Luc Ferry, L'Homme-Dieu ou le sens de la vie, Livre de Poche-Grasset, 1996, 184 p.

Jean-Luc Pissavin, Résister et Construire N° 47-48 (novembre-décembre 2000, pp. 60s)  

L'auteur, philosophe humaniste contemporain fait preuve d'une grande lucidité sur le besoin de religieux de l'homme du XXIe siècle et surtout sur la forme que prendra cette nouvelle religion. Il prend des positions anti-chrétiennes que je n'approuve pas bien sûr (et qui demanderaient d'ailleurs une réponse, à lui adressée), mais il voit clair, me semble-t-il, sur ce que l'homme est en train de se fabriquer pour satisfaire son besoin de dieux sans Dieu. Il fait d'abord un constat : autrefois la question du sens de la vie trouvait des réponses dans les religions et les grandes utopies. Celles-ci n'exerçant plus d'attrait, cette question ne trouve plus lieu où s'exprimer collectivement. « C'est ce rapport au sens, de l'histoire mondiale comme de la vie personnelle, qui s'est évanoui sans que rien ne vienne le remplacer sur ce terrain. » (p. 19)

Il montre ensuite comment le monde moderne a rejeté dans le domaine privé la croyance en un Dieu et a donné à l'humanisme la place de la religion. Cet humanisme nous donnerait « accès à une spiritualité authentique, enracinée dans l'homme » qui, de plus, « s'accorde au principe des principes constitutifs de l'humanisme moderne : celui du rejet des arguments d'autorité » (p. 34)… mais pas de rejet de la transcendance… l'homme ne peut s'en passer ! On en vient donc à fabriquer une nouvelle religion : une espèce de Christianisme humaniste ! « Le mouvement va désormais de l'homme à Dieu et non plus l'inverse… Les chrétiens traditionalistes y verront le signe suprême de l'orgueil humain. Les chrétiens laïcs pourront au contraire y lire l'avènement d'une foi authentique sur fond d'une éclipse du théologico-éthique » (p. 47).

Ce processus s'est déroulé en plusieurs étapes:

- 1. L'humanisation du divin (avec Drewermann entre autres).

A la place de Dieu, la conscience individuelle est devenue l'instance suprême du jugement moral et ce jugement est vrai parce qu'il vient de la conscience. Contre cela, le Pape s'est battu dans son encyclique « Splendeur de la vérité ». Pour Luc Ferry, « il semble que les croyants s'approprient sans cesse davantage le fond laïc constitué par la Grande Déclaration [des droits de l'homme (réd.)], et que ce soit sur cette base commune que vienne se greffer leur foi » (p. 57-58). Avec cela, la conscience du mal nous est ôtée. Le bien et le mal n'ont plus de sens. La responsabilité de l'homme s'évanouit.

- 2. La divinisation de l'homme.

L'éthique est à la mode en cette fin de siècle, une éthique de « l'éradication de tous les dogmatismes, qu'ils soient d'origine morale ou religieuse » (p. 84). « Aboutissement ultime d'un long processus de sécularisation qui mène, depuis le XVIIIe siècle, vers la laïcité achevée » (p. 85). Éthique d'une soi-disant authenticité, sécularisée, mais pas sans orientation religieuse. Le sacré devient l'humain et le sacrifice ne vaut que s'il concerne l'autre. « L'individualisme démocratique » n'amènerait pas « l'érosion des transcendances sous toutes leurs formes » (p. 122) mais nous conduit vers …

- 3. Le sacré à visage humain.

Le corps humain est sacré (cf. la bioéthique), d'ailleurs « en 25 ans, le nombre d'ONG à vocation caritative a été multiplié par 100 tandis que les derniers militants de la révolution entraient au musée des espèces disparues » (p. 125). « Une nouvelle religion, celle de l'humanité, vient de naître » (p. 132) et « la nouvelle formule du devoir d'assistance, ne laisse pas faire à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'on te fasse, marque peut-être un progrès par rapport à ce qu'elle démarque. » (p. 133) ! Voilà le commandement de cette nouvelle religion, considérée par Luc Ferry comme un progrès ! Et on assiste actuellement aux noces de l'Éthique et des médias (Bosnie, Somalie...). D'ailleurs nos héros sont aujourd'hui les champions de l'humanitaire, et l'action humanitaire est perçue par ceux qui la pratiquent comme pourvoyeuse de sens : trouver le sens de sa vie par autrui ! Dans le passé, l'art exprimait le sacré, « n'est-il pas normal qu'il soit rendu à l'impératif d'être à l'échelle humaine» (p. 155), sinon, comme la religion, il est dépassé. Il en est de même de la culture et de la politique. La grande politique est finie, mais le dirigeant qui s'inscrit dans un projet collectif de solidarité et de sympathie, suscite l'enthousiasme (cf. p. 161 et 165). Il en vient finalement à poser la question : « Le christianisme est-il un humanisme ? » Puisque son message d'amour s'accorde si bien (?) avec cette nouvelle religion, religion de l'Homme-Dieu, «Si les hommes n'étaient pas en quelque façon des dieux, ils ne seraient pas non plus des hommes» (p. 177). «L'humanité divinisée a pris la place du sujet absolu » (p. 180) : c'est-à-dire de Dieu.

Le constat est clair, il est lucide, je crois. Ceci nous invite à ouvrir les yeux sur un monde qui, après avoir rejeté les repères sûrs de la Loi parfaite de Dieu, ne supporte pas le vide qu'il a ouvert devant lui, se bâtit une religion à son image avec dieux et prêtres, adorateurs, sacrifices, etc... C'est la contrepartie satanique de l'Évangile glorieux de notre bien aimé Sauveur Jésus-Christ. Son credo pourrait être le suivant : développer le positif chez soi-même et combattre le mal chez les autres (pour leur bien !). Mot pour mot l'antithèse du vrai Christianisme qui consiste à : combattre le mal en soi-même et rechercher le bien en autrui.

 

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