Vladimir Volkoff, Petite histoire de la désinformation. Du Cheval de Troie à Internet, Éditions du Rocher, Monaco, 1999, 290 p.

Micaël Berthoud, Résister et Construire N° 45-46 (octobre-novembre 1999, pp. 59s)

Il y a quelques mois, Vladimir Volkoff publiait une Petite histoire de la désinformation. Ceux qui connaissent l'écrivain français d'origine russe ne seront pas autrement surpris de voir ce thème abordé à nouveau par l'auteur du roman Le Montage et du recueil La désinformation : arme de guerre, tous les deux publiés par L'Age d’Homme.

Ce nouveau livre, qui s'adresse tant aux professionnels de l'information qu'au grand public, ne se veut nullement exhaustif, mais est plutôt à considérer comme un outil pour ceux qui veulent à la fois éviter d'être désinformés et désinformateurs involontaires. Il propose un vaste balayage du sujet, depuis le Cheval de Troie jusqu'à Internet. Une bonne partie est consacrée à l'Ère soviétique où, pendant plusieurs décennies, le département A du KGB fut le maître incontesté en la matière. Depuis la chute officielle du communisme, le mal s'est répandu partout. Il existe même des sociétés de relations publiques qui proposent leurs services en désinformation à des clients, étatiques ou non. Ainsi l'Agence Hill and Knowlton qui fit basculer l'opinion publique américaine en faveur d'une intervention contre l'Irak, grâce au témoignage d'une fillette de 15 ans racontant comment les soldats de Saddam Hussein débranchaient les couveuses dans les maternités koweitiennes. Or la fillette en question n'était autre que la fille de l'ambassadeur du Koweit auprès des Nations Unies et cela faisait plusieurs années qu'elle n'avait plus mis les pieds dans son pays.

Ou l'exemple encore trop mal connu de l'Agence Ruder Finn qui eut pour clients, de août 1991 à juin 1992, la République de Croatie, de mai à décembre 1992 la République de Bosnie-Herzégovine, et depuis octobre 1992, les terroristes albanais du Kosovo, chaque fois dans le but de diaboliser les Serbes. Volkoff cite d'ailleurs James Harff, le directeur de l'agence en question, qui explique ses méthodes et la raison de leur succès auprès des médias et de l'opinion publique. Les récents bombardements sur la Serbie et le Kosovo ont été les conséquences logiques et même voulues d'une telle campagne de désinformation. L'Europe, qui s'est engagée dans cette croisade morale avec une ferveur naïve, est loin d'en avoir encore mesuré les conséquences sur les relations internationales.

Mais si Volkoff, par ses nombreux exemples, nous montre à quel point la désinformation nous environne de toute part, il nous rappelle aussi qu'aucune information ne titre jamais 100 % de vérité, et ce, même si l'informateur et la personne informée n'ont pas de mauvaises intentions, et si le moyen de communication n'est pas déficient. Il nous donne ensuite une définition : « La désinformation est une manipulation de l'opinion publique, à des fins politiques, avec une information traitée par des moyens détournés. » Ce faisant, il nous explique en quoi la désinformation n'est ni de la publicité, ni de l'intox, ni de la propagande.

Dans sa recherche pointue, Volkoff fait aussi une analyse détaillée de la structure et des mécanismes d'une campagne de désinformation. Il montre que sans étude de marché préalable, la désinformation n'a aucune chance de s'implanter dans les esprits. « Dites-leur ce qu'ils veulent entendre», disait Lénine. De plus, si une campagne sans client et sans agent n'aurait pas lieu d'exister, elle doit son efficacité aux nombreux relais utilisés. Plus il y en a, plus elle sera efficace. Lénine ne parlait-il pas des « idiots utiles » ? Quant aux faits, s'ils ne sont pas tout bonnement inventés, leur traitement peut être varié : affirmation, négation, inversion, exagération, diminution, mise sous silence, désapprobation. Le langage de la désinformation est lui-même passé au crible par Volkoff. La diabolisation est fréquemment utilisée, tout comme le manichéisme. Pour fonctionner, la désinformation doit suivre une pente naturelle, et le thème doit être le plus simple possible. L'opinion publique peut ainsi aisément se jeter dessus avec une unanimité à caractère quasi psychotique proche de l'aveuglement. Cet état irrationnel, basé sur des émotions très fortes plus que sur un raisonnement réfléchi, va pousser les désinformés à en rajouter et à devenir eux-mêmes désinformateurs.

Que faire alors si notre société tout entière est pétrie de désinformation et si nos systèmes scolaires, en formant les jeunes générations à ne plus réfléchir, mais à apprendre par osmose, en donnant la priorité au monde abstrait sur le tangible, affaiblissent toute défense naturelle contre l'irrationnel, le faux et les passions incontrôlées ? Que faire si nous sommes entourés de « médias de plus en plus présents, de journalistes de plus en plus dociles et d'une information de plus en plus médiocre » ?

Vladimir Volkoff termine son ouvrage par une apologie en faveur de la Vérité, seule solution à ses yeux et qui n'est pas sans rappeler de nombreux passages dans les psaumes :

A vrai dire, je ne crois pas qu'il y ait la moindre chance de lutter avec un plein succès ou même un succès considérable contre la désinformation, tant qu'on n'aura pas appris à prendre la vérité de l'information au sérieux, tant que le public tout entier n'aura pas acquis le sentiment - mais d'où l'acquerrait-il ? - que la vérité est une chose sacrée, intangible, la plus précieuse, peut-être, que nous ayons, que, si elle est remise entre nos mains pour la communiquer à autrui, nous devons la traiter avec une trémulation religieuse, comme l'arche d'Alliance, et qu'attenter à sa pureté, c'est tomber foudroyé surplace.

Ce n'est pas demain la veille.

Un saint, saisi et dévalisé par des brigands, leur demanda de le laisser partir parce qu'il n'avait plus un sou sur lui. Ils le relâchèrent donc. S'étant éloigné, il retrouva un sou au fond de sa poche. Alors, tout courant, il retourna sur ses pas pour le leur donner, parce qu'il ne supportait pas qu'une fausse information eût franchi ses lèvres.

Voilà comme la décence exigerait que fût traitée la vérité.

Nous en sommes loin.

 

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