Dieu, mais pour crime de lèse-majesté, parce qu’il revendiquait le titre de « roi des juifs », ou du moins le pensait-il, car Jésus a dit « ma royauté n’est pas de ce monde » !

Pilate est donc objectivement coupable d’avoir cédé à Kaiphe et autres hauts dignitaires qui le menaçaient en disant : « Si tu le relâches, tu n’es pas ami de César. Qui se fait roi s’oppose à César.

Il faut savoir que la mise en croix était à l’époque la forme habituelle du châtiment des crimes de lèse-majesté, et que les deux brigands crucifiés avec Jésus étaient très probablement accusés du même chef d’inculpation de sédition et de révolte contre le pouvoir romain.

Ainsi, comme l’a dit un théologien, on peut conclure que sur le plan juridique, une étude minutieuse des textes ne laisse planer aucun doute : « … La condamnation et l’exécution de Jésus doivent être imputées à Pilate, que ce procès fut injuste, et Jésus était manifestement innocent du crime allégué contre lui. » (Xavier Léon-Dufour).

Il me semble, amis auditeurs, qu’il est important de dire cela tandis que l’Eglise, dans l’histoire, a trop souvent eu tendance à justifier son anti-judaïsme, souche de tous les anti-sémitismes passés et contemporains, en rejetant en bloc la responsabilité de la crucifixion de Jésus sur le peuple juif, et en leur fermant ainsi l’accès au salut.

Or, comme Jésus lui-même s’est écrié sur la croix : « Père pardonne-leur, car il ne savent ce qu’ils font » !

Et l’apôtre Paul : « Je dis donc: Dieu a-t-il rejeté son peuple ? Loin de là ! Car moi aussi je suis Israélite, de la postérité d'Abraham, de la tribu de Benjamin. 2  Dieu n'a point rejeté son peuple, qu'il a connu d'avance. » (Rm 11.1-2)

Le salut et le pardon des péchés ne sont pas moins promit aux juifs qu’aux païens !

Et comme l’a si bien dit Péguy : « Ce ne sont pas les juifs qui ont crucifié Jésus, ce sont nos péchés » !

Tous les hommes sont en quelque sorte responsables du procès de Jésus, car tous sont pécheurs, et c’est pour accomplir le salut, la rédemption, tant des juifs que des non-juifs, des païens, que Jésus-Christ a accepté de mourir sur la Croix, à notre place.

Jésus l’a dit : Personne ne me l'ôte, ma vie, mais je la donne de moi-même ; j'ai le pouvoir de la donner, et j'ai le pouvoir de la reprendre : tel est l'ordre que j'ai reçu de mon Père. (Jean 10.18)

Par delà la responsabilité réelle tant des juifs que des romains, le procès devait avoir lieu, parce que tel était le dessein de Dieu.

Ecoutez bien l’apôtre Pierre dans la toute première prédication chrétienne, au chapitre 2 du Livre des Actes :

Ac 2.22  Hommes Israélites, écoutez ces paroles ! Jésus de Nazareth, cet homme à qui Dieu a rendu témoignage devant vous par les miracles, les prodiges et les signes qu'il a opérés par lui au milieu de vous, comme vous le savez vous-mêmes;

23  cet homme, livré selon le dessein arrêté et selon la prescience de Dieu, vous l'avez crucifié, vous l'avez fait mourir par la main des impies.

24  Dieu l'a ressuscité, en le délivrant des liens de la mort, parce qu'il n'était pas possible qu'il fût retenu par elle.

Et au chapitre 4 :

Ac 4.27  En effet, contre ton saint serviteur Jésus, que tu as oint, Hérode et Ponce Pilate se sont ligués dans cette ville avec les nations et avec les peuples d'Israël,

28  pour faire tout ce que ta main et ton conseil avaient arrêté d'avance.

La mort de Jésus n’est en rien un accident de l’histoire.

C’est par elle que la rédemption du monde a été acquise.

Il appartient à chacun, juif ou non-juif, de reconnaître dans le crucifié du Golgotha, le Prince de la Vie, le Ressuscité, le seul Sauveur devant lequel un jour tout genou fléchira, toute langue confessera que Jésus-Christ est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père. (Ph 2.10)

Amen !

 



[1] Notons en passant que d’après les Synoptiques, la Cène, semble-t-il, a eu lieu le jeudi soir, c’est à dire le premier jour de la fête de la Pâque juive qui durait sept jour, et s’identifie avec le souper pascal, le jour où l’on immolait l’agneau pascal. Or Jean situe la mort de Jésus la veille de la pâque, le 14 Nisan, et il dissocie la Cène d’avec la pâque juive. La Cène aurait donc eu lieu le mardi soir ou le mercredi, la veille de la pâque officielle des juifs. En conclusion Jean-Marc Varaut avance la thèse que nous partageons selon laquelle : « Il apparaît donc historiquement vraisemblable de retenir que la crucifixion a eu lieu à la sixième heure, c’est-à-dire à midi, le vendredi 7 avril 30, la veille de la pâque juive, que la mort est intervenue vers 3 heures, dans un délai rapide qui a étonné Pilate, et que l’ensevelissement a pu être pratiqué après le couché du soleil, c’est-à-dire vers 18 heures. »  - Jean-Marc Varaut, Le procès de Jésus, Plon, 1997, p.165.