Prédication troisième dimanche de l’Avent

ERE Paris, dimanche 17 décembre 2000

Pasteur Vincent BRU

Lectures : So 3.14-17 ; Ph 4.4-7 ; Lc 3.10-18

 

Chers frères et sœurs en Christ, nous sommes assemblés ce matin pour célébrer ensemble le mystère du Salut, en ce troisième dimanche de l’Avent.

Ce Salut qui avait été annoncé durant des générations et des générations dans l’Ancien Testament, et dont la réalisation en Jésus, bien qu’attendue par tous, a pour ainsi dire surpris tout le monde.

Il y a dans le mystère de l’Incarnation, le mystère de Noël quelque chose d’inattendu, en même temps que de l’attendu.

Noël réalise les promesses antiques faites aux Pères, les prophéties messianiques de l’Ancien Testament, et dans ce sens il était attendu : il fallait bien que Dieu apporte la Délivrance à son peuple dans la personne du Messie, comme Il l’avait annoncé par la bouche de ses prophètes.

L’apparition du Messie ne devait, dans ce sens, surprendre personne, car elle était attendue, et ce, tout au long de l’Ancien Testament, dont Jean-Baptiste constitue le dernier et le plus illustre représentant, et qu’il récapitule dans sa personne même.

L’inattendu vient de la façon dont Dieu a réalisé ses promesses, bien au-delà des espérances d’Israël, bien au-delà de nos espérances, de nos attentes.

Car le Messie est venu, certes, mais ce Messie, ce Libérateur, ce nouveau Moïse et fils de David, c’est Dieu Lui-même, et c’est l’enfant de la crèche, cet humble et faible enfant de la crèche en qui sont contenues toutes les attentes d’Israël, et dont dépend le Salut de l’humanité.

Il y a un paradoxe là, une tension entre l’attente du peuple d’Israël, notre attente, et l’inattendu de Dieu dont les pensées ne sont pas nos pensées, et les voix ne sont pas nos voix !

Il y a toujours une part d’inattendu dans l’œuvre de Dieu, dans l’Evangile, quelque chose qui nous surprend toujours, et qui bouscule nos illusion, mais qui nourrit aussi notre espérance et notre adoration.

Jean-Baptiste est là, au seuil de l’Evangile, pour nous rappeler cette réalité de Dieu dont les desseins nous échappent et nous dépassent infiniment.

Jean-Baptiste est là, telle une sentinelle, pour nous préparer à la rencontre de Dieu, en ébranlant nos illusions, nos sécurités trompeuses, nos conceptions erronées de la vie, notre vision tronquée de Dieu et sans doute aussi notre folle prétention de pouvoir avoir prise sur lui, sur son dessein, tandis que c’est Lui qui vient à notre rencontre, et qui nous surprend toujours.

Face aux exigences de la justice parfaite de Dieu et de sa sainteté, comme aussi de la manifestation de sa grâce et de sa miséricorde qui triomphent à Noël, le message de Jean-Baptiste nous invite à une vraie et totale conversion de notre comportement et de notre pensée, comme aussi à l’acceptation du dessein de Dieu qui se réalise dans l’Histoire selon le temps de Dieu qui n’est pas le nôtre, et enfin à saisir le Salut de Dieu manifesté en Jésus-Christ, par-delà son jugement.

Trois thèmes donc sur lesquels je voudrai ce matin attirer plus particulièrement votre attention : le thème de la conversion, le thème de l’attente et du temps de Dieu, et le thème de la grâce par-delà le jugement.

 

I. « Que ferons-nous ? »

Premier point donc, la conversion.

Notez que suite à la prédication de Jean-Baptiste, trois types de personnage entrent en scène : la foule, des péagers, des soldats.

Le fait qu’il s’agisse là de pécheurs notoires, voire de païens –les péagers et les soldats romains– souligne que la manifestation du Messie et du Salut de Dieu dépassent, contre toutes attentes, les frontières du simple Israël, et que ceux qui semblaient bien devoir en être exclus le reçoivent pourtant.

Les péagers et les soldats païens étaient, en effet, ceux pour lesquels la pensée juive faisait du grand jour de l’Eternel un jour de terreur.

Jean-Baptiste, en les accueillant, atteste que son message est aussi pour eux et qu’ils peuvent eux aussi échapper, par la repentance, à la colère divine, sans même qu’il soit forcément nécessaire de renoncer à leur douteuse profession, mais en exerçant celle-ci dans la justice.

Ainsi, ce qui fait l’inattendu de l’Evangile, pour le peuple d’Israël à ce moment là, c’est son universalité, le fait que celui-ci s’adresse à tout homme, y compris aux païens, et non pas seulement aux juifs.

Il y a là une grande nouveauté par rapport aux attentes du peuple, nouveauté contre laquelle les chefs religieux de l’époque ne manqueront pas de s’achopper.

Les pharisiens ne reprocheront-ils pas, en effet, amèrement à Jésus sa proximité avec les pécheurs, les rebus de la société, les exclus, ce à quoi Jésus répondra : « Ce ne sont pas les bien-portants qui ont besoin de médecin, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs. » (Mt 2.17) !

L’Evangile est pour les pécheurs, et non pas pour les justes !

Voilà bien l’inattendu de l’Evangile, pour nous aussi !

Chers amis, si vous vous croyez justes, alors l’Evangile n’est pas pour vous !

Il est pour les pécheurs, afin de les rendre justes, et de leur apporter la guérison dont ils savent bien qu’ils ont besoin, et afin de manifester en eux la puissance de Dieu, la puissance de son amour qui peut tout transformer dans notre vie.

La prédication de Jean-Baptiste suscite donc la réaction de la foule, des péagers et des soldats.

Face à l’imminence de la manifestation de Dieu et de son Messie, chacun d’eux pose la même question au prophète : « Que ferons-nous ? »

10  Les foules l'interrogeaient : Que ferons-nous donc ?

12  Il vint aussi des péagers pour être baptisés, et ils lui dirent : Maître, que ferons-nous ?

14  Des soldats aussi lui demandèrent : Et nous, que ferons-nous ?

Telle est bien la première question, la question fondamentale qu’il convient de se poser dès lors que l’on s’approche de Dieu, ou plutôt dès lors que celui-ci s’approche des hommes, ce qu’Il a fait à Noël.

« Que ferons-nous ? »

Lorsque Dieu s’approche des hommes, la seule attitude qui convienne c’est la repentance et la conversion.

Impossible de rester identique à soi-même, et de ne pas changer radicalement notre façon d’être et de penser lorsque Dieu vient à notre rencontre !

Impossible de ne pas être profondément bouleversé, remis en question lorsque la Parole de Dieu nous atteint, comme elle le fait si puissamment à Noël !

Toute tentative d’autosatisfaction et d’auto-justification est réduite à néant lorsque Dieu lui-même est là, dans sa sainteté et dans sa Justice parfaite.

C’était là d’ailleurs la signification du baptême de Jean-Baptiste.

Le baptême de Jean marquait cette prise de conscience de son péché et de son injustice face aux exigences de Dieu et de sa Loi.

Le baptême de Jean était un baptême de repentance par lequel celui qui le recevait acceptait de renoncer à sa justice propre, ses fausses sécurités, pour entrer dans le projet de Dieu, dans l’attente de la manifestation de son Règne.

Le baptême de Jean, préparait le peuple à la venue imminente du Messie, et l’invitait à vivre cette attente dans l’acceptation du temps de Dieu, qui nous surprend toujours.

 

II. Notre attente et le temps de Dieu

Ainsi donc, après le thème de la conversion, le thème de l’attente et du temps de Dieu.

15  Comme le peuple était dans l'attente, et que tous se demandaient intérieurement si Jean n'était pas le Christ,

16  il leur répondit à tous : Moi, je vous baptise d'eau, mais il vient, celui qui est plus puissant que moi, et je ne mérite pas de délier la courroie de ses sandales.

Ce qui caractérise l’attitude du peuple auquel s’adresse la prédication de Jean-Baptiste, c’est l’attente.

« Comme le peuple était dans l’attente », dit le texte.

En quoi consistait donc cette attente ?

Verset 15 : « Tous se demandaient intérieurement si Jean n’était pas le Messie » !

L’attente du peuple est celle du Messie, c’est l’attente de la réalisation de la promesse faite aux Pères, la promesse de la venue de Dieu parmi les hommes pour la grande Délivrance, le nouvel Exode, annoncée par tous les prophètes de l’Ancien Testament.

Jean-Baptiste ne serait-il pas le Messie, le Libérateur d’Israël ?

Le peuple se méprend sur l’identité véritable du Messie.

Non, Jean-Baptiste n’est pas le Messie, dont il n’est même pas digne, dit-il, « de délier la courroie de ses sandales ».

On peut comprendre cet empressement de la foule à faire de Jean-Baptiste le Messie, et à devancer ainsi le temps de Dieu.

Cela faisait si longtemps que le peuple attendait cet événement, si longtemps depuis l’annonce de la promesse et le moment de son accomplissement, qui n’est pas encore là !

Jean-Baptiste invite la foule, et nous-mêmes, à ne pas devancer le temps de Dieu, qui n’est pas forcément le nôtre.

A vues humaines, le temps de Dieu semble bien ne jamais venir, ne jamais être là.

C’est l’image du sablier qui se vide si lentement, qu’il semble bien ne jamais s’écouler.

Il paraît immobile !

Le temps de Dieu nous semble parfois ne pas s’écouler, le temps de Dieu qui n’est pas le nôtre.

Le temps de Dieu semble s’écouler à un autre rythme que le nôtre.

Le temps de Dieu nous échappe toujours, comme il nous surprend toujours lorsqu’il vient, et qu’il dépasse de loin toutes nos attentes.

C’est ainsi qu’aux premiers chrétiens qui s’inquiétaient du « retard » de la Parousie, du retour du Seigneur, l’apôtre Pierre rappelle : « devant le Seigneur, un jour est comme mille ans et mille ans sont comme un jour » !

Et encore : « Considérez que la patience de notre Seigneur est votre salut » ! (2 P 3.15 ) 

Tout comme le peuple de l’Ancien Testament, nous sommes aujourd’hui dans un autre temps de l’attente, le temps de la patience de Dieu, qui est aussi le temps du salut.

« La patience de notre Seigneur est votre salut », dit l’apôtre !

C’est précisément parce que le temps de Dieu n’est pas le nôtre qu’il est notre salut, qu’il rend possible le salut de l’humanité.

Ce temps de l’Avent et de Noël nous invite à entrer dans le temps de Dieu, à mettre notre attente, celle aussi de la Parousie, au diapason de celle de Dieu, du temps de Dieu, qui est notre salut.

En Ph 4.4, l’apôtre Paul, nous l’avons lu tout-à-l’heure, nous exhorte à vivre ce temps de l’attente, l’attente de la Parousie, du retour en gloire du Seigneur et de la transfiguration de toutes choses, dans la joie et la reconnaissance, comme s’il devait arriver aujourd’hui :

4  Réjouissez-vous toujours dans le Seigneur ; je le répète, réjouissez-vous.

5  Que votre douceur soit connue de tous les hommes. Le Seigneur est proche.

Avec l’apôtre Paul, c’est notre joie de pouvoir dire aujourd’hui, 2000 ans après lui : « Le Seigneur est proche » ! et ce, quant bien même il nous faudrait attendre encore 1000 ans.

Le temps de Dieu est toujours « proche » pour celui qui croit fermement à la réalisation de ses promesses.

Le temps de Dieu ne tardera pas à venir !

C’est là aussi le message de Jean-Baptiste pour nous aujourd’hui !

 

III. Jugement et grâce

Après l’appel à la conversion, et l’invitation à entrer dans le temps de Dieu, le message de Jean-Baptiste nous rappelle aussi l’inattendu de l’Evangile qui, dans la personne de Jésus-Christ, se manifeste dans la grâce et dans le jugement.

16  …Lui, il vous baptisera d'Esprit Saint et de feu.

17  Il a son van à la main, puis il nettoiera son aire, il amassera le blé dans son grenier, mais brûlera la paille dans un feu qui ne s'éteint pas.

Le portrait que Jean-Baptiste dresse ici du Messie avait de quoi surprendre la foule et bousculer ses illusions, ses attentes, tellement la conception que les juifs avaient du Messie à l’époque était fort éloignée de la vérité.

Les juifs attendaient un libérateur terrestre, un nouveau Moïse venu pour chasser l'occupant romain et apporter la liberté au peuple, et voilà que Jean-Baptiste déclare : « Lui, il vous baptisera d'Esprit Saint et de feu » !

Etre baptisé de feu désigne dans la Bible le jugement.

C’est la manifestation de la justice de Dieu contre le péché-même que son feu vient consumer.

Le peuple de Dieu est ainsi appelé à passer à travers l'épreuve du feu du jugement de Dieu qui purifie.

La paille est destinée à être brûlé « dans un feu qui ne s’éteint pas ».

Voilà pour le jugement !

Quant au blé, il est destiné à être amassé dans son grenier : c’est la joie du Royaume à laquelle tous ceux qui croient en Jésus sont conviés.

Voilà pour la grâce !

Notez cependant, qu’il y a, dans le dessein de Dieu pour le monde, une disproportion entre la grâce de Dieu, entre la bénédiction de Dieu et son jugement, sa malédiction.

Rappelez-vous le Livre du Deutéronome :

Dt 34.6  L'Éternel passa devant lui en proclamant : L'Éternel, l'Éternel, Dieu compatissant et qui fait grâce, lent à la colère, riche en bienveillance et en fidélité,

7  qui conserve sa bienveillance jusqu'à mille générations, qui pardonne la faute, le crime et le péché, mais qui ne tient pas (le coupable) pour innocent, et qui punit la faute des pères sur les fils et sur les petits-fils jusqu'à la troisième et à la quatrième génération !

Tel est le rapport entre le jugement de Dieu et sa grâce : trois générations pour la malédiction contre mille générations pour la bénédiction !

A l’approche de Noël, nous savons que la miséricorde de Dieu, l’amour de Dieu l’emporte sur son jugement, ou plutôt que le jugement de Dieu, dans l’enfant de Noël, se change en grâce pour nous.

Car l’enfant de Noël c’est aussi, c’est d’abord, ne l’oublions pas, celui qui plus tard deviendra l’homme de douleur, le crucifié, portant sur lui le jugement, la malédiction qui pesaient sur nous à cause du péché.

La grâce de Dieu à Noël l’emporte sur son jugement, parce que Jésus-Christ lui-même est devenu notre Justice, en s’offrant lui-même à Dieu, comme victime expiatoire pour nos péchés, lui, l’Agneau de Dieu : « Voici l’agneau de Dieu qui ôte le péché du monde » (Jn 1.29) !

L’enfant de la crèche est l’Agneau de Dieu, et c’est à ce titre qu’il est véritablement le Sauveur du monde, notre Sauveur.

Il est le vrai Libérateur, celui qui nous rend libres vraiment, en nous réconciliant avec Dieu, et en faisant de nous de nouvelles créatures.

Voilà pourquoi ce Jour, le Jour de l’Eternel, le grand Jour du Salut annoncé dans tout l’Ancien Testament, ce Jour de l’apparition du Messie est présenté par le prophète Sophonie en des termes d’allégresse et de joie, comme la Délivrance opérée par Dieu qui passe par-dessus son jugement pour laisser éclater sa miséricorde et son amour.

So 3. 14  Pousse des cris de triomphe, fille de Sion! Lance des clameurs, Israël! Réjouis-toi, exulte de tout ton cœur, fille de Jérusalem!

15  L'Éternel a écarté de toi les jugements, Il a détourné ton ennemi; Le roi d'Israël, l'Éternel, est au milieu de toi; Tu n'as plus de malheur à craindre.

16  En ce jour-là, on dira à Jérusalem Sois sans crainte! Sion, que tes mains ne s'affaiblissent pas!

17  L'Éternel, ton Dieu, est au milieu de toi un héros qui sauve; Il fera de toi sa plus grande joie; Il gardera le silence dans son amour pour toi; Il aura pour toi une triomphante allégresse.

Voilà pourquoi aussi il est dit au verset 18 que « Jean annonçait la bonne nouvelle au peuple avec beaucoup d'autres exhortations. »

Car c’est bien d’une bonne nouvelle dont il s’agit ici.

La prédication de Jean-Baptiste, tout en rappelant les exigences de la justice de Dieu et en nous invitant à une conversion radicale, à la remise en question, se veut essentiellement positive.

La prédication de Jean-Baptiste ne se contente pas de renverser nos illusions, de mettre le doigt sur notre misère, mais entend magnifier la grâce de Dieu pour nous.

La prédication de Jean-Baptiste n’est, en réalité, une condamnation, un jugement que pour ceux qui se croient justes, et qui se méprennent sur le vraie sens de la venue de Dieu en Jésus, le vrai sens de Noël.

Pour ceux qui s’attendent vraiment à Dieu, en reconnaissant leur injustice et leur besoin d’un Sauveur, la prédication de Jean-Baptiste est une Libération, la bonne nouvelle du Salut.

Comme le dit si bien un théologien : « A ceux qui sont sûrs d’eux-mêmes, Jean déclare que le Jour du salut tant désiré sera un jour de jugement plein d’effroi. Mais à celui qui l’interroge dans la crainte et le tremblement, il présente le jour du jugement comme le jour du salut. » (H. GOLLWITZER, Luc, la joie de Dieu, p.41)

 

Telle est la bonne nouvelle de l’Evangile à laquelle ce temps de l’Avent nous renvoie aussi.

Ce temps de l’Avent nous prépare au temps de Dieu : Noël, la réalisation de la promesse, qui ouvre la voix à l’espérance et à la joie.

Noël, c’est le oui de Dieu à l’Histoire et à la Vie !

C’est le triomphe de la vie et de l’amour sur toutes les formes d’oppressions et d’injustices, sur toutes les puissances de mort qui nous assaillent de par le monde.

Sachons-donc nous réjouir vraiment ensemble et porter au monde cette merveilleuse nouvelle de Noël dont il a tant besoin.

Amen !